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Le discours, trop souvent, est marqué par la déploration. À tel point que les citoyens seraient tentés de baisser les bras. Puisque les dés sont jetés et que le pire climatique est à venir, pourquoi se prendre la tête ? Certaines études, même si elles ne ramènent pas le sourire sur le visage des défaitistes, offrent des alternatives et balisent le chemin pour y arriver. C’est le cas des conclusions du projet européen Climaera. Les armes pour lutter contre le réchauffement climatique et la pollution atmosphérique font rarement l’objet d’une approche commune. Ce projet (www.climaera.eu) présente cette particularité « d’évaluer la qualité de l’air entre plusieurs régions françaises (Paca et Auvergne Rhône-Alpes) et italiennes (Ligurie, Piémont et vallée d’Aoste) en tenant compte des changements climatiques », peut-on lire dans le document de synthèse. L’étude entend ainsi élaborer « des préconisations pour diminuer les émissions de gaz à effet de serre et polluants » et vise à mieux « comprendre les freins du grand public face aux changements des comportements et […] définir les messages et les outils les plus adaptés pour y répondre ». Cette étude, lancée en 2017, a été rendue publique fin octobre. Alexandre Armengaud, responsable scientifique et à la coopération internationale à Atmosud, association de surveillance de la qualité de l’air en Paca, participant au projet, en tire les principaux enseignements.
Quelles sont les raisons qui ont poussé à lancer un tel projet ?
Tous les partenaires du projet ((Ce projet européen est soutenu par les régions de Ligurie et de la Vallée d’Aoste (Italie), l’Agence régionale pour la protection de l’environnement du Piémont (ARPA Piemonte) et les réseaux de surveillance de la qualité de l’air Atmo Auvergne Rhône-Alpes et Atmosud pour la région Paca.)) sont partis du constat assez simple qu’il existe d’un côté une échelle temporelle de mesure de la qualité de l’air sur dix à quinze ans visant à réduire les pollutions et, de l’autre, des plans climat dans les territoires qui n’intégraient pas ce paramètre de la qualité de l’air. Les deux communautés scientifiques ne travaillent pas ensemble.
Les territoires s’adaptent au défi du changement climatique et la population est prête à sauter le pas, surtout si on lui en donne les moyens
Par ailleurs, le grand public a du mal à intégrer la diminution des CO2 dans une démarche citoyenne quotidienne. Nous avons donc sondé la population. Elle est plus prête à aérer les pièces, à opter pour un meilleur chauffage afin de diminuer les émanations de particules, mais la population résiste plus dès qu’il s’agit de se détourner de la voiture, 85 % des personnes interrogées s’y refusant du fait d’une inadaptation de l’offre des transports en commun, malgré les efforts réalisés ces dernières années dans les grandes villes. Les sondés regardent avec curiosité l’extension de l’offre des voitures électriques et hybrides mais le passage à l’acte reste soumis à l’installation plus massive de bornes de recharges électriques. Toujours est-il que les territoires s’adaptent de plus en plus au défi du changement climatique et que la population est prête à sauter le pas, à son rythme et surtout si on lui en donne les moyens.
Les projections menées dans l’étude, à 2030 et 2050, prennent donc en compte une qualité de l’air impactée par le réchauffement climatique. Comment avez-vous mené cette démarche ?
Nous avons intégré les variables climatologiques au jour le jour, celles qui servent à vous annoncer la météo du lendemain étendues donc à des dizaines d’années. Nos indicateurs, en région Paca, sont très fiables, ils sont disposés sur 150 000 axes routiers. Nous nous sommes appuyés sur le GIEEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) pour valider la démarche. L’ensemble de ces données établit que le réchauffement climatique sera de 3 à 4 degrés en plus sur certains territoires de l’arc alpin franco-italien et de 2 °C en moyenne sur l’ensemble de cet arc. Conséquences, les journées de gel seront donc moins importantes. La limite pluie-gel va remonter dans les montagnes. Ce qui implique que certaines stations de ski, dont le modèle économique repose sur la présence régulière de neige, peuvent d’ores et déjà envisager de nouvelles activités pour assurer leur survie. Sinon, elles risquent bien de disparaître dans les 15 à 20 ans.
Les Marseillais se convertissent au vélo
Dans le même esprit que l’étude Climaera, l’Agam (Agence d’urbanisme de l’agglomération marseillaise) aime aussi voir le verre à moitié plein plutôt que vide. Elle a publié le 20 mai 2020 une note sur la « Mobilité et la Covid-19 » montrant que le comportement de la population peut aider à ralentir, voire éviter la survenue du pire des scénarios évoqué dans l’article. « L’objectif de cette note était de réunir les bouts d’infos dont nous disposions, de les comparer à nos propres statistiques et d’offrir aux acteurs et décideurs des éléments de contexte », affirme Vincent Tinet, chef de pôle Mobilités à l’Agam. « Les périodes de confinement du 16 mars au 11 mai puis le déconfinement progressif ont modifié profondément les mobilités », peut-on lire dans la note. Pour donner de la consistance à ces changements, la synthèse s’appuie sur les données « des téléphones mobiles (Apple et Google), les comptages (Cerema), les preuves de covoiturage et les offres de TC via les fichiers GTFS ». Les habitants de l’agglomération marseillaise et de la région Sud auraient-ils changé leurs habitudes en termes de mobilités depuis le déconfinement ? « Dans les deux territoires que vous évoquez, de la mi-mai à la fin juin, il semblerait que le recours aux transports en commun a été plus fort que dans d’autres régions de France et d’autres pays comparables au nôtre. Les données recoupées des opérateurs laissent entendre que cet engouement se traduit par + 30 % de fréquentation dans les transports en commun en comparaison avec les statistiques disponibles ailleurs. Quand la Régie des transports marseillais (RTM) parle d’une baisse de 25 % de la fréquentation, elle souligne un différentiel entre l’avant et l’après-confinement. Sans doute le fait que Marseille ait connu une saison touristique exceptionnelle explique en grande partie cette hausse à relativiser par rapport à la période anté-Covid-19 ». Tous les indicateurs sont au vert. Peut-on donc en déterminer que dans une ville peu compatible avec le vélo, les pratiques imposeraient aux élus de s’adapter ? « Les chiffres nationaux établissent une hausse de 30 %. Cette croissance se retrouve en effet à Marseille. L’association Vélo en ville dispose de 7 points de comptage à Marseille et ce chiffre est avéré par ce comptage visuel, pratique mise en place il y a une dizaine d’années. En 2019, Marseille était sur une tendance haussière de 10 % par an, un même ordre de grandeur qu’en France. La vente des vélos électriques a triplé à Marseille depuis 2017. 88 % des Marseillais sont favorables au maintien aux pistes cyclables provisoires créées pendant le confinement, selon un sondage Ifop pour le réseau Action Climat. On assiste à une vraie conversion au vélo des Marseillais ».
Quels sont les autres enseignements de l’étude ?
Nous avons modélisé plusieurs scénarios climatiques à l’horizon 2030 dans les régions transalpines franco-italiennes. Notre objectif est d’inspirer des actions locales pour diminuer les rejets de CO2 et les émissions d’autres gaz à effet de serre dans l’atmosphère.
Trois données ont fait l’objet de croisements : l’évolution météorologique via un modèle climatique régional, les émissions de gaz à effet de serre et les émissions de particules fines et de polluants en 2030. Le scénario d’émissions de gaz à effet de serre est le scénario médian du GIEC (RCP 4.5, pour Representative Concentration Pathway). Ce scénario table sur une stabilisation des émissions de gaz à effet de serre à la moitié des niveaux actuels à l’horizon 2080. Or, nous obtenons un résultat sans appel, à savoir une hausse des températures de 2° C en moyenne à l’horizon 2030 dans les deux régions françaises et trois italiennes étudiées. Dans les régions montagneuses, l’Auvergne Rhône-Alpes, la Provence-Alpes-Côte d’Azur, la Ligurie, le Piémont et la Vallée d’Aoste subiront une augmentation de 3 °C.
Est-ce que ce constat peut évoluer ? Comment les collectivités territoriales peuvent-elles se mobiliser pour inverser le scénario ?
Climaera a testé deux scénarios. Dans le cas où la météorologie reste en l’état, les particules fines PM10 diminueraient grâce aux mesures mises en place au niveau des territoires, de l’ordre de 20 %. Or, dans le deuxième scénario, incluant l’impact du réchauffement climatique sur la qualité de l’air, les particules fines repartiraient à la hausse. Autrement dit, le changement climatique annule les efforts de réduction d’émissions de particules fines menées notamment par les collectivités territoriales. L’augmentation est particulièrement parlante dans la région lyonnaise et le Piémont notamment. Mais nous pensons qu’il est encore possible d’agir. Nous proposons 7 actions locales sur les territoires transalpins. L’une d’entre elles consiste à améliorer le transport maritime dans les régions littorales étudiées. Concrètement, l’électrification des quais dans les ports de Marseille, Lyon et Toulon aura un impact évident.
Des mesures locales pourraient favoriser une baisse allant jusqu’à 10 % des concentrations de PM10
Une autre action consiste à faire évoluer la norme Euro VII pour les véhicules (Ndlr, elle devrait entrer en vigueur entre 2023 et 2025 et réduirait encore plus l’émission de gaz polluants des véhicules). D’autres mesures concerneraient le chauffage domestique, comme une meilleure maîtrise des rejets du bois-énergie, cette dernière émettant des particules très cancérogènes malgré son caractère renouvelable. Ces mesures locales pourraient favoriser une baisse allant jusqu’à 10 % des concentrations de PM10. Nous avons sondé près de 1 500 personnes dans les régions concernées. 82 % d’entre elles sont prêtes à évoluer mais elles assurent être mal informées. Il est donc temps de renforcer l’information pour activer cette responsabilisation de la population.