À lire : la singularité occidentale

Julien Damon

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À lire : la singularité occidentale

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L’Occident se distingue du reste du monde. Particulièrement prospère, la zone a vu naître le développement économique. Une telle exception s’expliquerait, d’abord, par une psychologie particulière, façonnée par des siècles d’évolution à la fois de la parenté et de la société.

Joseph Henrich, The WEIRDest People in the World, Farrar, Strauss and Giroux, 2020, 681 pages.

Dans son gros livre appelé à faire date, Joseph Henrich détaille deux arguments principaux. Il soutient d’abord une thèse historique. Selon lui, en interdisant les mariages entre cousins et en faisant de la sorte éclater les réseaux traditionnels de parenté, l’Église catholique a provoqué une cascade de changements aboutissant à la modernité en Europe. Joseph Henrich développe une autre thèse, psychologique cette fois-ci, sur les sociétés, selon le rôle plus ou moins grand que joue la parenté. En l’espèce, l’Occident diffère nettement de sociétés plus traditionnelles, à plus forte intensité de parenté.

Mutations du mariage, mutations sociales

Cet universitaire éclectique de Harvard se penche sur la question classique des spécificités occidentales pouvant expliquer la domination de cette partie du monde. Tout le monde sait que Max Weber explique par l’éthique protestante la prédominance occidentale. Joseph Henrich passe par une autre voie, en plongeant plus loin dans l’histoire et plus profondément dans le tréfonds de notre psychologie.

L’ensemble conduit à davantage de coopération et à une valorisation de la liberté, contre les statuts assignés et les affiliations définitives

Il trouve des racines à l’exception européenne, au milieu du premier millénaire, quand le christianisme en vient à promouvoir les mariages entre membres de cercles familiaux différents, repoussant polygamie et alliances entre proches, entre cousins notamment. Pour Joseph Henrich, une telle orientation érode, avec les siècles, l’importance des logiques tribales et promeut la famille nucléaire, en poussant les individus à chercher des alliances à l’extérieur de leurs groupes de parenté immédiate. L’ensemble conduit à davantage de coopération et à une valorisation de la liberté, contre les statuts assignés et les affiliations définitives.

La profondeur historique a des répercussions contemporaines. Aujourd’hui, les Occidentaux n’épousent presque jamais des parents

Une psychologie et un peuple « Weird »

Des évolutions historiques nées, sans le vouloir, des positions de l’Église catholique, procèdent une psychologie et une appréhension du monde spécifiques, caractérisant une petite partie de l’humanité, celle que Henrich baptise « Weird ». L’acronyme, signifiant « bizarre » en anglais, s’utilise pour « Western, Educated, Industrialized, Rich, Democratic ». Tentant une transposition française, on dirait « Frido » pour « Formée, Riche, Industrialisée, Démocratique et Occidentale ». « Pris isolément, chaque trait est rare, note Henrich, mais la combinaison est extrêmement rare ». C’est cette combinaison qui apparaît typiquement occidentale.

L’extension d’une psychologie Weird s’associe au développement du souci de l’autonomie et d’un droit protecteur des individus

Dans l’histoire humaine, les individus se sont d’abord identifiés à leur famille. Les Weird se déterminent eux-mêmes maintenant davantage par leurs activités et compétences que par leurs relations. L’extension d’une psychologie Weird s’associe au développement du souci de l’autonomie, de l’ouverture aux étrangers, d’un droit protecteur des individus. L’ensemble a permis l’amplification des relations commerciales, la révolution industrielle et l’essor de l’Europe. On peut parler, avec Joseph Henrich, de psychologie et de peuple Weird, aujourd’hui dans un monde que ces individus « bizarres » (sur le plan statistique) ne maîtrisent absolument plus de la même manière, en concurrence avec d’autres identités et modèles, chinois ou africains pour n’en citer que deux.

Extraits
« Les Weird se révèlent plus analytiques et individualistes, plus confiants et plus ouverts, que des non-Weird plus holistiques et plus fermés. »
« Des prohibitions et prescriptions religieuses, établies il y a presque un millénaire et demi, ont forcé les individus à s’ouvrir pour trouver des conjoints. »
« Les Occidentaux sont bien la population la plus « étrange » du monde. »

The WEIRDest People in the World : How the West Became Psychologically Peculiar and Particularly Prosperous (English Edition) eBook : Henrich, Joseph : Amazon.fr

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