Approches de la pauvreté

Julien Damon

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Approches de la pauvreté

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Pour de meilleures mesures contre la pauvreté, il faut de meilleures mesures de la pauvreté. Méthodologies et données abondent à travers le monde. Mais elles sont encore à parfaire. L’ultime livre de l’économiste britannique Anthony Atkinson est un ouvrage de référence.

Anthony Atkison, Measuring Poverty Around the World, Princeton University Press, 2019, 408 pages.

Le monde progresse dans son ambition d’éradication de la pauvreté. Selon les chiffres de la Banque mondiale, moins d’un milliard de personnes vivraient sous le seuil de 1,9 dollar par jour de pouvoir d’achat. L’institution de Washington indique que, à cette aune, le taux de pauvreté serait, en France, de zéro. Aucun pauvre en France ?

Les chiffres doivent-ils être établis au niveau des individus, des ménages, des villages, des régions, des nations ?

Autre surprise : la pauvreté concernerait 70 % des habitants du Zimbabwe, selon la définition nationale, 20 % selon l’approche internationale. L’économiste Anthony Atkinson, disparu début 2017, éclaire ces définitions et évolutions, ces calages et décalages. Dans un ouvrage inabouti, car il n’aura pu être achevé que de manière posthume, avec le concours de proches, ce spécialiste des inégalités invite à un tour du monde qui est également un tour de force. Son idée : rapprocher les dimensions proprement nationales et locales avec les méthodes internationales. Un test de cohérence en quelque sorte.

Voir aussi : Quand la pauvreté progresse à nouveau en France

Une pauvreté toujours multifacette

Avec clarté et une touche d’humour, l’expert revient sur ses sujets de prédilection qui l’ont fait travailler pour l’OCDE, la Banque mondiale ou les instances européennes. Il estime que la pauvreté compte, avec le changement climatique, parmi les deux plus grands défis de l’humanité. Il faut donc bien comprendre ce « concept multifacette » qui présente toujours des dimensions relativement absolues (le dénuement total) et absolument relatives (la situation des uns par rapport aux autres).

Cherchant une voie moyenne entre le « cosmopolitisme intégral » de l’approche à 1,9 dollar quotidien et les nombrilismes méthodologiques nationaux, Atkinson souligne d’abord les progrès dans l’appréciation des phénomènes, tout en soutenant la nécessité d’investir pour davantage de disponibilité, de qualité et de comparabilité des données. Il invite à traiter de questions fondamentales. Les chiffres doivent-ils être établis au niveau des individus, des ménages (au sein desquels les partages ne sont pas évidents), des villages, des régions, des nations ? Pour Atkinson le ménage ne s’impose pas nécessairement comme l’unité de base, surtout lorsqu’il est conçu comme isolé de son environnement.

Faut-il traiter de la consommation (comme on le fait dans les pays pauvres) ou des revenus (approche plus courante dans les pays riches) ?

Ces pages techniques mais toujours accessibles permettent de réviser des thèmes essentiels. Faut-il traiter de la consommation (comme on le fait généralement dans les pays pauvres) ou des revenus (approche plus courante dans les pays riches) ? Vaut-il mieux s’arrêter à un indicateur unique (toujours limité), renseigner des tableaux de bord (au nombre infini de dimensions), ou calculer des indices composites (tels l’indicateur de développement humain – IDH — ou l’indice de pauvreté multidimentionnelle — IPM) ?

Atkinson n’arrête pas une position figée, mais met en avant l’exigence de bien traiter des dimensions non monétaires de la pauvreté. Il en ressort un ouvrage important sur l’étendue et l’intensité des faibles ressources et des privations. Avec des discussions indispensables sur les parités de pouvoir d’achat, sur ce que sont les besoins de base ou sur les raisons même de combattre la pauvreté.

Lire aussi : Mesures de la pauvreté, mesures contre la pauvreté

Extraits
« Sur le plan de la consommation, un millionnaire pingre ne dépensant rien au quotidien pourrait apparaître et être compté comme pauvre. »
« Doit-on considérer, en termes de pauvreté de conditions de vie, que les repas servis par les soupes populaires ou permis par les banques alimentaires sont de même nature que ceux élaborés à partir d’aliments achetés librement ? »
« Pour un chômeur, l’absence de chemise en lin pouvait, au temps d’Adam Smith, être un indicateur de pauvreté. Aujourd’hui il a besoin d’une connexion à internet. »

Anthony Atkison, Measuring Poverty Around the World, Princeton University Press, 2019, 408 pages.

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