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© Lasserpe
Pour certains, c’était écrit… Au cœur de la campagne municipale de Marseille, étirée pour cause de Covid-19, une question sourdait sans pour autant occuper le devant de la scène : comment, dans la configuration d’une victoire de la gauche, le programme de cette dernière serait-il décliné avec une métropole très ancrée à droite (Martine Vassal, l’ex-adversaire de Michèle Rubirola, dispose d’une majorité de 145 voix sur 240 élus), des compétences très métropolisées et d’autres collectivités périphériques (le département présidé… par Vassal et la région par Renaud Muselier, lui aussi LR) ?
Métropolisation non désirée
Beaucoup imaginaient cette impasse politique dans laquelle nous sommes aujourd’hui plongés. En 2008, un scénario identique s’était produit, avec la désignation, contre toute attente, d’Eugène Caselli (PS) à la présidence de l’ex-communauté urbaine de Marseille face à Renaud Muselier (alors UMP, aujourd’hui LR), trahi par les siens.
La CRC pointe la faiblesse de la gouvernance métropolitaine à la métropole Aix-Marseille-Provence
La comparaison s’arrête là : Jean-Claude Gaudin, ex-maire de Marseille, avait vite fait de conclure avec Jean-Noël Guérini, président PS du département et véritable homme fort du PS local, un pacte de gouvernance visant à limiter les effets de cette anomalie politique pour se fixer sur l’objectif de mener à bien les projets métropolitains convergents. À aucun moment, face à une métropolisation non désirée de la communauté urbaine et où les prérogatives des maires ont toujours été chouchoutées, le moindre coup de canif vint menacer ce pacte de gouvernance.
Les petits muscles de la grande ville centre
Aujourd’hui, le contexte est différent. Dans son récent rapport, de portée nationale et donc non focalisée sur ce qui fait le sel des observations des magistrats, à savoir les recrutements outranciers des contractuels, l’état du bâti des équipements municipaux, etc., la chambre régionale des comptes (CRC) pointe la faiblesse de la gouvernance métropolitaine à la métropole Aix-Marseille-Provence.
Aux journalistes qu’elle croise, Martine Vassal ne cesse de dire qu’elle entretient les meilleures relations avec Michèle Rubirola
Sur le site d’investigation Marsactu (16 octobre 2020), Olivia Fortin, quatrième adjointe de Michèle Rubirola, chargée de la modernisation, du fonctionnement, de la transparence et de la qualité des services municipaux, a réagi à la publication dudit rapport : « La proposition qui est formulée de revoir l’organisation des compétences est quelque chose qui nous parle, particulièrement à Marseille. Il est rare en France que les métropoles ne soient pas alignées politiquement avec les villes qui en forment le noyau. Mardi au conseil de territoire ((Les conseils de territoire agissent pour le compte du conseil de la métropole dans le respect des objectifs et règles fixés par ce dernier. La métropole Aix-Marseille-Provence est organisée en six territoires : Marseille-Provence (18 communes), Pays d’Aix (36 communes), Pays Salonais (17 communes), Pays d’Aubagne et de l’Étoile (12 communes), Istres Ouest Provence (6 communes) et Pays de Martigues (3 communes).)), nous avions demandé le retrait d’un rapport qui concernait un projet d’urbanisme et cette demande n’a pas été acceptée ».
Incroyable mais vrai ! Vassal et Rubirola ne se sont pas encore rencontrées
Toujours sur le site Marsactu, Anne Meilhac, élue du Printemps marseillais, confirme que les relations de travail entre la métropole et la ville centre n’étaient « pas normales ». Comment faire en sorte de dépasser cette rivalité politique, somme toute assez classique en France, pour tenter, ne serait-ce que par respect du choix des Marseillais, de trouver des compromis ?
La maire et la présidente savent très bien qu’elles ne peuvent jouer plus longtemps au jeu du chat et de la souris
Aux journalistes qu’elle croise, Martine Vassal ne cesse de dire qu’elle entretient les meilleures relations avec Michèle Rubirola et qu’elle attend que cette dernière lui parle de ses projets. Un propos contesté par certains élus du Printemps marseillais, évoquant même des difficultés à travailler avec l’administration métropolitaine.
Benoît Payan, le maire bis
Les deux élues ont prévu de se rencontrer dans les prochaines semaines afin de donner une visibilité plus grande au couple ville-métropole. Martine Vassal et Michèle Rubirola savent très bien qu’elles ne peuvent jouer plus longtemps au jeu du chat et de la souris. Pour la première, qui n’a certainement pas abandonné l’idée de prendre sa revanche en 2026, il ne faut pas donner le sentiment de se détourner de la ville centre. Pour Michèle Rubirola, au-delà de sa propre personne et des interrogations autour de sa volonté de s’inscrire dans la durée, il est nécessaire de rassurer les Marseillais sur la capacité de cette démarche politique innovante à relever les défis du concret.
Il est temps que le Printemps marseillais intègre la dimension institutionnelle dans laquelle il doit mener à bien ses projets
« Nous allons défendre les projets pour lesquels nous avons été élus », martèle Benoît Payan, le très influent premier adjoint de Michèle Rubirola, que d’aucuns appellent le maire bis. Une phrase trop imprégnée encore de politique alors que les urnes se sont refermées et qu’il est temps que le Printemps marseillais intègre la dimension institutionnelle dans laquelle il doit mener à bien ses projets. Déplacements, mobilités, logement, habitat… Autant de dossiers capitaux qui réclameront un gentleman agreement. Dans le cas contraire, les électeurs marseillais, peu au fait des subtilités relationnelles institutionnelles, risqueraient de ne pas y trouver leurs comptes.
Trois petits mois et puis s’en va ?
Autant le dire comme beaucoup le pensent : la nouvelle maire de Marseille, Michèle Rubirola, est un ovni politique. Médecin, elle relève de cette génération d’élus formés sur le tas, sans plan de carrière, profitant justement de l’essoufflement des carriéristes, dont la sincérité citoyenne est aussi authentique et ressentie que le refus de s’inscrire dans la durée pour le simple plaisir de… durer ! Pour autant, le dégagisme peut avoir pour effet non désiré le glissement vers un certain amateurisme. Femme habitée par le sens de la justice, plus à l’aise auprès des victimes de la crise que dans les couloirs préfectoraux, la nouvelle maire apparaît comme ayant été désignée par le Printemps marseillais parce qu’elle pouvait être le dénominateur commun d’un ensemble hétéroclite de onze peinant à envisager un Printemps politique qui, finalement, survint. La vraie histoire du succès politique de Michèle Rubirola est là : être l’incarnation d’un possible alignement de planètes qui a fini par créer les conditions d’une victoire, certes étriquée, mais réelle.
Marseille en avait marre d’être en queue de peloton des nombreux classements sur la performance des services publics
Marseille en avait marre d’être en queue de peloton des nombreux classements sur la performance des services publics : école, qualité de l’air, infrastructures sportives, etc. Marseille change, sa sociologie change, et les habitants veulent croire à un horizon plus emballant dans une ville qui, il est vrai, dispose d’incroyables atouts en termes de cadre de vie. Un article du Monde révélait récemment que Michèle Rubirola avait confié à François Lamy, ancien ministre de la Ville, pressenti pour être son directeur de cabinet, qu’elle n’était en place que pour les trois prochains mois. Une confession pas vraiment démentie, qui laisse à ce jour planer un malaise au sein même des rangs du Printemps, composé d’élus habités par la seule volonté de faire et non de subir un système dont ils ont tant fustigé les errances. La droite en jubilerait presque : « Rubirola est là », slogan de campagne du Printemps marseillais, est désormais raillé… « Mais pour quoi faire ? ».