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Les villes américaines ont longtemps incarné la déliquescence. Elles connaissent aujourd’hui les plus bas niveaux de violence de leur histoire. Comment expliquer une telle évolution ?
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La nécessaire pacification urbaine
Professeur de sociologie à New York – une ville qui personnalisait la faillite urbaine dans les années 1970 –, Patrick Sharkey pèse les hypothèses et les données. Il montre combien il a été utile de débarrasser les espaces publics des tags, gangs et deals.
Trois raisons à ce succès urbain américain. D’abord, l’investissement policier. Les rues ont été équipées en policiers mais aussi en sécurité privée et en caméras de surveillance. Ensuite, le recours à la prison. Les États-Unis ont conduit une politique d’incarcération massive. 200 000 détenus au début des années 1970, plus de 2 millions maintenant. Enfin, la mobilisation des communautés locales. Les habitants ont accompagné le mouvement de reconquête des territoires, en surveillant leurs quartiers.
Un enjeu majeur consiste aujourd’hui à rétablir la confiance entre les forces de l’ordre et les minorités s’estimant discriminées
Patrick Sharkey connaît les débats sur les limites des pratiques de « tolérance zéro » et de l’idée de la vitre cassée. Il écrit simplement que ces politiques, avec leur brutalité assumée, et ces mobilisations ont réussi à transformer l’espace public et à réduire la criminalité. Il rappelle combien ces progrès ont d’abord profité aux populations les plus défavorisées qui sont les premières à pâtir des conséquences de l’insécurité.
Des vies ont été sauvées. Des familles sont revenues des banlieues où elles s’étaient installées. Les performances scolaires des enfants ont été améliorées (car ils n’ont plus peur d’aller à l’école). Un enjeu majeur consiste aujourd’hui à rétablir la confiance entre les forces de l’ordre et les minorités s’estimant discriminées.
Plus largement, Sharkey pense que, à un âge de colossales inégalités, il importe d’investir puissamment, en particulier pour le logement des plus modestes.
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Une justice de management des conduites
La plongée dans l’expérience new-yorkaise se veut évaluation critique d’une opération vantée par le marketing urbain. Il faut cependant se pencher sur la pratique judiciaire. Les tribunaux ont été surchargés de crimes « mineurs » et d’infractions « triviales » comme conduire sans permis, uriner dans la rue ou fumer des joints.
Des centaines de milliers de personnes passées devant la justice pour de petites infractions ont été triées, fichées, surveillées, avec multiplication des gardes à vue et des contraventions. La démarche, à ce dernier titre, a d’ailleurs contribué positivement aux finances publiques.
Si les populations et territoires défavorisés bénéficient plus que les autres de l’application de la vitre cassée, c’est aussi à eux qu’il en coûte
Les frappes contre les moindres inconduites ont à la fois et protégé et touché les plus pauvres. Si les populations et territoires défavorisés bénéficient plus que les autres de l’application de la vitre cassée, c’est aussi à eux qu’il en coûte. La justice reproduit en partie les inégalités sociales et raciales.
Qu’en retenir pour la France ? La situation de bien des rues et quartiers appelle probablement de la police dite de « qualité de vie » et de la tolérance zéro. Mais le cas américain rappelle que le maintien de l’ordre demeure toujours compliqué en démocratie.
Patrick Sharkey, Uneasy Peace. The Great Crime Decline, the Renewal of City Life, and the Next War on Violence, Norton, 2018, 244 pages.
Extraits
« En période de sécurité plus assurée, il faut moins de « guerriers » dans les rues et davantage de « gardiens ». »
« Le sujet américain n’est plus celui de villes d’abord violentes, mais de villes d’abord inégales. »
« La théorie de la vitre cassée est une théorie de l’efficacité. »