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«What we owe each other. A new social contract », Minouche Shafik, Bodley Head, 2021, 233 pages.
Les ouvrages titrant sur le contrat social versent souvent dans le gnangnan. Ils citent Rousseau et échafaudent de grandes théories. Minouche Shafik évite cet écueil avec brio, définissant simplement le contrat social comme ce que l’on peut attendre, en société, les uns des autres.
À la tête de la London School of Economics (LSE), elle porte haut le flambeau de son institution. Parmi ses prédécesseurs célèbres, elle s’inscrit explicitement dans le sillon de l’économiste William Beveridge (père du rapport du même nom, à la base du système de protection sociale britannique) et du sociologue Anthony Giddens (pape de la « troisième voie »). Minouche Shafik veut, elle aussi, réconcilier le marché et l’État, dépasser le libéralisme et le socialisme.
Recettes progressistes
Son excellent livre, salué notamment par Christine Lagarde et Ursula von der Leyen, constitue une sorte de bréviaire du progressisme contemporain. Il s’agit d’une actualisation du projet social-démocrate, déclinable pour l’ensemble des pays du globe. Cherchant un équilibre entre responsabilités individuelles et responsabilités collectives, la perspective est résolument globale. Il faut dire qu’avant de diriger la LES, Minouche Shafik a eu une carrière internationale (à la Banque mondiale et au FMI notamment) qui l’a menée aux quatre coins du globe.
Elle plaide pour investir dans la petite enfance, dans les crèches et dans des congés familiaux plus égalitaires entre pères et mères
Partout, comme le note l’auteur, la crise Covid a, une nouvelle fois, montré l’importance de nos interdépendances, de nos obligations mutuelles et de la nécessité de mettre au pot commun. Traitant des évolutions de l’État providence conçu d’abord comme un instrument de redistribution au cours du cycle de vie, et pas seulement des riches vers les pauvres, Minouche Shafik dessine des réformes vigoureuses.
Prédistribution
Maîtrisant un volume impressionnant d’idées et de données, elle plaide pour investir dans la petite enfance, dans les crèches et dans des congés familiaux plus égalitaires entre pères et mères. En matière éducative, dans une logique de prédistribution, elle soutient le schéma d’une dotation en capital ou d’un prêt bonifié de quelques dizaines de milliers d’euros (dans les pays riches) afin que les jeunes puissent envisager l’avenir autrement.
Au sujet de la santé, la réformatrice veut un socle minimum universel pour tous et un soutien aux incitations à des comportements plus favorables à la santé. Contre le revenu universel, Minouche Shafik défend des salaires minimums décents. Elle veut aussi que l’on travaille plus longtemps, calibrant les retraites sur l’espérance de vie. Enfin, au titre des inégalités de génération, elle estime qu’il faut donner plus de poids aux jeunes, citant même, sans le retenir, un auteur qui défend un abaissement de l’âge du droit de vote à six ans !
À une productivité augmentée s’ajouteraient des ressources nouvelles tirées de taxes accrues sur la richesse
Le thème des finances ne s’élude pas. À une productivité augmentée s’ajouteraient des ressources nouvelles tirées de taxes accrues sur la richesse et les héritages. S’intéressant à « l’architecture des opportunités dans la société », cette doctrine ne veut pas étendre l’État-providence, mais investir véritablement dans les gens. Cet ouvrage extrêmement agréable fera référence. Pour être critiqué par ceux qui n’y voient que l’actualisation de recettes traditionnelles, même sous couvert de modernité. Pour être célébré par ceux qui cherchent des remèdes à l’extension des populismes à travers le monde.
Extraits
« L’État providence est, aux trois quarts, une caisse d’épargne personnelle (avec des assurances sociales obligatoires sur le cycle de vie) et seulement au quart un système Robin des Bois transférant des ressources des riches vers les pauvres. »
« D’une manière ou d’une autre, il faut donner plus de poids aux voix et aux intérêts des jeunes et des générations futures. »
« Nous sommes à une période de l’histoire où des choix doivent être faits. »