50 ans après, les villes nouvelles ont-elles encore un avenir ?

Marjolaine Koch

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50 ans après, les villes nouvelles ont-elles encore un avenir ?

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Depuis une dizaine d’années, les villes nouvelles doivent se repenser dans leur fonctionnement et dans leur agencement pour coller avec leur temps et avec une population vieillissante. Rénover les équipements, s’adapter, une gageure à l’heure où les budgets des collectivités sont étriqués.

A-t-on jamais, avant et après les villes nouvelles, pensé et conçu une ville dans sa globalité ? Alors que, jusque dans les années 1960, les banlieues se développaient à coup de ZUP et « grands ensembles », l’arrivée des villes nouvelles va canaliser ces déploiements autour des grandes villes françaises. Devant la nécessité de maîtriser ce chaos urbain sans équilibre habitat/emplois, l’État lance en 1965 une opération d’intérêt national qui lui permet d’avoir une mainmise totale en matière d’urbanisme sur les territoires concernés autour de Paris, Lille, Lyon, Marseille et Rouen.

Devant l’échec des grands ensembles, la politique se veut ambitieuse : « dès le départ, l’idée était de conjuguer des espaces publics, des espaces verts et de « respiration », des liaisons de déplacements et de transports publics, des équipements publics, scolaires et sportifs, des logements avec un fort pourcentage de logements aidés » explique Gérard Caudron, maire de Villeneuve-d’Ascq depuis 1977.

Des logements décents et abordables

Moins spontanées que programmées, ces villes poussent en quelques années, attirant une population en quête de logements décents et abordables. Le taux de croissance annuel y est de 6,7 % en région parisienne, soit neuf fois plus que dans les autres villes. Et pour éviter de reproduire les erreurs du passé, elles ne sont pas des banlieues dortoirs : « l’État a repensé la ville avec des secteurs en zone d’activité économique et des quartiers d’habitation pour suivre un principe simple : pour que ça marche, il faut de l’habitat et de l’emploi » détaille Emmanuel Cattiau, DGS à Moissy-Cramayel (77), ville nouvelle de Sénart, précédemment passé par Villeneuve-d’Ascq et Saint-Quentin-en-Yvelines.

Plus équipées que la moyenne, ces villes ont attiré de jeunes familles aux revenus modestes et médians qui ont choisi de s’y implanter durablement.

La population, jeune, est généralement engagée dans une vie associative et sportive active : « À Villeneuve-d’Ascq, nous comptons 25 000 licenciés sportifs pour 65 000 habitants ! » triomphe le maire. Et en effet, dès leur conception, les bâtiments ont été pensés avec un local collectif résidentiel pour que les habitants puissent se réunir. Plus équipées que la moyenne, ces villes ont attiré de jeunes familles aux revenus modestes et médians qui ont choisi de s’y implanter durablement, permettant le développement des vies de quartier.

Les villes nouvelles en chiffres
Il existe neuf villes nouvelles ayant bénéficié de structures autonomes, les établissements publics d’aménagement (EPA) :
• Villeneuve-d’Ascq : près de Lille (EPA créé en 1969, sort du programme en 1983), 65 000 habitants
• L’Isle-d’Abeau : près de Lyon (1972-2005), 42 500 habitants
• Étang de Berre : près de Marseille (1973-2001), 99 000 habitants
• Val-de-Reuil : près de Rouen (1972-1985), 13 500 habitants
• Autour de Paris : cinq villes franciliennes abritent 850 000 personnes et ont absorbé jusqu’à la moitié de la croissance démographique entre 1975 et 1990 :
– Cergy-Pontoise (1969-2002)
– Évry (1969-2000)
– Saint-Quentin-en-Yvelines (1970-2002)
– Marne-la-Vallée (1972, encore en cours d’aménagement)
– Sénart (1973, encore en cours d’aménagement)

Le vieillissement de l’esprit pionnier

Une implantation durable qui a, au fil du temps, engendré le vieillissement de cet esprit pionnier. Loïc Vadelorge, maître de conférences en histoire contemporaine, note que, dès les années 1990, « le langage des promoteurs et des élus change, glissant vers des images de qualité de vie et de sécurité » ((La politique des villes nouvelles, de l’État aux collectivités locales (1965-2005), Loïc Vadelorge, http://goo.gl/fOVL7h)). 26 ans plus tard, les habitants de la première heure de ces villes nouvelles sont devenus des seniors en quête de nouveaux services. Actuellement, les villes nouvelles doivent à la fois renouveler des équipements construits en masse sur une période courte, et qui nécessitent des réfections parfois profondes, tout en adaptant les territoires à cette catégorie de la population qui était jusque-là presque inexistante.

26 ans plus tard, les habitants de la première heure de ces villes nouvelles sont devenus des seniors en quête de nouveaux services.

À Villeneuve-d’Ascq, Gérard Caudron constate que les personnes âgées restent dans leurs grands logements, même après le départ des enfants. « Nous avons mis en place une offre de logements plus adaptés, plus petits et de bonne qualité. Nous espérons attirer les « seniors » qui pourront préserver leur vie au sein d’un quartier qu’ils connaissent, et libérer ainsi les grands logements pour les familles ». De même, il faut attirer le personnel soignant et de nouveaux médecins car les « pionniers », là aussi arrivés au début de l’aventure, atteignent l’âge de la retraite…

Une rénovation achevée… dans six ans ?

Parallèlement, la rénovation des équipements a déjà commencé depuis une décennie : « nous espérons avoir achevé cette phase vers 2020 ou 2022. Nos moyens actuels ne nous permettent pas d’aller plus vite, il nous faut prioriser en fonction des niveaux de dégradation des écoles, des salles de sport, des logements et repenser leur usage pour qu’ils soient adaptés à la vie quotidienne actuelle ». Lors de son passage à Magny-les-Hameaux, dans la ville nouvelle de Saint-Quentin-en-Yvelines, Emmanuel Cattiau a été confronté à la problématique du renouvellement urbain : « Comme pour les grands ensembles, des quartiers entiers des villes nouvelles se sont dégradés rapidement et ont nécessité, trente ans après, des interventions lourdes pour les bailleurs et les communes sur les espaces et équipements publics ».

« Comme pour les grands ensembles, des quartiers entiers des villes nouvelles se sont dégradés rapidement.»

Enfin, les expérimentations menées sur les centres-villes de ces nouvelles communes nécessitent souvent une révision en profondeur (voir encadré). « Il faut requalifier les espaces publics, résidentialiser les immeubles, rénover les équipements publics, sauver les commerces de proximité, assurer la couverture médicale… » résume Emmanuel Cattiau. Cinquante ans après leur naissance sur le papier, ces villes doivent déjà se réinventer pour coller à l’époque, et suivre l’évolution de leurs habitants.

Espaces publics : de l’utopie à la réalité de l’usage
Envisagée initialement comme une « ville pour piétons », Villeneuve-d’Ascq dispose d’un important nombre de pistes cyclables et de chemins piétonniers indépendants des trajets routiers. Une « Chaussée haute » a été aménagée au cœur de la ville : au-dessus du flot routier, elle devait favoriser les rencontres entre les habitants des différents quartiers, les salariés, les étudiants.

Mais cette grande idée n’a jamais pris : les chemins rallongent considérablement les trajets piétons, les commerces ont recherché des emplacements accessibles en voiture et les promeneurs n’en ont pas fait un terrain de jeux.

En janvier 2016, le conseil municipal a présenté un projet de recomposition du centre-ville qui prévoit de descendre le niveau de la Chaussée haute pour connecter cette zone à la vie urbaine environnante. Aménagé avec escaliers, rampes, pentes et emmarchements pour faciliter le parcours à tous les types de publics, ce nouvel espace devrait relier les équipements clés majeurs, qui parfois tournaient le dos à la Chaussée haute, pour trouver du public.

L’idée de séparer piétons et automobilistes aura fait long feu : tout en maintenant les trames vertes propres aux villes nouvelles, les concepts qui émergent mêlent bien plus les différents modes de déplacement, pour gagner en fluidité.

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