B_Dreyfus
© Jp Djivanides
Article publié le 23 septembre 2015
Nous sommes au cœur de grandes réformes institutionnelles. À l’analyse et au regard de votre expertise, avez-vous le sentiment que les ajustements législatifs vont dans la bonne direction ?
Tout d’abord, je souhaite nuancer les termes mêmes de votre question quand vous évoquez « de grandes réformes institutionnelles » puisque, de l’aveu même de la ministre (Ndlr, Marylise Lebranchu), le texte qui vient d’être adopté n’est pas un texte aussi ample qu’espéré et j’ajouterai qu’il en est de même des deux précédents (Ndlr, loi Maptam et loi sur les régions). On est loin du compte.
Je fais partie de ceux qui pensent depuis longtemps que l’on fait plusieurs erreurs de fond : il n’y a pas en France trop d’étages territoriaux. D’ailleurs, si on prend les pays de l’UE de plus de 15 millions d’habitants, je ne crois pas me tromper en disant que tous sauf un – et encore… – ont trois étages de gestion territoriale. La vraie question est celle des moyens et des compétences de chacun de ces niveaux. Notre débat est donc biaisé dès le départ.
Il n’y a pas en France trop d’étages territoriaux.
Deuxième erreur de base : on ne peut dissocier réforme territoriale et finances locales. Tant que l’on ne mènera pas ces deux dossiers en même temps, on ne réussira pas l’exercice. Il est quand même significatif qu’après deux réformes de fond, on transfère aux régions la compétence économie sans lui transférer l’impôt économique correspondant. De même, on pousse l’intercommunalité sans réformer la DGF, basée pour partie sur le niveau de la structure interco.
Vous pointez aussi une autre « erreur » sur l’intercommunalité…
Oui mais là, je suis plus isolé dans mon propos : l’intercommunalité pour l’intercommunalité me « gonfle ». On est en train de reproduire avec l’interco la même erreur qu’avec la construction européenne. On fait de la compétence obligatoire et technique avant d’avoir un projet de territoire ! On a distribué de la dotation incitative avant d’avoir du contenu, tout comme on a distribué certaines aides européennes avant d’avoir une vue stratégique de l’avenir.
On est en train de reproduire avec l’interco la même erreur qu’avec la construction européenne.
Par ailleurs, comme la Cour des comptes, je ne suis pas convaincu que cela coûte moins cher. Enfin, je me permets d’ajouter un quatrième point de vue liminaire, je pense qu’on s’est trompé de couplages. Il y a un couple État-Europe, un couple région-département et enfin un couple communes-intercommunalité. Or, ce n’est pas ce schéma qui est retenu. Donc dès le départ, j’ai un point de vue critique.
On ne va donc pas dans la bonne direction ?
Il y a des ajustements législatifs qui vont dans la bonne direction. Par exemple, la fin de la clause de compétence générale, le renforcement du rôle économique de la région, en rappelant qu’on se rapproche beaucoup d’un dispositif (proposé par Michel Poniatowski dans divers textes entre… 1976 et 1981 !), la prise en compte de l’intermodalité des transports avec un rôle pilote donné là aussi aux régions ou encore, en matière plus locale, la prise en compte du seuil de mille habitants pour une plus grande transparence dans le fonctionnement des conseils municipaux…
Êtes-vous d’accord avec ceux qui pensent que le risque d’un affaiblissement des services publics est réel ?
Pour ma part, je suis favorable au renforcement du rôle stratégique de la région, mais pas au renforcement de son rôle de gestion au quotidien. Ainsi, je n’arrive pas à imaginer comment on peut, depuis un chef-lieu de région parfois distant de 250 kilomètres, assurer la gestion des transports scolaires, voire l’entretien d’un port de plaisance que personne n’aura voulu prendre en charge à d’autres niveaux. La région, dans mon esprit, se doit d’être stratège et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle je milite pour une nouvelle composition se rapprochant de celle de l’établissement public régional, où l’on associerait les grandes intercommunalités et les départements.
Je suis favorable au renforcement du rôle stratégique de la région, mais pas au renforcement de son rôle de gestion au quotidien.
On vient d’avancer sur le rôle des régions en leur confiant l’élaboration de toute une série de schémas, mais en même temps je suis inquiet quand je dénombre 198 fois le mot « convention » dans le texte de la loi. Enfin, étant d’origine alsacienne, je ne me prononcerai pas sur le renforcement qui passe par la diminution du nombre des régions. La proximité de l’Allemagne nous a appris depuis longtemps que taille et puissance n’ont pas forcément de lien.
À propos de puissance, les métropoles sont-elles une réponse adéquate ?
La question de la métropolisation est encore plus complexe : pour être bref, je dirai que partant du constat que de plus en plus de nos concitoyens vivent en zone urbaine, on ne peut s’affranchir de cette donnée mais de là à en faire un échelon supplémentaire, il y a un monde que l’on vient de franchir ! Il aurait été plus simple et lisible d’uniformiser les compétences des communautés urbaines et de les renforcer. D’ailleurs, sait-on que certaines CU ne sont toujours pas en TPU.
Quant à la question de Paris, Lyon et Marseille, elle mérite que nous en reparlions tant il y a à dire notamment sur le Grand Paris, la métropole, les territoires… Au-delà, la vraie question est de savoir si on ne va pas, d’une part, éloigner le citoyen du point de décision et, d’autre part, creuser une fracture avec les autres territoires. Je suis plus un adepte de l’inter-SCoT que du jeu de structures, je suis plus un adepte de projets territoriaux que des compétences obligatoires.
Je suis plus un adepte de projets territoriaux que des compétences obligatoires.
Oui, je pense qu’il y a un risque réel d’affaiblissement des services publics mais qui n’est pas dû seulement à la métropolisation. Ce risque est également dû à la crise des finances publiques, à la pensée unique que la dématérialisation permet de tout faire sans papier et sans contact… Une chose me paraît certaine, c’est que jamais nos concitoyens n’ont autant souhaité de proximité concrète et que l’on choisit cette époque où l’on manque de repères dans bien des domaines pour l’éloigner des centres de décision.
Lire aussi : Périmètres intercommunaux : les larges pouvoirs des préfets
Beaucoup de spécialistes considèrent que la simplification intercommunale ou encore la diminution du nombre de communes permettra un fonctionnement plus clair des services publics. Partagez-vous cette opinion ?
Là encore, vous me posez plusieurs questions en une seule. Je ne suis pas certain d’une vraie simplification intercommunale lorsqu’on fait passer le périmètre avant la véritable urgence, à savoir la mutualisation et pas seulement des services et des agents mais également des équipements. Les démarches actuelles s’entrechoquent.
Certaines intercos n’avaient pas la taille critique suffisante mais fallait-il se braquer sur un chiffre de population ?
Ceci étant, certaines intercommunalités n’avaient pas la taille critique suffisante, mais fallait-il se braquer sur un chiffre de population ? Dans mon coin de Bretagne, où je vais me reposer, je suis à 23 km du siège de l’interco ! Quant à la diminution du nombre de communes, il est exact qu’il y a encore beaucoup de communes sans vrais moyens mais il ne faut pas forcément en diminuer le nombre. Elles restent un point d’ancrage démocratique et un vrai relais de proximité, et c’est cela qu’il faut préserver. En revanche, il faut mutualiser mais sans fixer de cadres rigides depuis Paris. N’oublions jamais que plus on élargit, moins on intègre !
À la base, l’idée est de réduire le nombre des strates administratives. Êtes-vous un admirateur du système des länder ou des grandes régions espagnoles ? Ce système peut-il trouver sa cohérence en France ?
Je ne connais pas suffisamment le système espagnol, mais je maîtrise bien le système allemand qui, si l’on excepte la situation des « villes länder » a, à mon avis, deux mérites.
D’une part, le niveau intermédiaire entre land et communes n’est qu’un niveau de gestion dans la quasi-totalité des cas. D’autre part, il évite la non-prolifération d’équipements en doublons par une programmation plus que rigoureuse des subventions.
Certains länder dressent une liste indiquant « qui a droit à quoi ». Si vous sortez de ce schéma, vous devez vous le payer intégralement sans aucune aide, ce qui, évidemment, freine les ardeurs de doublons de salles polyvalentes ou autres… Mais pour être complet, on ne peut comparer car n’oublions jamais que le land a les compétences éducation (avec les personnels), police et surtout les hôpitaux… Enfin, autre élément qui devrait faire réfléchir, on assiste depuis quelques années dans certains länder à un début de mouvement de « défusion de communes » ou pour le moins de relations tendues.
Bernard Dreyfus est professeur titulaire de la chaire collectivités locales au Conservatoire national des arts et métiers. Il est par ailleurs délégué général à la Médiation avec les services publics auprès du Défenseur des droits. Son expertise des évolutions de la fonction publique territoriale et son franc-parler en font l’un des spécialistes les plus écoutés et les plus appréciés en France.