Refined sugar on blue background.Sugar cubes in form of skull.Concept of healthy eating, addiction to candy.
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James Walvin, Histoire du sucre, histoire du monde, La Découverte, 2020, 300 pages, 22 €.
L’historien britannique James Walvin n’y va pas avec le dos de la cuillère. Dans une analogie avec le tabac, il soutient que l’ingrédient familier, introduit maintenant au cœur de nombre d’aliments, fait l’objet d’une dangereuse diffusion soutenue par des lobbies agroalimentaires. Après avoir été au cœur d’une exploitation inutile et liberticide.
Ingrédient problématique
Aliment du quotidien, le sucre a toujours été source de problèmes. Réservé à la noblesse et à la haute Église dont les sculptures en sucre marquaient la domination sociale, il a fait de Louis XIV un roi sans dent tant la bouche du monarque s’y est abimée. C’était aussi le cas, en Angleterre, d’Elisabeth, première du nom (morte en 1603). Sur le plan sanitaire, note Walvin, le monde dispose de meilleurs dentistes qu’avant, mais l’obésité a progressé et de façon très rapide aux États-Unis particulièrement.
Cette histoire raconte le rôle des guerres et l’importance prise par la production industrielle sucrée de notre alimentation
L’usage du sucre s’est progressivement démocratisé pour se répandre dans l’ensemble de la population, d’abord par le développement de la consommation des thés et cafés sucrés par les domestiques, à qui les maîtres laissaient une part. Et ensuite par la baisse des prix liée à une exploitation croissante des terres pour la production, avec des dégâts environnementaux (déboisage) et humains (esclavage) énormes.
Une histoire du capitalisme et de la cuisine
C’est donc cette histoire que raconte James Walvin, des empires coloniaux à nos jours, en passant par la puissance du trust du sucre aux États-Unis fin XIXe-début XXe, le rôle des guerres et l’importance prise par la production industrielle sucrée de notre alimentation. Son livre original campe l’histoire d’un ingrédient auquel l’islam et la médecine confèrent une place singulière. Il retrace aussi, à sa manière l’histoire de la cuisine et des traditions alimentaires, les différentes séquences de mondialisation des aliments et des coutumes.
L’auteur rappelle que 8 % des enfants d’ouvriers sont obèses et 24 % en surpoids, contre 3 % et 12 % des enfants de cadre
Avec un petit clin d’œil sympathique à la cuisine française, dans un pays où la surconsommation de sucre aboutit toutefois aussi à une augmentation préoccupante de la population en surpoids. Relayant les données du ministère des Affaires sociales, l’auteur rappelle que 8 % des enfants d’ouvriers sont obèses et 24 % en surpoids, contre 3 % et 12 % des enfants de cadre. Les inégalités d’alimentation et de consommation sont aussi des inégalités de classe sociale.
Le capitalisme est formidable
Le problème du sucre est connu depuis longtemps et, là aussi, des scientifiques ont accepté d’être payés par les industriels pour servir leurs intérêts. Mais le capitalisme est formidable : l’industrie du corps en forme et celle des régimes alimentaires sont en plein boom. Voici un livre très appréciable qui souvent surprend car partout à travers ses paragraphes on apprend. L’attaque en règle contre Coca-Cola et McDonald et ce qu’ils représentent est peut-être, par endroits, surjouée, mais les arguments sont toujours fondés. On ne saurait dire de cette lecture qu’elle est sucrée. Elle est assurément épicée. Reste de gigantesques enjeux, incarnés en France par la nomination, mi-septembre 2020, d’un délégué interministériel pour la filière sucre.
Extraits
« Mais l’idée que le sucre est mauvais est récente ; s’il l’est à présent, quand était‐il bon ? Sous bien des aspects, il a toujours été nuisible. »
« Aujourd’hui, le sucré, les douceurs – et tous les mots qui en découlent – traduisent bien les plaisirs et les joies de l’existence. »
« Personne ne s’attend à ce que le sucre s’évapore. C’est une industrie qui emploie trop de monde, et l’attachement culturel au sucre est bien trop profond pour qu’il disparaisse du jour au lendemain. »
Histoire du sucre, histoire du monde, James Walvin