medical cost, stethoscope on dollar banknote money. concept of health care costs, finance, health insurance funds.
© utah778_Adobestock
Anne Case & Angus Deaton, Deaths of Despair. And the Future of Capitalism, Princeton University Press, 2020, 312 pages
Dans la suite d’un article remarqué, sur ce qu’ils baptisent les « morts du désespoir », le prix Nobel d’économie Angus Deaton et sa conjointe Anne Case, elle aussi enseignante à Princeton, analysent la dégradation de la qualité de vie des Américains blancs non diplômés. Le texte condamne les dérives du capitalisme et du système de santé outre-Atlantique.
Contre l’économie qui provoque le désespoir
Ceux que la critique française appelle parfois les « petits blancs » vivent le déclin du syndicalisme, du mariage et de la religion. Surtout, ils comptent désormais parmi les premières victimes de prescriptions médicales inconsidérées et des drogues. L’ensemble compose une épidémie mortelle et un « cocktail de problèmes du capitalisme » que les docteurs Case et Deaton voudraient traiter. À la suite de Durkheim, très souvent cité, ils s’intéressent aux causes du suicide. Mais aussi à celles des overdoses et de l’alcoolisme.
La mortalité repart à la hausse dans les années 2000 pour les Américains blancs peu diplômés
Les trois sujets alimentent ces « décès du désespoir », pour un total de 158 000 personnes en 2017. Les courbes sont frappantes. Alors que la baisse de la mortalité se poursuit en Europe, elle repart à la hausse dans les années 2000 pour les Américains blancs peu diplômés. Les auteurs documentent détresse et désespoir pour une population qui, comme les autres Américains modestes, subit les conséquences des délocalisations et de la numérisation. Mais leur malaise, compensé par recours aux paradis artificiels et prescriptions de dangereux opioïdes, procède aussi d’un statut du travail déprécié et de discriminations négatives ressenties par rapport aux discriminations positives dont bénéficient les minorités.
Un modèle « Shérif de Nottingham »
Ces « petits blancs » américains, maintenant soutiens de Donald Trump, ont vu leurs revenus stagner, leur pouvoir d’achat reculer, leurs valeurs s’éroder. Pour les auteurs, ce sont le déclassement social et le « capitalisme prédateur » qui tuent. Case et Deaton chargent surtout le système de santé, vu comme « un cancer au cœur de l’économie ». Absorbant 18 % du PIB, il est le plus dense financièrement au monde et figure parmi les moins performants parmi les pays de l’OCDE, ne suscitant la confiance que d’un Américain sur cinq ! Pesant considérablement sur le coût du travail et sur le moral de ceux qui ont à le payer, il caractérise un pays où l’espérance de vie baisse depuis 2014 ! Il s’agit aussi d’une industrie qui emploie 5 lobbyistes pour chaque membre du Congrès.
Case et Deaton ont foi dans les vertus du capitalisme, pas dans le système américain contemporain
Case et Deaton ont foi dans les vertus du capitalisme, pas dans le système américain contemporain. Au-delà du seul secteur de la santé, ils observent des mécanismes antiredistributifs relevant du Shérif de Nottingham (en opposition à Robin des Bois), avec prélèvements sur les moins favorisés pour les plus aisés. Au total, ils critiquent un capitalisme qui ressemble à un racket (dixit) en faveur des financiers et des rentiers. En termes de solution, leur préférence va d’abord à la régulation des marchés, celui de la santé et des opioïdes au premier chef. Globalement, les deux auteurs, demandent de mettre fin aux facilités dont bénéficient les laboratoires pharmaceutiques, les banques et la promotion immobilière, des secteurs qui produisent largement les normes dont ils bénéficient. Mieux que les taxes, ce sont les réformes des procédures et des institutions qui doivent prévaloir.
Extraits
« Nous préférons combattre d’abord les rentes, ce qui, au final, conduit à réduire les inégalités »
« L’étendue du désespoir et des décès liés aux États-Unis a quelque chose de spécifiquement américain. Mais on peut en tirer des leçons plus larges. »
« Le Shérif de Nottingham réside aujourd’hui à Washington. »