« À ce rythme, un jour, on ne pourra plus verser le RSA ! »

Stéphane Menu

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« À ce rythme, un jour, on ne pourra plus verser le RSA ! »

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Il est l’un des symboles du basculement à droite des départements. Jean-René Lecerf, le nouveau président du conseil général du Nord, apprécié par les élus de gauche, livre un témoignage lucide et inquiétant sur l’action potentielle d’une collectivité départementale très endettée et ne disposant plus que de très petites marges de manœuvre pour inverser le déclin social du Nord.

Vous avez enfin été élu président du conseil général alors que vous êtes dans l’opposition depuis 1998. Dans un département traditionnellement ancré à gauche, qu’est-ce qu’une gestion de droite d’un CG ?

Je ne sais que répondre, les malheurs du temps sont tels. Nous héritons d’une situation financière plus que calamiteuse. Nous sommes confrontés à des urgences qui nous empêchent même de nous poser la question que vous me posez, comme celle de pouvoir payer le RSA tout au long de l’année.

Le coût de l’investissement a été divisé par deux. Il serait facile d’accuser nos prédécesseurs, peut-être n’ont-ils pas su anticiper la crise financière que les collectivités locales traverseraient ; ils n’ont pas saisi que nous assistions progressivement à une métamorphose des collectivités territoriales, qu’il ne s’agissait plus d’une simple réponse à la crise.

Si le gouvernement n’a pas souhaité notre mort avec la loi NOTRe, il doit désormais nous expliquer comment il entend nous sauver.

Mais c’est surtout la situation des comptes publics qui touche tout le monde, à gauche comme à droite. J’attends beaucoup de l’Association des départements de France (ADF) dans la concertation qu’elle aura à mettre en œuvre avec le gouvernement. Car si ce dernier n’a pas souhaité notre mort lors des discussions parlementaires sur la loi NOTRe, il doit désormais nous expliquer comment il entend nous sauver.

Quel est le poids financier du RSA dans vos finances ? Est-ce le principal obstacle à la relance d’une politique d’investissement public ?

Le ratio est simple à comprendre : sur un budget global de 3,7 milliards d’euros, nous consacrons 650 M. euros au seul RSA, et je ne parle donc pas des autres prestations sociales. Face à la crise économique et sociale qui touche notre département, nous consacrons, chaque année, 50 M. euros en plus au traitement du RSA. Ce qui est terrible, c’est le sentiment que le gouvernement mise sur l’inversion de la courbe du chômage pour sortir de cette situation, inversion qui, elle-même, dépendrait du retour de la croissance mondiale qui finirait par impacter la croissance européenne, puis française. On ne peut se contenter, dans les collectivités, d’attendre que le salut vienne de l’extérieur.

Comment réduire cette part des dépenses sociales ? La lutte contre la fraude ? Un pacte local renforcé avec les acteurs de l’économie ?

Je viens d’être élu. Je suis sénateur et je démissionnerai prochainement de cette fonction comme je l’avais annoncé (Ndlr, la démission est effective depuis) pour me consacrer uniquement au département. Toutes les actions sont nécessaires pour faire reculer le nombre de bénéficiaires du RSA. Oui, la lutte contre la fraude peut être un moyen d’agir puissant. Les brigades anti-fraude mises en place au conseil général des Alpes-Maritimes par mon ami Éric Ciotti ont leur efficacité.

Il faut envisager comment des partenaires privés et publics peuvent se mobiliser sur le terrain de l’emploi.

Mais l’action la plus importante reste la mobilisation de tous les acteurs de terrain, de la fédération des BTP en passant par les chambres des métiers ou de commerce, pour redonner confiance à ceux qui sont quotidiennement sur le terrain et envisager comment des partenaires privés et publics peuvent se mobiliser sur le terrain de l’emploi.

Quelles sont les marges de manœuvre ?

Elles sont rares mais elles doivent être utilisées, ne serait-ce que pour donner l’exemple : la réduction du train de vie de la collectivité, par exemple. A-t-on réellement besoin de quinze chauffeurs au département ? Les élus ne savent-ils pas conduire ? Je suis prêt à montrer l’exemple ! La masse salariale est trop importante, elle a augmenté de 8 % lors du dernier mandat…

Mes services m’ont indiqué qu’un assainissement des finances rapporterait rapidement 45 à 50 M. euros par an.

En ne remplaçant pas les départs à la retraite, en dehors bien entendu des agents travaillant dans le domaine social, en affichant un sens exemplaire du service public, nous pourrions vite faire des économies. Mes services m’ont indiqué qu’un assainissement des finances rapporterait rapidement 45 à 50 M. euros par an. Ce n’est pas négligeable.

Investir est-il devenu utopique ?

La donne est claire pour le Nord : en autofinancement, nous sommes à moins 31 M. euros en 2015 ! C’est-à-dire qu’avant même de sortir le moindre centime, nous sommes déjà à découvert ! La solution va être de recourir aux partenariats public-privé (PPP). Le coût de l’argent est relativement faible aujourd’hui. Certaines opérations PPP peuvent nous coûter très peu.

Le paradoxe reste que, dans le cadre de la loi NOTRe, les départements ont sauvé leur peau mais que l’on ne sait toujours pas comment ils vont être tirés d’affaire…

C’est un peu ça et c’est pour cette raison que l’ADF doit jouer un rôle d’interface nécessaire, après la folie législative et électorale que nous venons de vivre. L’association est actuellement en pleine recomposition, puisque les équilibres politiques ont changé. Notre candidat UMP, Dominique Bussereau (Ndlr, président du CG de Charente-Maritime, ancien ministre) a de fortes chances de s’imposer au 1er janvier 2016. Claudy Lebreton (Ndlr, PS, président du CG des Côtes-d’Armor) a été un bon président, mais sa symétrie politique avec l’actuel gouvernement était un obstacle à une action critique plus affirmée. Avec Dominique Bussereau, ce sera plus frontal, plus politique ! Mais dans les règles de l’art de ces grandes associations ; de gauche comme de droite, nous sommes confrontés à des difficultés similaires.

En 2016, au mois de septembre, aucun département ne sera en mesure de verser le RSA.

Peut-être devra-t-on faire comprendre au gouvernement qu’en 2016, au mois de septembre, aucun département ne sera en mesure de verser le RSA. Nous serions certes hors la loi mais c’est peut-être le seul moyen de faire entendre à l’État que nos récriminations sont largement justifiées ! À ce rythme, un jour, on ne pourra plus verser le RSA !

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