Au Royaume-Uni, un plan sans-abri déclencheur d’initiatives

Marjolaine Koch

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Au Royaume-Uni, un plan sans-abri déclencheur d’initiatives

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© AdobeStock

Lors du premier confinement, le Royaume-Uni a mis en place un programme, nommé « Everyone in » (Tout le monde dedans), destiné à mettre à l’abri les SDF durant cette première vague de Covid. Les résultats produits ont donné envie à certaines municipalités de pérenniser le mouvement.

15 000 sans-abri étaient visés par cette première opération : avec « Everyone in », chacun d’entre eux s’est vu proposer un logement temporaire, souvent une chambre d’hôtel, pour passer l’épreuve du confinement sans être isolé… dans la rue. Le Guardian raconte l’histoire de Mick, 51 ans, SDF depuis 18 mois et sans-abri par à-coups depuis 2003, sujet à l’abus d’alcool et de substances diverses. Régulièrement, il faisait en sorte de se faire arrêter en commettant de petites infractions, souvent des vols, pour passer quelques nuits au chaud en prison, particulièrement lorsqu’arrivait une vague de froid. Lors du confinement, la pandémie le coince : ses larcins ne changent rien, personne ne l’arrête alors qu’il rêve de trouver n’importe quel toit.

Les sans-abri qui ont trouvé un logement d’appoint en mars dernier peuvent en bénéficier au moins jusqu’en mars 2021

L’association Thames Outreach le localise enfin la seconde semaine de mars, et lui propose d’intégrer ce programme. Réfractaire au départ à l’idée d’un programme, il accepte lorsque les bénévoles lui font comprendre qu’une opération est en cours et que personne ne sera laissé à la rue : un hébergement d’urgence vaut finalement peut-être mieux que la prison. Une fois installé, l’homme s’aperçoit qu’il dispose d’une chance de vivre un nouveau départ avec plusieurs semaines de confinement devant lui. Disposer d’une adresse lui a permis de s’inscrire chez un médecin, une action basique qui a amélioré considérablement son hygiène. Soins dentaires, visite chez l’ophtalmologiste… cette étape l’a « rétabli », Mick découvre le plaisir de ne plus être banni des commerces : son apparence n’est plus celle d’un SDF, le rapport aux autres change. Une parenthèse salvatrice, qui lui offre la possibilité de devenir lui-même bénévole en vue d’une réinsertion professionnelle.

2 millions de personnes sans logement

Devant l’effet du programme sur les concernés, certaines municipalités, comme Newham council, ont choisi de faire perdurer le projet. Ainsi, les sans-abri qui ont trouvé un logement d’appoint en mars dernier peuvent en bénéficier au moins jusqu’en mars 2021. Devant l’engouement, le gouvernement a alloué 91,5 millions de livres à 274 municipalités souhaitant financer des solutions destinées aux sans-abri, dans la continuité de Everyone in. Ce nouveau programme, baptisé « Next steps accommodation » (prochains pas pour un hébergement), dispose pourtant d’un financement jugé insuffisant pour passer l’hiver 2021. 161 millions supplémentaires ont été alloués, mais ils n’arriveront pas avant avril prochain et seront dédiés au déploiement de logements pérennes.

Somerset comptait 27 sans-abri connus des services avant la pandémie, leur nombre a quadruplé après mars

À Manchester, la municipalité a financé un hôtel de 55 lits destinés aux sans-abri, auxquels 70 lits supplémentaires ont finalement été ajoutés, la liste des personnes en difficulté allant croissant avec la crise rencontrée au cours de cette année hors du commun. Les listes d’attente pour un logement en Angleterre devraient doubler en 2021, les prévisions tablant sur 2 millions de personnes sans logement. Juste pour la période de Noël, les associations prévoyaient que 200 000 propriétaires deviendraient sans-abri. Somerset comptait par exemple 27 sans-abri connus des services avant la pandémie. Leur nombre a quadruplé après mars : 110 personnes ont bénéficié du programme Everyone in.

Sans-abri : comment les pays européens ont-ils réagi ?

Au Portugal, le gouvernement a choisi de régulariser les sans-papiers : les demandeurs d’asile disposent ainsi des mêmes droits que les résidents en matière d’accès aux soins médicaux.
• En Belgique, d’anciens hôpitaux et écoles ont été transformés en centres d’accueil temporaires et 4 millions d’euros ont été débloqués lors du premier confinement pour aider le secteur.
• Au Danemark, un bus patrouille les rues pour détecter le virus parmi les sans-abri.
• En Espagne, des cantines communautaires ont vu le jour pour distribuer de la nourriture à emporter et compenser les difficultés des soupes populaires, qui ont perdu jusqu’à un tiers de leurs bénévoles.

Des initiatives citoyennes ont aussi émergé : en Allemagne et en Italie, des « paniers suspendus » avec de la nourriture étaient laissés à disposition dans la rue, à des endroits désignés.

Une stabilité dans leur quotidien

Margarita, une Anglaise de 54 ans directrice de deux sociétés qui ont périclité, s’est rapidement retrouvée à la rue sans travail et plongée dans une dépression qui l’a conduite à l’alcoolisme. La proposition d’une chambre d’hôtel lors du premier confinement lui a aussi remis le pied à l’étrier. Six semaines au chaud lui ont permis de se soigner et d’envisager l’avenir sans se soucier quotidiennement de trouver à manger et un toit pour la nuit. L’association Caritas, partie prenante des programmes, lui a trouvé ensuite un hébergement temporaire pour juillet et août, puis l’a aidée dans ses recherches d’un logement privé permanent. Margarita reçoit un revenu d’insertion, elle est maintenant locataire d’un petit appartement avec une cuisine commune à quatre logements, et fait du bénévolat dans une boutique de charité. Rétablir des routines quotidiennes, en vue de pouvoir prétendre à nouveau à un travail par la suite.

Le Covid et ces périodes de confinement ont été l’occasion d’enfin remarquer les sans-abri

Les municipalités de Somerset West et Taunton ont utilisé les fonds d’Everyone in pour aménager des halls de résidences désaffectées, recruter une infirmière et développer leur service de santé mentale pour aider les sans-abri victimes d’addiction. Disposer d’une structure d’accompagnement et d’une stabilité dans leur quotidien, a donné ce coup de pouce qui leur manquait pour parvenir à reprendre leur vie en main.

Renverser le cours des vies

Pour les associations d’aide aux sans-abri qui accompagnent les municipalités dans ces programmes, le Covid et ces périodes de confinement ont été l’occasion d’enfin remarquer les sans-abri. Les modèles développés par des municipalités comme Somerset West, combinant hébergement et accompagnement sanitaire et social, deviennent des exemples à suivre pour d’autres municipalités. Cette année leur aura permis de faire la démonstration des actions concrètes qui permettent de renverser le cours de la vie de personnes coincées dans une pauvreté totale, en quelques semaines seulement.

« 5e regard sur le mal-logement en Europe », un rapport au cœur de la crise
Coécrit par la Fédération européenne des associations nationales travaillant avec les sans-abri (Feantsa) et la Fondation Abbé Pierre, ce rapport aborde la question de la crise actuelle comme une « opportunité historique pour les pouvoirs publics » de faire de l’accès à « un logement digne, adéquat et abordable » une priorité. La coordinatrice du rapport, Sarah Coupechoux, notait à la remise du rapport en juillet dernier que « ce qui semblait il y a six mois encore une utopie s’est avéré possible en quelques semaines : les rues européennes se sont quasiment vidées des personnes sans-abri. »
De nombreux gouvernements ont fait appel à l’hôtellerie pour protéger les SDF du coronavirus. La question de la suite s’est posée de manière accrue pour tous les pays : est-il possible de trouver un logement durable à toutes ces personnes pour éviter de les remettre à la rue ? 700 000 Européens dormiraient à la rue ou en hébergement d’urgence chaque nuit, 70 % de plus que dix ans auparavant.
Le collectif d’ONG souhaite que l’Union européenne « adopte un engagement pour en finir avec le sans-abrisme d’ici 2030 », réclamant des statistiques précises sur le nombre de sans-abri dans l’Union pour mieux lutter contre le problème. La Commission européenne aurait un rôle à tenir dans la politique dite du « Logement d’abord », consistant à proposer directement un logement stable, facteur puissant de réinsertion. Une telle politique pour 700 000 personnes nécessiterait environ 10 milliards d’euros par an, selon le collectif. Une goutte d’eau dans la dotation de 1 074 milliards d’euros et du plan de relance historique de 750 milliards adopté par les États membres.

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