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Décrets, ordonnances et autres arrêtés se sont succédé à un rythme épuisant. 816 textes ont été publiés au sein des JO des 10 et 11 mai. Face à pareille avalanche, le regard du juriste se fait d’abord ahuri. Au bout de 100 textes, le juriste perd la raison. 200 textes plus loin, son regard évoque le lapin myxomatosé. 500 textes plus loin, ne reste plus, sur son ordinateur, qu’un zombie même pas capable de faire peur dans une superproduction hollywoodienne.
Un État boulimique du droit
« Choc d’inflation normative » conclut plaisamment Lexis Nexis. « Feux d’artifice du gouvernement Cazeneuve » diront les optimistes. Toujours est-il que cette obésité normative n’est pas qu’un amusement un peu fatigant.
En 2008, notre pays atteignait 10 500 lois et 127 000 décrets. La dernière législature en a ajouté 448.
C’est surtout un symptôme. Celui d’un État boulimique du droit. Celui d’une société hyper-normativisée. Où le droit écrit croit pouvoir épuiser le réel. Où l’on croit depuis au moins Napoléon que le juge doit appliquer le droit écrit et ne peut créer du droit, adapté au cas par cas, que dans de rares cas, faute de texte écrit. Pour qui connaît le droit anglo-saxon, et alors même qu’il est de bon ton d’en relativiser les différences, le contraste est frappant.
En 2008, notre pays atteignait, semble-t-il, 10 500 lois et 127 000 décrets. La XIVe législature (2012-2017) aura vu l’adoption de 448 lois (sur ce point, voir l’éditorial du SGG Marc Guillaume dans la lettre de la DAJ). Au risque d’une piètre qualité du droit comme le déplorait le Conseil d’État en 2016.
Quelques avantages, beaucoup d’inconvénients
Voyons les avantages de cette inflation normative :
- adaptation à des circonstances particulières ;
- relative prévisibilité du droit écrit.
Voyons-en les principaux inconvénients :
- grosse machinerie utilisée pour produire cette normativité ;
- culture du droit écrit combinée avec une tradition qui reste centralisatrice… et qui n’est pas, en France contrairement à nos voisins, de nature à autoriser les autorités de terrain (entreprises dans leur dialogue social ; collectivités locales dans leurs propres textes) à faire leur propre droit ou à adapter leurs pratiques au terrain. Il n’est qu’à voir à quel point le « droit à l’expérimentation » est, en France, d’une redoutable complexité…
- très grande difficulté des acteurs à connaître le droit qui leur est applicable et qu’ils ne sont pas censés ignorer (même si le numérique relativise cette difficulté).
La course du droit écrit pour encadrer le réel est une course perdue, inutile et coûteuse.
La France, à l’esprit forgé au rationalisme des XVIIe et surtout XVIIIe siècles, croit pouvoir rationaliser et prévoir le réel par le droit écrit… comme le jardin à la française est une lutte sans fin pour mettre la nature au carré. Mais le réel est protéiforme. La réalité va vite, toujours plus vite. Nos sociétés se complexifient à l’envi. Bref la course du droit écrit pour encadrer le réel, le prévoir, le régenter, le contingenter, est une course perdue, inutile et coûteuse. Sous nos yeux éperdus et fatigués.