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Nous nous attachons, nous nous détachons, nous nous rattachons. Comment saisir, dans la multiplicité des contextes culturels, les invariants et les variations de nos attachements ? Un livre important revient sur les liens sociaux, à travers le monde.
Virtuose de la typologie, Serge Paugam propose une actualisation de quatre décennies de travaux et une mise en perspective internationale. Son ambition : fournir un cadre d’analyse pour penser les solidarités humaines.
Serge Paugam, L’attachement social. Formes et fondements de la solidarité humaine, Éditions du Seuil, 2023, 600 pages, 27 euros.
L’entrelacs des liens sociaux
Le sociologue décortique l’entrelacs des liens sociaux à partir desquels nous concilions aspirations individuelles à l’autonomie, nécessaires interdépendances et obligations collectives. L’auteur distingue quatre liens : de filiation (la famille), de participation élective (les relations sociales extrafamiliales), de participation organique (l’univers professionnel), de citoyenneté (la nation). Nos existences se tissent à partir de ces dimensions qui, entrecroisées, forment le tissu social des groupes et des territoires. Ces entrecroisements constituent la matière de l’attachement. La notion, commune en psychologie, a toute sa validité en sociologie. En l’espèce, Paugam distingue quatre types de régulation des liens sociaux. Ce sont les quatre « régimes » de l’attachement : familialiste (où prime le lien de filiation), volontariste (lien de participation élective), organiciste (participation organique), universaliste (citoyenneté). On repère le premier (familialisme donc) dans des pays aussi différents que le Brésil et le Japon, le deuxième (volontarisme) se dégage aux États-Unis. La France se caractérise par son organicisme (vive le corporatisme et les statuts !). Les pays nordiques vivent une forme d’universalisme (régulée par la morale civique).
Ces typologies renouvellent et complètent des catégorisations classiques, en particulier au sujet de l’État-providence. Leurs usages permettent de saisir les entrecroisements des liens, leurs ruptures possibles ainsi que les changements et les cumuls de difficultés qui peuvent en résulter. L’ensemble fait la mosaïque de l’attachement. Dans certaines configurations, les liens libèrent, dans d’autres ils contraignent. Paugam, toujours à la recherche de clés de compréhension, distingue encore les deux dimensions de la protection (« compter sur » quelque chose ou quelqu’un) et de la reconnaissance (« compter pour »). Tout cet appareil conceptuel autorise une évaluation des dynamiques sociales et des facteurs de fragilité.
Une sociologie globale
Mêlant théorie et observations empiriques, ce vaste travail repose sur ce qui est mis au cœur de l’ouvrage : une base de données sur les liens sociaux, renseignée dans trente-quatre pays (avec sources et méthodes en ligne). La statistique dessine les contours de sphères particulières et classe les différents pays sans les affecter définitivement à une catégorie figée.
On pourra regretter quelques données, au-delà de la base originale, qui parfois datent. Sur la forme, le lecteur pourrait souhaiter davantage de synthèse dans cette somme. Reste l’essentiel : une voie attachante pour apprécier la réalité des sociétés et de leurs institutions, notamment en termes de protection sociale et de protections rapprochées comme la famille.
Extraits
« La solidarité désigne ce qui solidifie un groupe humain. »
« La conscience d’une interdépendance mondiale et mutuelle se développe un peu partout dans le monde. »
« Sur le plan formel, il faut reconnaître que l’humanité n’est pas toujours une société constituée. »