LED lighting used to grow lettuce inside a warehouse
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En mode permaculture, en bacs, sur les toits, dans les parcs, sur des friches, l’agriculture urbaine s’immisce partout en ville, car elle a le vent en poupe, plébiscitée par les citoyens, les élus et moult acteurs gravitant dans son sillage. Il faut dire que les apports de la culture vivrière en ville sont nombreux : reconnecter les urbains à la nature, créer du lien social, maintenir la biodiversité, lutter contre les îlots urbains de chaleur, contre l’artificialisation des sols, etc. « Pendant la crise sanitaire, on a vu aussi combien les urbains ont manqué d’espaces verts, et ont manifesté leur envie d’être proche de la nature », souligne Antoine Lagneau, spécialiste de l’agriculture urbaine ((Chercheur associé au LIR3S/Laboratoire interdisciplinaire de recherche « Sociétés, sensibilités, soin » UMR 7366 CNRS-université de Bourgogne.)).
Le coût de l’agriculture urbaine est très élevé et la dépollution des sols, souvent nécessaire en milieu urbain, alourdit la note.
Force est de constater que les potagers urbains ne participent qu’à dose homéopathique à la « sécurité alimentaire », pointent les décideurs, un enjeu devenu crucial. Le « degré d’autonomie alimentaire » de la majorité des métropoles n’est estimé qu’entre 1 à 2 %, établissait le cabinet Utopies dans une étude de 2017. Une situation qui ne porte pas à conséquence, quand tout va bien. Mais la crise sanitaire a dévoilé la fragilité de ce système, lequel pourrait être mis à bien plus rude épreuve…
Une agriculture urbaine de plus en plus « pro »
« L’essor de l’agriculture urbaine a vraiment pris en 2014, et s’est renforcé avec la professionnalisation de ce secteur », jauge Antoine Lagneau. Cette véritable filière économique génère quantité d’emplois : experts de la culture urbaine, fournisseurs de matériels techniques d’hydroponie, aquaponie, animateurs de jardins partagés, restaurateurs adossés à une production locale, logisticiens…
Le profil des porteurs de projets « Parisculteurs » ((Parisculteurs est un appel à projets lancé par Paris à l’adresse des propriétaires fonciers pour les inciter à accueillir des porteurs de projets d’agriculture urbaine.)) donne une bonne idée de cette professionnalisation, après la militante à ses débuts. Pour l’alimentation des citadins, c’est du positif : de réels circuits courts et des végétaux ultrafrais. Ce faisant aussi, la collectivité parvient à « refaire de la ville un des maillons de la chaîne alimentaire », selon l’expression d’Antoine Lagneau. Revers de la médaille, la dimension sociale des projets tend, dans certaines configurations, à glisser au second plan.
« Nous souhaitons, promouvoir des projets de jardins urbains les plus naturels possibles, sans besoin d’acheminer de l’eau »
Par ailleurs, le modèle économique de ces projets doit encore faire ses preuves. Le coût de l’agriculture urbaine est très élevé et la dépollution des sols, souvent nécessaire en milieu urbain, alourdit encore la note. D’où la tentation de certains décideurs de se tourner vers d’autres types de productions, plus rentables, à l’instar des grandes serres verticales, capables de fournir de très bons rendements, tout en s’exonérant du problème de la rareté du foncier en ville. Un futur bien peu désirable du point de vue de Marie Massart, adjointe déléguée à la politique alimentaire et à l’agriculture urbaine à Montpellier.
« Nous souhaitons, pour notre part, promouvoir des projets de jardins urbains, qui soient le plus naturels possible, sans qu’il y ait besoin d’acheminer de l’eau par exemple. C’est comme ces villes qui ont installé des ruches partout, et qui en reviennent, car ce n’est pas la meilleure idée ».
La serre verticale, une solution intéressante
Néanmoins, tous les regards curieux se tournent vers l’expérience de la cité maraîchère de Romainville, qui s’apprête à ouvrir ses portes. Ses promoteurs la décrivent comme le « laboratoire vivant pour cultiver la ville de demain ». Au sein d’un quartier populaire estampillé politique de la ville, cette serre verticale, en deux parties de 14 et 26 mètres de hauteur, produira des cultures bios hors sol : fruits, légumes, champignons, plantes aromatiques, fleurs comestibles.
Selon les estimations des constructeurs, les 1 000 m2 de superficie pourraient couvrir l’équivalent des besoins en légumes, à l’année, de 200 familles. Ce qui semble particulièrement performant, car les jardiniers estiment qu’il faut en moyenne 600 m2 pour nourrir une famille de quatre personnes à l’année. De fait, cette structure suscite de nouveaux espoirs pour l’agriculture urbaine. Élément tout à fait capital, les décideurs ont opté pour des technologies low tech : les serres ne sont ni chauffées, ni éclairées, coupant ainsi l’herbe sous le pied aux critiques.
L’équilibre budgétaire sera sans doute difficile à atteindre dans les premières années, d’autant qu’il s’agit de vendre à petits prix
Pour éviter la surchauffe l’été, le bâtiment ne fait toutefois pas l’économie d’un système de ventilation. L’eau d’arrosage viendra essentiellement de la récupération des eaux de pluie. Coût de l’opération ? Cinq millions d’euros. Reste à indiquer que ce projet est également générateur d’emplois locaux, et qu’il s’inscrit dans le champ de l’économie sociale et solidaire, puisque l’équipe d’une quinzaine de personnes sera recrutée en contrat d’insertion. Autre choix politique : la structure est gérée en régie directe. À charge à la commune de renflouer les pertes s’il y en avait.
Bien que la structure doive fournir un restaurant sur place, l’équilibre budgétaire sera sans doute difficile à atteindre dans les premières années, d’autant qu’il s’agit de vendre à petits prix. Comme le rappelle Yunan Conan, directrice de la cité maraîchère : « Ce projet présente une dimension sociale et très pédagogique, les paniers seront vendus à des tarifs intéressants adossés au quotient familial »
Point de salut sans la reconquête des ceintures vertes
Référent biodiversité et ingénierie écologique à l’établissement public foncier du Nord-Pas de Calais, Guillaume Lemoine observe d’un bon œil cet essor de culture vivrière. « Il n’y a plus un promoteur ou un aménageur qui ne propose des jardins partagés ». Malgré tout, il ne peut s’empêcher de pointer « des situations ubuesques », où d’un côté une collectivité se lance dans des logiques de productions vivrières très compliquées et, de l’autre, laisse construire sur des terres agricoles à 5 km de là. « Il n’y a pas de logique de planification », lâche-t-il.
Tours Métropole Val de Loire compte s’appuyer sur une régie agricole métropolitaine et aboutir à une autonomie alimentaire de 15 % d’ici à 2025
Les projets alimentaires territoriaux qui fleurissent, ici et là, font pourtant la promesse de sacraliser des terres et de stopper l’étalement urbain. Au programme de la nouvelle équipe municipale de Montpellier (Hérault) : la sanctuarisation de terres dans la ceinture verte de Montpellier, avec la conversion de la ZAD (zone à aménagement différé) des Buisses en un agriparc de 100 ha, soit en un espace mixant agriculture et détente. Tours Métropole Val de Loire (Indre-et-Loire) compte s’appuyer sur une régie agricole métropolitaine pour relocaliser la production et aboutir à une autonomie alimentaire de 15 % d’ici à 2025.
Quant à Dijon Métropole (Côte-d’Or), les élus ont prévu de convertir une centaine d’hectares de terrains communaux et intercommunaux en exploitations agricoles. Un appel à manifestation d’intérêt sera lancé d’ici la fin de l’année pour trouver des porteurs de projets. « Ces structures de 2 à 3 ha nécessitent beaucoup de fonds au démarrage », souligne Benoît Bordat, conseiller communautaire délégué à l’agriculture périurbaine. La Métropole est prête à mettre la main à la poche, dans le cadre de la constitution de sociétés coopératives d’intérêt collectif. Pour faciliter l’installation, elle a aussi prévu « une couveuse à maraîchers ». Toujours dans l’anticipation, elle s’attelle à trouver des moyens pour stocker l’eau, car le département subit des sécheresses à répétition.