À Londres, le quartier Ikea n’est plus en kit

Marjolaine Koch

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À Londres, le quartier Ikea n’est plus en kit

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© Sallyanne4

Il y a six ans, nous nous penchions dans cette rubrique sur le quartier de Strand East, dans l’est londonien, destiné à devenir un quartier flambant neuf conçu par les bons soins d’Ikea. Entre le projet de départ et celui qui émerge actuellement, quelques changements significatifs ont eu lieu.

Il devait être avant-gardiste, sans voitures, mixte : Strand East n’est plus. Le projet existe bel et bien encore, mais son nom lui, a été modifié pour quelque chose de plus claquant. Cette ancienne friche industrielle se nomme désormais « Sugar House Island », « L’île de la maison du sucre », si l’on traduit. Autant vous dire que tout le rebranding a été revu. Et les plans aussi, un peu.

Lire notre précédente article

10 hectares d’entrepôts

À l’origine, Inter Ikea, filiale destinée à mener des projets à très long terme grâce au prélèvement de 3 % du chiffre d’affaires de la branche retail d’Ikea, a acheté une portion de terre près du site olympique de Londres, entre deux bras de rivière, dont le troisième côté du triangle est fermé par une autoroute, l’A118. Une friche industrielle de dix hectares composée principalement d’entrepôts en totale décrépitude. Pas cher : 39 millions de dollars. Ici allait naître un quartier sobre et généreux à la fois, destiné aussi bien à accueillir des bureaux que des habitants, et où ils pourraient s’adonner à leurs loisirs grâce à un aménagement futuriste. Des bateaux taxi pour se déplacer, 50 000 m² de bureaux, 1 200 logements du studio à la petite maison familiale, un hôtel de 350 chambres, des commerces, un centre médical, écoles et crèches…

La majorité des lieux seraient piétons et le stationnement des voitures uniquement souterrain.

Ici allait naître un quartier sobre et généreux accueilliant des bureaux et habitants, qui pourraient s’adonner à leurs loisirs grâce à un aménagement futuriste

Quant à l’énergie, elle serait fournie par une centrale hydroélectrique et les ordures évacuées par conduits souterrains. L’objectif, pour Ikea, était d’aménager un petit coin de paradis qui attirerait à la fois entreprises, créatifs freelance exclus du centre de Londres à cause des loyers prohibitifs, et la classe moyenne – celle qui s’équipe justement chez Ikea.

Considérations urbaines

Lancé en 2012, le projet a connu quelques soubresauts, mais il est bel et bien en train de sortir de terre. Plus de quatre ans ont été nécessaires pour déblayer le site, reconstruire les murs trop dégradés des berges, décontaminer le sol et le préparer à recevoir ses nouveaux bâtiments. Entre-temps, Ikea a repensé sa stratégie à l’échelle internationale. Désormais, la fameuse marque en kit n’apparaît plus. Une autre a pris sa place en 2016 : Vastint, mais les deux groupes partagent encore le même propriétaire, the Interogo Foundation.

Désormais, Ikea n’apparaît plus. Une autre marque a pris sa place en 2016

Vastint se définit comme un promoteur immobilier soucieux de comprendre le tissu local pour mieux intégrer son quartier. D’une idée de départ qui reposait sur des bâtiments en usage mixte et autosuffisants en énergie, Vastint a glissé vers des considérations urbaines prenant peut-être plus en compte la dimension humaine d’un aménagement de cette taille. Mais tout en restant un promoteur immobilier.

Une certaine vision rentable

Et c’est aux détails que l’on peut noter une certaine vision rentable du projet. La nouvelle mouture, qui est en train de sortir de terre, semble plus aérée, notamment au niveau de la pointe de l’île, dans le coude de la rivière. Une vaste place, des arbres, des bancs… une belle zone de rencontre. Mais si les aménagements semblent offrir plus de place à la verdure et aux espaces conviviaux, on note certaines disparitions : il n’est plus question d’implanter un centre médical, ni une crèche. Seule une école primaire est prévue.

Une bonne partie des infrastructures gourmandes en surface foncière et peu rentables semblent avoir été balayées

Finalement, il n’est plus question de centrale hydroélectrique qui rendrait le quartier autosuffisant, l’énergie fait l’objet d’un contrat avec la société Vital Energy. Enfin, les ordures évacuées par conduits souterrains : c’est l’idée même du projet qui semble avoir été évacuée discrètement. Autrement dit, une bonne partie des infrastructures gourmandes en surface foncière et peu rentables semblent avoir été balayées.

Les racines du quartier, la clé d’un bon « branding »

Le nom initial, « Strand East », ne racontait rien du passé du quartier. Le récit a été repris en main, pour créer un lien fort avec la future communauté qui s’installerait ici. En 2017, exit Strand East, appelez désormais ces lieux « Sugar House Island », en hommage à la rue Sugar House qui traverse le centre du site, et qui abritait au 19e siècle une raffinerie de sucre. La vieille maison victorienne a été conservée, devenant le futur emblème du quartier ; elle abritera à la fois des espaces de travail et des unités résidentielles.

Le terme « île », de son côté, réenchante la position insulaire de cette ancienne friche coincée entre deux bras d’eau et une autoroute… tout est question de vocabulaire. L’histoire de Strand East est racontée en détail sur le site de Vastint, pour mettre en avant le flamboyant passé industriel de cette zone où des moulins alimentés en eau permettaient à la production et la coloration textile de tourner, tout comme une distillerie de gin. Et l’économie de l’époque, où le moulin broyait les céréales pour le gin, puis livrait à la porcherie d’à côté la bouillie de céréales qui en résultait, qui à son tour livrait l’industrie chinoise locale en os de porcs et les fabricants de savon en graisses, devient soudain un formidable système d’économie circulaire dont il faut s’inspirer pour construire le présent.

L’objectif, bien sûr, est de rattacher ce quartier sorti de terre en quelques années au passé du territoire, pour que les futurs habitants se l’approprient et aient le sentiment de s’inscrire dans une continuité, pour écrire une nouvelle page d’un lieu qui a bien vécu. Hommage au passé, stimulation de l’imaginaire, sagesse ancestrale… voici, à n’en pas douter, les ingrédients d’un bon branding pour stimuler l’envie de s’installer dans ce quartier flambant neuf.

Place au vélo

Les voitures, elles, ne seront pas beaucoup mieux loties dans ce nouveau projet : si des voies de circulation sont bien prévues, le stationnement en surface reste banni. L’espace habituellement dédié aux voitures en stationnement peut ainsi être alloué aux autres usagers, riverains et promeneurs. Des parkings souterrains, mais aussi des voituriers, seront mis à disposition de ceux qui le souhaitent – autres que les créatifs freelance, cela va de soi.

Toute une infrastructure et des services ont été imaginés pour que les habitants puissent privilégier le vélo

Un autre véhicule a trouvé une place qu’il n’avait pas dans le premier projet : le vélo. Toute une infrastructure et des services ont été imaginés pour que les habitants puissent privilégier ce moyen de locomotion, qui s’est amplement développé à Londres depuis le lancement du projet. « The Greenway », un réseau qui longe les canaux, viendra jusqu’à Sugar House Island, et les cyclistes pourront aussi rapidement rejoindre l’autoroute à vélo située sur Stratford High Street. Les besoins annexes, comme le stockage du vélo, ont déjà été pris en compte avec l’installation de garages sécurisés, mais aussi de vestiaires et de douches dans les bureaux. Vastint promet même des équipements cyclables surprises pour 2022, avec Five at Heart, une société spécialiste du mobilier urbain cyclable, connue à Londres pour son service de serviettes propres livrées aux travailleurs cyclistes quotidiennement. L’idée de classe moyenne chère à Ikea a peut-être un peu de plomb dans l’aile.

D’abord attirer l’industrie créative

Pour l’heure, 9 000 m² de bureaux sont sortis de terre et déjà à la location : Dean’s Yard, c’est le nom du lot, se découpe en huit bâtiments rénovés ou neufs, destinés à attirer d’abord l’industrie créative. Cet été, mais peut-être plus tard au vu de la crise actuelle, 140 logements en bordure de rivière devaient être livrés, studio, appartements et « mews houses », de petites maisons familiales typiques de Londres.

Vastint l’affiche clairement : son objectif est de s’engager sur une propriété longue durée, donc une gestion du site longue durée.

D’ici 2024, Vastint espère achever 58 000 m² de bureaux et 1 200 logements, ainsi que l’aménagement de 12 000 m² d’espaces verts. Des restaurants, des cafés, boutiques, une école primaire et un grand hôtel compléteront l’offre. Le schéma de développement fait une balance entre travail, lieu de vie et de loisirs, pour créer un voisinage intégré et animé. L’idée est d’offrir un quartier vivant en semaine comme le week-end, ce qui permettrait aux commerçants de s’implanter plus facilement et de pérenniser leur affaire.

Copropriété géante

Vastint l’affiche clairement : son objectif est de s’engager sur une propriété longue durée, donc une gestion du site longue durée. L’idée n’est pas de faire sortir les bâtiments de terre, les vendre et passer à un autre chantier, mais d’en être bel et bien le gestionnaire. Les particuliers qui choisiront soit de louer un bien à Vastint, soit d’en acheter un, conserveront un interlocuteur local privé, sorte de copropriété géante à l’échelle d’un quartier. Et surtout, un échelon supplémentaire à celui de la collectivité. Il sera intéressant, dans quelques années, d’étudier cette fois-ci les ajustements nécessaires entre ces deux entités…

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