inegalite_course
© erhui1979
Le sujet abordé dans ce livre de Philippe Estèbe ((Philippe Estèbe, L’égalité des territoires. Une passion française, PUF, 2015, 88 pages, 11 euros.)) est toujours sur l’atelier dans une France qui présente six singularités géographiques : relatif sous-peuplement, faible mobilité des populations, maigre réseau de villes (sinon Paris), maillage territorial figé par la Constituante, morcellement d’un rural puissant, superposition des collectivités.
Le monde change cependant, avec ébranlement des services publics, mobilité accrue, affirmation des métropoles, crise financière, croissance démographique.
Un modèle confronté à l’évolution du rural et de l’urbain
Au cours de son histoire, la France a créé un dispositif unique au monde d’égalité des territoires, à travers trois grands mécanismes : une redistribution financière très importante (rappelons que le principe premier de la Sécurité sociale est la « solidarité nationale ») ; une répartition inégalitaire des fonctionnaires d’État de manière à permettre une présence continue jusque dans les lieux les plus reculés ; des grandes entreprises publiques assurant partout une continuité de prestation (La Poste, SNCF, énergie, télécommunications) ce qui alimente un ensemble de « transferts invisibles ».
Les personnes traversent les territoires et, surtout, les mettent en concurrence pour ce qui concerne l’habitat, les services, l’emploi, les loisirs.
Conçu pour une société rurale, peuplée d’individus très majoritairement sédentaires, ce dispositif fait maintenant face à l’affirmation des métropoles et à la mobilité croissante des habitants. Les très grandes villes financent largement l’espace rural et commencent à contester les mécanismes et instruments de redistribution.
Par ailleurs, les personnes traversent les territoires et, surtout, les mettent en concurrence pour ce qui concerne l’habitat, les services, l’emploi, les loisirs. Le dispositif d’égalité des territoires, conçu d’ailleurs selon une logique très arithmétique, s’avère dès lors, selon Estèbe, coûteux et inefficace. Il cherche alors à préciser les termes d’un nouveau contrat territorial, afin de refonder un système à bout de souffle. Surtout, l’expert recommande une « cure de désintoxication » à l’égard de l’État comme modèle.
Trois âges de l’égalité des territoires
Ce petit livre malin permet d’interpréter l’idée d’égalité territoriale, nourrie de la présence de l’État et des grands monopoles publics. L’âge de l’égalité des droits a laissé des infrastructures exceptionnelles. L’âge de l’égalité des places a produit une administration très présente. L’âge de l’égalité des chances a créé des outils pour corriger des disparités jugées inacceptables.
La compétence générale a créé plus de « 30 000 copropriétés autogérées par les paysans propriétaires ».
Mais ces âges sont révolus et l’architecture est à revoir, afin que les territoires ne dépendent plus seulement d’une redistribution venue d’en haut. Au-delà des analyses, l’ouvrage ne peut qu’intéresser en raison de la concision et de la profondeur des constats.
Au sujet de la « géopolitique hexagonale », l’auteur souligne que la France est un pays sous-peuplé (ce qui explique la faible propension à émigrer) qui n’a vraiment vu se déclencher l’exode rural qu’après la Seconde Guerre mondiale.
Et il revient avec grand intérêt sur la loi municipale de 1884 qui instaure, avec la fameuse clause de compétence générale, une forme de souveraineté territoriale, ce qui revient à créer plus de « 30 000 copropriétés autogérées par les paysans propriétaires ». Des traits discutables, mais toujours percutants.