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Article publié le 14 janvier 2015
La ville de Lyon détient le label diversité (Label délivré par l’Afnor. Dans ce cadre, la ville de Lyon développe des actions, programmes, outils pour cultiver la diversité culturelle, intergénérationnelle, la mixité au sein de ses effectifs). Bien des agents peuvent s’en réjouir et penser : « C’est bien : on m’accepte tel que je suis… ».
Que faire… quand des agents refusent d’effectuer certains gestes pendant leur travail au nom de la religion ?
À ceci près que la religion n’a pas droit de cité dans les services publics. « Quand vous êtes en fonction, vous êtes neutre et devez vous plier à certaines règles de fonctionnement » rappelle Sylviane Gachet, directrice emploi et compétences à la ville de Lyon. Autrement dit, au nom du principe de neutralité, les services publics doivent faire appliquer la laïcité aux agents. Dans la pratique, des questions surgissent tous les jours. Que faire… quand des agents refusent d’effectuer certains gestes pendant leur travail au nom de la religion ? Ou quand une cuisinière, au nom de sa confession, refuse de toucher la viande de porc ? Le cap de la laïcité n’est pas simple à tenir. Le management de la diversité ne s’improvise pas. C’est pourquoi, quatre managers de la ville de Lyon se sont portés volontaires pour suivre la formation « Religion, liberté religieuse et laïcité ».
Formation civique avec des religieux
De janvier à septembre 2014, à raison de quatre heures de cours du soir par semaine, les cadres de Lyon se sont plongés dans les textes relatifs à la laïcité et toute la jurisprudence qui en découle. Ils ont aussi approfondi leurs connaissances des cultures et pratiques religieuses.
Initié en 2013, le diplôme universitaire lyonnais « Religion, liberté religieuse et laïcité » ((Le diplôme est conjointement délivré par l’université Lyon 3 et l’université catholique de Lyon, en lien avec l’Institut français de civilisation musulmane et le conseil régional du culte musulman Rhône-Alpes, avec le soutien de la préfecture du Rhône.)) a cette particularité de brasser des religieux et des agents des trois fonctions publiques, lesquels représentent la moitié de la promotion de trente étudiants. Les agents des collectivités territoriales constituent environ un quart des effectifs.
« Les gens arrivent avec des idées préconçues sur la laïcité et les différences. Et ils repartent différents. Ce sont toujours les mêmes personnes, mais avec des idées plus sûres, ils sont plus fermes. »
« Après Paris et Strasbourg, Lyon est la troisième expérience en France de formation civique avec des religieux, et la première à mixer les trois catégories d’agents de la fonction publique » souligne Mathilde Philip-Gay codirectrice du DU, maître de conférences en droit public à l’Université Jean Moulin Lyon 3.
Sylviane Gachet, l’une des promues 2014 de la ville de Lyon, explique sa motivation : « J’ai suivi ce DU, parce que je suis intéressée par l’histoire, les cultures… Par ailleurs, j’ai été élevée dans le cadre de règles chrétiennes. Cela permettait d’avoir des notions sur l’islam et le judaïsme… L’autre motivation étant bien sûr que les questions du fait religieux sont de plus en plus nombreuses dans les RH et dans les services ».
C’est une formation qui chamboule un peu, prévient Mathilde Philip-Gay : « Les gens arrivent avec des idées préconçues sur la laïcité et les différences. Et ils repartent différents. Ce sont toujours les mêmes personnes, mais avec des idées plus sûres, ils sont plus fermes ».
Réflexes à acquérir
Outre les modules classiques, six journées de mise en situation (trois sessions de deux jours) sont proposées. Lors de ces journées, des cas concrets sont soumis aux étudiants, d’abord séparément aux agents de la fonction publique d’un côté et aux religieux de l’autre. Chacun donne sa lecture de la manière dont on pourrait résoudre la situation, liée à la religion et à l’application de la laïcité.
Ensuite les deux groupes sont réunis, et une solution commune est trouvée. « C’est là qu’on établit une grille lecture. Et c’est fabuleux, comme on trouve des solutions sur des faits qui ont l’air vraiment bloqués » assure Mathilde Philip-Gay. Exemple de cas sur lequel a planché la promotion 2014 : dans un collège, des jeunes ados de 12 et 13 ans demandent à faire la prière continuellement le long de la journée (cas réel). Comment agir ? « Il y a des réflexes à acquérir, indique la codirectrice. D’une part, traiter le fait comme n’étant pas religieux, d’autre part, observer les règles de droit, pour se rendre compte qu’on résout la plupart des conflits… Dans ce cas précis, en enlevant le caractère religieux, les adolescents deviennent des ados qui refusent d’être soumis à la loi commune. Il faut arrêter de parler des prières. Ce que l’on voit, ce sont des enfants qui dérogent au règlement intérieur… Et ça, c’est juste inacceptable. »
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Partager la connaissance de la laïcité
Chacun a rédigé un mémoire, dont le thème lui a été inspiré par son expérience de terrain. Les sujets abordent l’alimentation dans la restauration scolaire ; la pratique managériale de la laïcité dans les services enfance et sports ; la question de l’influence de la laïcité sur le choix du nom des écoles de la ville de Lyon (mémoire en cours de finalisation)… « Les mémoires vont servir de support aux prochains référentiels et outils de la ville, en faveur de la dynamisation de la diversité » déclare Alexandre Kozak, responsable de la mission égalité de la ville de Lyon.
L’une des diplômées, Brigitte Berthet, responsable du service aux écoles, a souhaité rédiger « un guide pratique de la laïcité pour les managers de la direction de l’éducation » avec dix-sept fiches actions. Ce guide peut servir dès à présent à un certain nombre de managers au-delà de la direction de l’éducation.
« Les mémoires vont servir de support aux prochains référentiels et outils de la ville, en faveur de la dynamisation de la diversité »
Elle est partie de questions concrètes… « Comment réagir face à des agents qui portent des signes ostentatoires, style bandana ? » « Une vacataire veut garder son voile, parce qu’elle n’est pas titulaire… ». Prenons ce dernier cas, si la réponse est évidente (quel que soit son statut, un agent doit rester neutre), cela ne dispense pas de dialoguer, de partager la connaissance de la laïcité avec les personnes concernées, insiste Brigitte Berthet : « Il m’est arrivé de recevoir une vacataire, avec son mari, et un président d’association, de passer deux heures pour expliquer que, non, le foulard ne pouvait pas être porté… ».
La responsable du service aux écoles anime prochainement un séminaire sur la laïcité et le fait religieux, pour la direction de l’enfance. Y participeront 70 directrices de crèche. Quatre thématiques seront abordées : les ports de signes ; le temps de travail ; les facteurs d’ambiance dans les équipes ; les repas et l’alimentation…
Assurer la continuité de services
À l’examen (rapide) des mémoires produits, on constate que les solutions existent… Le service restauration scolaire de Lyon réussit ainsi plutôt bien à concilier la liberté de conscience avec le principe de laïcité et son corollaire, le principe de neutralité. Il a suffi de mettre en place un système de double menu : l’un classique, l’autre « sans viande ».
En revanche, quelles règles adopter — et à quels niveaux (par service, direction, équipe…) — pour faire face à l’absence d’agents quand arrive la période du ramadan ? Il faut bien assurer la continuité de services, en particulier dans les petites équipes. Dans les préconisations de son mémoire, Sylviane Gachet suggère d’aborder cette question dès le recrutement des agents. Pour cette responsable et nouvelle diplômée, ce chantier n’en est qu’à son début…