Bruno Rebelle : « La France doit radicalement changer de modèle énergétique »

Laure Martin

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Bruno Rebelle : « La France doit radicalement changer de modèle énergétique »

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Fin connaisseur des questions énergétiques, Bruno Rebelle a participé de près au débat public précédant la loi de transition énergétique. Il porte un regard critique sur le poids du « lobby de l’atome » et ses blocages contre les énergies renouvelables. Pour lui, les acteurs locaux sont des acteurs essentiels pour combattre le nucléaire et avancer réellement vers les 50 % d’énergies renouvelables.

Considérez-vous que l’objectif de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte – de réduire de 50 % la consommation d’énergie finale en 2050 par rapport à 2012 et d’atteindre 32 % d’énergies renouvelables en 2030 – est crédible ?

Aujourd’hui, les enjeux économiques, écologiques et sociaux nous imposent de changer radicalement de modèle énergétique. Les recommandations du débat sur la transition énergétique sont ambitieuses mais elles sont réalisables… Sinon, nous ne les aurions pas élaborées. Sans ambition, on ne va pas très loin. Le fait de programmer le renouvellement du parc nucléaire est une ambition que je ne partage pas. Aujourd’hui, il faut investir ailleurs.

Nous comprenons aujourd’hui la supercherie d’un discours sur une énergie abondante, pas chère et qu’on peut consommer sans limite…

Justement, le PDG d’EDF a récemment fait comprendre ((Jean-Bernard Lévy, PDG d’EDF, a déclaré sur RTL, le 16 février 2016 : « Nous n’avons pas prévu, en liaison avec l’État, compte tenu des besoins en électricité des Français, de fermer d’autres centrales que les deux qui seront fermées [les deux réacteurs de la centrale nucléaire de Fessenheim, NDLR]. »)) que la loi de transition énergétique, à peine votée, ne sera pas appliquée. Qu’en pensez-vous ?

En France, on nous a longtemps laissés penser que l’énergie était abondante, pas chère et que nous pouvions donc en consommer sans limite. Nous comprenons aujourd’hui la supercherie de cette argumentation. L’énergie est de plus en plus chère pour les consommateurs. Dans le débat précédant la loi de transition énergétique, nous avons insisté pour qu’il y ait une vraie priorité donnée à la maîtrise de la demande en énergie. Les débats ont été houleux mais nous sommes parvenus à adopter l’objectif ambitieux de 50 % de réduction à l’horizon 2050. Cet objectif concerne forcément l’électricité, qui représente 24 % de l’énergie consommée en France. Considérant que les usages de l’électricité augmenteront un peu, la consommation d’électricité devra diminuer d’au moins 30 %. De plus, il a été décidé de ramener à 50 % la part du nucléaire dans le mix électrique (contre 75 % actuellement). Ces données conduisent mathématiquement à réduire le nombre de centrales nucléaires en production. La Cour des comptes a d’ailleurs pointé dans son rapport annuel la nécessité pour EDF d’intégrer dans ses plans la fermeture d’un tiers des réacteurs d’ici 2030.

Devons-nous investir dans la prolongation du parc nucléaire ou dans la transformation du système énergétique ?

Sachant que ce parc est vieillissant, il faut soit fermer les centrales, soit investir dans la rénovation. Les centrales nucléaires ont été conçues pour fonctionner quarante ans. Or, en France, le gros pic d’installations de centrales a eu lieu dans les années 1980. Elles arrivent donc au terme de leur vie industrielle, et continuer à les faire fonctionner en l’état devient dangereux. Mais le grand carénage, ce vaste programme industriel conçu par EDF pour faire durer les centrales au-delà de 40 ans, nécessite des investissements colossaux de l’ordre de 100 à 150 milliards d’euros. Devons-nous investir dans la prolongation du parc nucléaire ou dans la transformation du système énergétique ? Lorsque le président d’EDF affirme qu’il ne va fermer que les deux réacteurs de Fessenheim, notamment pour compenser la mise en service de l’EPR de Flamanville, cela veut clairement dire qu’il n’y aura pas de réduction de consommation d’énergie nucléaire et qu’il s’assoit sur la loi.

Qui est le « vrai » ministre de l’Énergie ? Il y a une collusion entre l’appareil politique et les dirigeants de la filière électronucléaire.

Nous sommes dans un pays où l’on se demande qui est le « vrai » ministre de l’Énergie. Il y a une collusion entre l’appareil politique et les dirigeants de la filière électronucléaire, dont on ne parvient pas à se sortir.

Tout cela vous révolte ?

Ce qui me révolte, c’est que dans notre pays, nous avons besoin d’argent et d’emplois. Or, la transition énergétique permet de réduire les importations d’énergie et contribue à créer des emplois. L’installation d’un mégawatt nucléaire génère un emploi, un mégawatt éolien en génère cinq et le solaire neuf ! Valoriser les ressources locales, comme le solaire, la biomasse, la micro-hydraulique et non les énergies importées de Russie ou d’Arabie Saoudite, permet de créer des emplois locaux qui ne seront pas délocalisables. Mais nos dirigeants ne parviennent pas à entrer dans cette logique car ils pensent être les plus forts avec nos champions nucléaires.

L’installation d’un mégawatt nucléaire génère un emploi, un mégawatt éolien en génère cinq et le solaire neuf.

Néanmoins, l’un des atouts du débat sur la transition énergétique organisé en amont de l’élaboration de la loi est d’avoir amené les territoires à se poser la question de leur rapport à l’énergie. Le gouvernement et les grandes entreprises de l’énergie ont toujours tenu les collectivités à l’écart de cette question. Avec le débat, elles ont pu se saisir de ces enjeux. Les territoires réalisent qu’ils ont des ressources à valoriser, des consommations qu’ils peuvent maîtriser d’autant qu’ils ont la main sur l’habitat et la mobilité, deux secteurs clés des politiques énergétiques. Nous constatons de plus en plus cette prise en compte de l’énergie comme levier potentiel de redynamisation économique, car les communes peuvent travailler sur la réduction des consommations énergétiques et sur le développement des énergies renouvelables locales. Et cela commence à concerner de très nombreux territoires en France.

Pouvez-vous donner des exemples d’initiatives locales ?

Nous n’en sommes pas encore au niveau de l’Allemagne où 50 % de la production d’énergie renouvelable est assurée par plus de 800 petits opérateurs et coopératives citoyennes. En France, nous n’en avons qu’une petite centaine. Mais nous observons un mouvement massif d’acteurs locaux qui prennent en main leur consommation et leur production d’énergie. La loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles [loi Maptam du 27 janvier 2014, NDLR] permet aux métropoles de se doter de la compétence énergie. Lyon, Grenoble et Bordeaux conçoivent actuellement leur schéma directeur de l’énergie. La Bretagne s’est dotée d’un pacte électrique qui met l’accent sur la maîtrise de la demande en énergie.

Lire aussi sur ce sujet : Quand l’énergie devient un service public local

Nous accompagnons de nombreux territoires en transition énergétique. En Rhône-Alpes, nous travaillons auprès des territoires à énergie positive (Tepos) qui s’engagent d’ici 2050 à produire plus d’énergie qu’ils n’en consommeront. Ces vingt-neuf Tepos représentent déjà 50 % de la population rhônalpine. Ils seront prochainement rejoints par des territoires auvergnats. Une dynamique similaire se développe en Poitou-Charentes et en Bourgogne - Franche-Comté. En Nord - Pas-de-Calais, la Troisième révolution industrielle ((Cette action est menée conjointement par la chambre de commerce de Lille et le conseil régional du Nord - Pas-de-Calais afin de faire évoluer la région vers une transition écologique et sociale.)) contribue à embarquer les acteurs économiques et Xavier Bertrand, président de la nouvelle région, veut étendre cette initiative à la Picardie.

Nous observons un mouvement massif d’acteurs locaux qui prennent en main leur consommation et leur production d’énergie.

Par ailleurs, le territoire associant Annecy, Chambéry et le parc naturel régional des Bauges s’engage sur un programme d’économie d’énergie visant à réduire de 38 % la facture du territoire qui atteint chaque année 860 millions euros. Ce sont donc 300 millions d’euros qui vont rester sur le territoire au lieu d’être dépensés en importation d’énergie. Cet argent peut être utilisé par les collectivités pour investir dans les infrastructures locales, dans l’emploi local et dans le développement d’unités photovoltaïques ou solaires thermiques, dans des centrales au fil de l’eau, dans la filière bois énergie. Ainsi, ce territoire va mobiliser ses ressources renouvelables et faire encore baisser sa facture énergétique qui pourrait descendre à 300 millions d’euros d’ici 2030. D’autres territoires aussi sont en marche du côté de Saint-Étienne, du Trièves, de Chamonix, de la Biovallée, du Sud Grésivaudan, en Ardèche, dans les Monts du Lyonnais, dans le Beaujolais.

Malgré toutes les initiatives, c’est comme si le ministère et EDF ne voyaient pas ce qui est en train de se passer dans les territoires.

Malgré toutes ces initiatives, c’est comme si le ministère et EDF ne voyaient pas ce qui est en train de se passer dans les territoires. Et ce que le gouvernement n’arrive pas à comprendre, c’est que si, à un moment donné, le nucléaire a permis de réduire l’impact du charbon et de produire beaucoup d’électricité, cette solution est aujourd’hui dépassée. Cette énergie est très chère, elle mobilise des capitaux très élevés. Nous pourrions faire différemment en préconisant des solutions de production décentralisées et déconcentrées, de plus petite taille, qui seront plus facilement appréhendées par les citoyens au niveau local. La difficulté aujourd’hui est que la marge de manœuvre des territoires reste contrainte par les règles nationales et les conditions du marché.

LIRE aussi notre Dossier : Le local peut-il sauver la terre ?

Les élus jouent-ils un rôle particulier dans cette transition énergétique dans les territoires ?

J’ai moi-même été impressionné de voir les élus de tous bords se saisir du sujet, non pas sous l’angle écologique mais sous l’angle économique, comme levier de développement et de préservation des marges budgétaires. Lorsqu’ils saisissent qu’ils peuvent réduire le coût de fonctionnement du territoire, créer de l’emploi local et réinvestir localement pour la valorisation les ressources locales, c’est tout bénéfice. La transition est aussi un booster pour l’innovation et la recherche.

Des élus de tous bords se saisir du sujet, non pas sous l’angle écologique mais sous l’angle économique, comme levier de développement et de préservation des marges budgétaires.

Lorsque le gouvernement, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, a cassé le prix de rachat de l’électricité photovoltaïque considéré comme trop élevé, nous avons perdu 16 000 emplois en dix-huit mois au sein de très petites, petites et moyennes entreprises. Il suffirait de pas grand-chose pour relancer ce secteur, avec un système de soutien mieux adapté. Voilà un investissement bien plus intéressant que le grand carénage et celui-là sera bien plus créateur d’emplois.

Je trouve rageant qu’après treize mois de débats, de concertation entre de nombreux acteurs du monde des entreprises, des syndicats, des collectivités, le gouvernement adopte une loi un peu en dessous des ambitions initiales mais encore très satisfaisantes, et que, finalement, il ne fasse pas son travail en appliquant strictement cette loi. Nos gouvernants sont arc-boutés sur des choix qui datent de soixante ans. Ils n’ont pas compris où était la modernité ! La transition énergétique est en marche certes, mais elle n’est pas assez ambitieuse, pas assez rapide, pas assez transversale. On avance à petits pas alors qu’on pourrait marcher vite et bientôt se mettre à courir.

De quelle image jouit la France à l’international ?

Nous sommes pitoyables ! Il y a 25 ans, nous étions les leaders en recherche et développement pour l’énergie éolienne, aujourd’hui, ce sont les pays du Nord. Il y a 20 ans, nous étions les leaders dans la R & D pour les panneaux solaires, aujourd’hui, ce sont la Chine et l’Allemagne qui sont à la première place. Et aujourd’hui, nous sommes contents d’être champions du nucléaire, sauf que nous sommes seuls à pousser cette option…

Nos gouvernants sont arc-boutés sur des choix qui datent de 60 ans. Ils n’ont pas compris où était la modernité !

Nous avons sauvé les meubles avec la COP 21. Cela a fait un gros boom mais dès qu’on gratte, la peinture s’écaille très vite. Il ne suffit pas de dire qu’on a un mix énergétique peu carboné, il faut voir ce que cela veut dire concrètement à plus long terme.

Pourtant nous avons en France des grands champions industriels très engagés dans les économies d’énergie comme Saint-Gobain ou Schneider Electric, mais ils ne pèsent pas suffisamment face à EDF, ou Areva qui ont des passerelles plus directes avec le gouvernement. C’est regrettable.

Bruno Rebelle a été, entre 1997 et 2007 directeur exécutif de Greenpeace France, puis directeur des programmes, numéro deux de Greenpeace International. En janvier 2007, il rejoint l’équipe de la candidate socialiste Ségolène Royal, en tant que conseiller sur les questions de développement durable, de protection de l’environnement et de solidarité internationale. Il est aujourd’hui directeur général de l’Agence de conseil en stratégie de développement durable Transitions et a été membre du comité de pilotage du débat national sur la transition énergétique.
@transitions_dd
http://www.transitions-dd.com/

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