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© Vimvertigo
On peut avoir été le premier adjoint du précédent maire et avoir envie de bouleverser un peu les habitudes une fois à la place du chef. C’est l’opération menée par David Lisnard, maire LR de Cannes depuis 2014. Le pari est intéressant : parvenir à faire face aux réductions budgétaires en supprimant des postes, tout en insufflant dans les services l’envie de participer, de s’exprimer et de se sentir partie prenante dans l’élaboration d’une nouvelle organisation des services. « Une réorganisation de services avec un nouveau maire et un nouveau DGS implique d’accompagner les directeurs, les chefs de service et les agents pour qu’ils acceptent le changement » explique Thierry Migoule, DGS de la ville. « Il fallait donner à chacun les moyens de s’exprimer, de proposer des solutions pour qu’ils accompagnent ce changement au lieu de le subir. »
TÉMOIGNAGE
"Il faut travailler en bonne intelligence"
« Certains élus choisissent de passer énormément de temps sur le terrain pour être en contact avec le citoyen. Quand on leur confie un problème, ils transmettent le dossier à l’administration pour qu’elle prenne la suite. Mais c’est un fantasme de croire que l’on peut s’investir uniquement en externe, il faut aussi l’être au sein de l’administration, pour trouver les personnes adéquates, suivre un dossier. Si l’élu ne rentre pas dans cette complexité pour comprendre et soutenir l’administration sur ces défis, il prend le risque de voir certains projets échouer ou certains problèmes rester sur le tapis. À l’inverse, quand une administration mène un projet, elle doit impliquer les élus pour que toutes les parties soient convaincues par les méthodes employées. Il faut travailler en bonne intelligence pour que les projets aboutissent. »
Armel Le Coz,
cofondateur du collectif Démocratie ouverte et designer pour les collectivités locales
Rapprocher les services, engager la discussion
Après appel d’offres, un audit est confié à la société Congruences. Franck Martin, qui a mené les travaux, commence par organiser des entretiens individuels strictement confidentiels pour prendre la température relationnelle entre agents et direction. Une centaine d’agents, sur les 2 800 que compte la collectivité, se prêtent au jeu. « Cela nous a permis d’identifier des points stratégiques qui ralentissent les projets au cours des entretiens, où il était possible d’agir très rapidement. » Pour compléter cette première approche, des ateliers participatifs ouverts à tous sont organisés en mode créativité, dans le but de trouver des solutions transversales. « Cela permet de rapprocher les services, d’engager la discussion entre personnes qui ne se croisent habituellement pas mais dont les travaux peuvent être imbriqués. » Chaque journée s’achève en dressant une liste de décisions actées, pour mettre en place des solutions concrètes.
Cela nous a permis de simplifier ensemble le circuit décisionnel, en toute transparence et dans le dialogue.
Enfin, tous les trimestres environ, une agora est organisée. Elle réunit les élus, la direction et les agents afin de rendre publique une synthèse des entretiens menés. « Il ressortait des interrogations, des critiques que nous, en tant que direction et élus, devions accepter » raconte Thierry Migoule. « Le circuit décisionnel était remis en cause assez directement, les rôles décisionnels du cabinet et de la DGS… Cela nous a permis de les simplifier ensemble, en toute transparence et dans le dialogue ».
Mais des opérations plus ponctuelles portant sur l’aménagement de locaux ont aussi été menées suite à ces agoras, pour améliorer le quotidien, la sécurité et l’efficacité du personnel. « Les agoras créent un terrain de rencontre entre les différents membres de la collectivité, cela permet à la fois de passer des messages stratégiques et de rétablir une relation de confiance » estime Franck Martin, à l’origine de la démarche.
TÉMOIGNAGE
« La confiance se construit et se renforce »
« La confiance, avec les élus, ses collègues ou ses partenaires se construit, se renforce ; et parfois se déchire. Il est naturel d’accorder sa confiance au démarrage, elle se confirme ensuite, ou pas. Cela se traduit par une délégation plus ou moins grande, la certitude de pouvoir compter sur un résultat sans avoir à relancer ou sans avoir à s’en inquiéter. La confiance est un risque positif, le plus souvent très payant. »
Jean-Daniel Heckmann,
DGS de la Région Centre-Val de Loire
Une opération dans la longueur
Depuis le lancement de l’opération il y a près de deux ans, tout n’a pas été bouleversé. Les actions très rapides et donc très visibles des premiers temps ont suscité l’enthousiasme. Mais l’opération se fait dans la longueur, le rythme est à présent différent, lasse un peu les agents. Pourtant, Thierry Migoule note avec intérêt les effets de ces plages de discussions : « on s’adapte au fur et à mesure des remontées d’informations en proposant des formations, en modifiant certaines approches… La réorganisation se fait à petits pas. C’est une démarche qui ne s’arrête jamais ».
Dans les faits, depuis 2014, la mairie est parvenue à fonctionner avec cent agents de moins mais aussi moins de DGA qu’auparavant, grâce à la mise en place de circuits plus directs entre services et DGS. Les syndicats, inclus dans la démarche, ont participé à la rédaction d’un cahier des charges des risques psychosociaux et au questionnaire qui l’accompagne.
Les gens doivent se sentir inclus dans un projet collectif.
Pour Franck Martin, dans un contexte de réduction budgétaire, « rétablir la discussion, remettre en avant les valeurs de respect, de bienveillance, de transparence sont le seul moyen réel et durable de s’assurer que les projets avancent. Les gens doivent se sentir inclus dans un projet collectif. Un management « à la schlague » use les gens, les pressurise et les détruit. On a vu le résultat dans de grandes entreprises, le burn-out et le turnover sont énormes, ce n’est bon pour personne et surtout pas pour la collectivité ».
« Un instrument de gouvernance »
« La confiance, dans un sens limité, peut être considérée comme un instrument de gouvernance : si la confiance n’est pas déjà présente, il faut la construire en développant des normes, des obligations ou des valeurs partagées. Ces normes et valeurs partagées peuvent être des critères de sélection du partenaire et en ce sens servir d’instruments. »
Bart Nooteboom, chercheur néerlandais, extrait de son article « Effect of trust and governance on relational risk » paru dans Academy Management Journal, vol. 40.