Kansas City, (a) Tehya Riley, Parker Story, Alex Eickhoff, Stephanie Bloss-Foley, (p)BP copie
© Tehya Riley, Parker Story, Alex Eickhoff, Stephanie Bloss-Foley, (p)BP
De plus en plus de mairies s’emparent de l'asphalt art ((Asphalt Art Guide, Bloomberg Philanthropies.)) pour réaménager à moindres frais une portion de rue ou un croisement. Un moyen d’embellir en adoptant les codes du street art version policée. Ce dernier, phénomène spontané et éphémère qui échappait aux autorités et aux élus, est devenu au fil du temps un outil dont certaines municipalités ont su s’emparer pour valoriser un quartier, opérer une transition sur un entrepôt, une usine sur le point d’être rasés. Dans certaines villes, le street art est même devenu un outil de marketing territorial, par exemple à Grenoble où la ville s’en sert comme d’un outil de valorisation grâce à la propagation des clichés de fresques murales sur les réseaux sociaux.
Mainstream ?
Après avoir investi les façades aveugles d’immeubles et des murs dont la grisaille a été revêtue d’atours plus compatibles avec l’image souhaitée par la ville, les pouvoirs publics semblent comprendre le potentiel et la portée de ce type de projet. Des déclinaisons intéressantes, dont l’asphalt art, commencent à essaimer dans les villes à travers le monde. Signe que la tendance a atteint le stade du « mainstream », la fondation Bloomberg lui consacre un appel à projets outre-Atlantique.
La peinture au sol permet d’imaginer des projets évolutifs, peu figés dans le temps
Plusieurs villes se sont portées volontaires pour modifier un lieu, et exposent l’évolution de leurs travaux sur le site de la fondation, qui recense et accompagne les initiatives en délivrant en ligne une brochure complète pour mener ce type de projet à bien. Avec un budget réduit, l’asphalt art permet de modifier en profondeur l’image d’un croisement jugé dangereux, ou bien de réattribuer l’espace aux passants tout en réalisant un minimum de travaux. Autre atout non négligeable : la peinture au sol permet d’imaginer des projets évolutifs, peu figés dans le temps, pour tester avant et opérer une transition en douceur. L’avantage majeur reste avant tout l’impact positif immédiat de ces initiatives sur la population locale.
Quelques potelets et beaucoup de peinture
Ces projets sont principalement déployés dans deux cas de figure : la sécurisation d’un carrefour ou la piétonnisation d’une zone. À Kansas City, un vaste carrefour a fait l’objet d’un réaménagement en utilisant ce procédé. Les voitures disposaient de la majorité de l’espace pour circuler, alors même que nombre de piétons et de cyclistes empruntaient eux aussi ce croisement pour se déplacer. Le sentiment de danger était à son paroxysme chez ces usagers, pourtant contraints de passer par ce nœud incontournable. En s’associant à une agence locale de design urbain, la municipalité a imaginé un agencement répartissant mieux l’espace entre les différents usages. Sans travaux d’envergure, avec quelques potelets, des pots de fleurs et beaucoup de peinture, l’espace au sol réservé aux véhicules a été réduit, de manière à reporter la sensation de risque sur ces usagers moins vulnérables.
La ville a confié la peinture d’un îlot central rouge en forme de cœur à des habitants du quartier
Alors que ce grand croisement disposait de virages arrondis, ceux-là ont été modifiés pour forcer les voitures à opérer un virage plus serré, quasiment en angle droit. Tout cet espace gagné a permis de réduire la longueur des passages piétons, accroissant le sentiment de sécurité chez les usagers, les véhicules arrivant à vitesse réduite. Pour mettre en œuvre le projet, la ville a confié chaque angle à un artiste différent et la peinture d’un îlot central rouge en forme de cœur à des habitants du quartier. Dans le cœur, ils ont inscrit « Luv Midtown KC », une déclaration d’amour à leur centre-ville. Une première étude de l’impact des changements sur les comportements montre que la vitesse moyenne des véhicules au niveau de cette intersection a chuté de 45 %, et tous les comportements dangereux comme les vitesses excessives ont disparu. Les zébras, dont la longueur a été réduite de 52 %, sont considérés comme plus sûrs par les piétons : ils n’étaient que 23 % à les considérer comme « très sûrs » avant les aménagements, ils sont désormais 63 % à s’en satisfaire.
Des instruments à disposition
Du côté de Philadelphia, c’est un parking payant qui a mué en vaste aire de jeux colorée le temps d’un été. Pour cinq à six semaines, l’espace est renommé « The Oval + », le sol bariolé de couleurs et de formes géométriques destinées à devenir autant d’aires de jeux propices à stimuler l’imagination des enfants. Des instruments, comme des pianos, sont mis à la disposition du public, et des activités sont organisées par une équipe dédiée, disposant d’un budget annuel. Cette première version de ce qui était un projet pilote, entamé en 2013, s’est pérennisée devant le succès de l’opération. Chaque été, une équipe réaménage le parking et lance les festivités, faisant de cette période un moment privilégié pour les habitants, dont l’image du quartier est rehaussée par cette initiative.
Préparer un projet d’Asphalt Art, mode d’emploi
- Initier le projet : quel est l’objectif du projet ? De qui provient-il ? Qui est impliqué ? Quelle est sa longévité ? Quel est l’état du sol sur le lieu cible ? Qui prendra le leadership, essentiel pour gérer le timing et le budget ?
- Réunir une équipe : elle comprend des représentants de toutes les parties impliquées mais doit être restreinte. Elle est souvent accompagnée d’un comité d’organisation pour la mise en œuvre.
- Gérer un budget : la provenance des fonds peut varier : budget municipal, dotation de fondations ou de programmes spécifiques, sponsoring ou levée de fonds (type crowdfunding). Les budgets d’asphalt art sont généralement légers.
- Élaborer le design : choisir entre lancer un appel à contribution ou bien la sélection d’un artiste, soit de renommée soit local, pour valoriser la communauté. Ne pas écarter la possibilité de disposer de ressources au sein même de l’équipe. Identifier les points sensibles, procéder à une large consultation pour éviter les maladresses : le design doit être guidé par l’identité du quartier.
- Inclure la communauté locale : les habitants peuvent être inclus par le biais de réunions publiques, de porte à porte, la distribution de flyers. Ils peuvent aussi voter pour sélectionner un design parmi deux ou trois retenus par l’équipe organisatrice. Inviter les habitants à se porter volontaires pour peindre, engager les écoles, les associations et commerces locaux dans le processus.
- Mettre en œuvre : gestion de la logistique et de l’organisation le jour J, puis inauguration.
- Gérer l’intendance et évaluer : envisager qu’il puisse être nécessaire de procéder à des ajustements après la première réalisation. Prévoir dès le départ, selon la durée de vie prévue pour l’aménagement, un entretien régulier et un suivi de l’évolution des lieux. Enfin, évaluer le succès de l’opération en relevant divers points, comme la vitesse de circulation, le respect des aménagements par les véhicules et usagers, le comportement des piétons et leur sentiment de sécurité, l’utilisation de l’espace par les habitants.