C’est quoi, vraiment, le management participatif ?

Samuel Hennequin
C’est quoi, vraiment, le management participatif ?

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C’est devenu presque une évidence, les agents et salariés réclament davantage de sens et davantage d’autonomie, qui semblent les seuls ingrédients à même de redonner de l’enthousiasme au travail. À cette demande d’autonomie répond la montée en puissance, dans les discours au moins, du management participatif. Mais que revêt ce terme réellement ? Quelles contraintes implique-t-il pour les managers ? Et quelles contreparties pour les agents ?

Article publié le 16 mars 2017

Invariablement, les enquêtes RPS ou QVT, les diagnostics et autres états des lieux font remonter les mêmes attentes des agents : trouver du sens au travail, être plus associés aux décisions ou projets qui les concernent, avoir plus d’autonomie et probablement moins de contrôle, avoir le sentiment d’œuvrer pour la « qualité de service public », être plus responsabilisés en soulignant « l’infantilisation » comme leitmotiv dans toutes les enquêtes RPS… En un mot : se sentir reconnus.

Bien entendu, ces aspirations sont porteuses de paradoxes. Nombreux sont aussi les témoignages d’organisation repensée pour, par exemple, « responsabiliser » ou « donner de l’autonomie » et qui font long feu, faute de résultats dans la durée. En effet, sans aller jusqu’au modèle encore balbutiant de « collectivités libérées », l’évolution vers une relation au travail plus « impliquante » pour les agents n’est pas sans contrepartie pour ceux-ci. Pour légitime qu’il soit, le droit à être un peu plus acteur et un peu moins agent ne va pas sans devoirs.

L’évolution vers une relation au travail plus « impliquante » pour les agents n’est pas sans contrepartie pour ceux-ci.

Quoi qu’il en soit, l’expression qui émerge « grâce » aux RPS souligne on ne peut plus clairement la nécessité d’un changement de modèle culturel. Il s’agit probablement aujourd’hui pour chaque collectivité de trouver où placer le curseur entre le « tout descendant » de la culture administrative d’hier et son extrême inverse incarné par le « tout horizontal » du modèle dit « libéré ».

Lire aussi : l'interview de Jamila El Berry : "L'absence de prévention des RPS sera demain systématiquement sanctionnée

Entre le « tout descendant » et la collectivité libérée, où mettre le curseur ?

Les enseignements apportés par les RPS ne sont pas les seuls à souligner cette nécessité. Par exemple, si l’on veut croire à la réalité de l’existence d’une « génération Y » et de ses a priori comportements vis-à-vis du travail empreints d’une forme de « versatilité », comment imaginer que le cadre proposé par les collectivités puisse être attractif, au-delà de la sécurité de l’emploi qu’il apporte ? Comment imaginer également que les réformes, transferts de compétences, le « faire plus avec moins », s’accommodent durablement et se passent sans dégâts humains en termes de motivation au travail si le message sur le sens et les enjeux dont ces changements sont porteurs ne supplante pas systématiquement celui de « où va-t-on bien pouvoir les recaser ? ».

Comment ne pas voir l’enjeu de crédibilité des ressources humaines lorsque l’appétence pour les outils et concepts les plus modernes du domaine, qu’il s’agisse de co-construction, co-développement, coaching, individuel ou collectif, formation, co-formation, e-formation, séminaires, webinaires… se trouve invariablement confrontée à la cruelle réalité à la hausse tendancielle et constante des chiffres de l’absentéisme ?

Comment imaginer que le « faire plus avec moins » s’accommode durablement et se passe sans dégâts humains en termes de motivation au travail ?

Il existe une réponse à ces questions. Et même si son expression peut littéralement paraître désuète au regard de la quête d’outils RH toujours plus innovants, elle n’en est pas moins efficace. Il s’agit, tout simplement du management dit « participatif ».

Qu’est-ce que le management participatif ?

Et déjà, qu’est-ce que cela n’est pas ? « Participatif » ne signifie pas seulement demander leur avis aux agents, surtout lorsque l’on a déjà une idée, voire lorsque l'on a décidé des modalités de mise en œuvre de ce sur quoi cet avis allait porter. « Participatif » ne signifie pas non plus « voir tout le monde » et expliquer, réexpliquer et ré-réexpliquer une décision ou un projet. Non, « participatif » signifie schématiquement donner un résultat à atteindre, qui n’est pas négociable, ne se discute pas et laisser toute latitude aux agents concernés sur le choix des moyens à mettre en œuvre pour l’atteindre.

Cette autonomie n’est-elle pas précisément celle que les agents réclament à cor et à cri dans les enquêtes RPS ?

Il y a donc une partie « directive » ou « descendante » qui est le résultat à atteindre et une partie ascendante, qui est l’espace de discussion, d’organisation, dans lequel les agents peuvent et doivent exercer leur autonomie. En effet, ce sont eux les meilleurs spécialistes de terrain, ce sont eux qui connaissent les meilleures solutions. Or, cette autonomie n’est-elle pas précisément celle que les agents réclament à cor et à cri dans les enquêtes RPS ? Cela semble simple, n’est-ce pas, sur le papier ? Alors, pourquoi le management n’est-il pas encore systématiquement participatif dans les collectivités ?

Qu’est-ce que vous allez gagner ?
Bien entendu, l’évolution ne se fera pas en un jour ni en une réunion. Bien entendu, une fois que les agents seront ainsi « autonomisés » dans leur travail, il vous faudra en évaluer régulièrement les progrès dans la perspective des résultats à atteindre. Pour être efficace et bienveillante, cette évaluation ne devra pas se comprendre au sens « scolaire » de « jugement ». Elle portera sur le travail et non sur les personnes, sur ce qui a été accompli et ce qui reste à mettre en œuvre. Alors, ainsi, vous aurez mis en place des éléments fondamentaux pour que les agents voient du sens dans leur travail, se sentent utiles, traités en adultes et impliqués. Qu’est-ce que vous gagnez alors ?

Quels changements implique « le participatif ? »

Le management n’est pas encore participatif car les changements qu’il implique ne se décrètent pas, ne relèvent d’aucun outil et surtout viennent s’installer sur une culture qui à différents égards empêche ou ralenti son émergence.

Ainsi par exemple, dans la culture administrative, le manager reste bien souvent le « super-technicien » car, promu à l’ancienneté, le « chef est celui qui sait mieux faire que les autres ». Dans ces conditions, grande est la tentation pour celui-ci de trouver les solutions à la place de ses équipes, voire de faire à leur place, en ne laissant aucun espace d’autonomie.

De plus, dans une culture où le travail est largement organisé au travers de conditions statutaires, d’emplois, de grades, puis de fiches de postes, ce travail peut progressivement être assimilé à une liste de tâches qui pourraient finalement quasiment être envisagées par l’agent hors de leur contexte, hors de leur sens et des résultats collectifs qu’elles permettent d’atteindre… Ce qui est malheureusement souvent le cas.

Plus largement, dans une culture administrative, la règle et le droit encadrent aussi suffisamment largement l’activité pour que leur respect devienne un objectif en lui-même, ce qui est à peu près le contraire du management participatif qui se centre sur les objectifs à atteindre pour décider ensuite des moyens à mettre en œuvre.

Dans une culture administrative, la règle et le droit encadrent aussi suffisamment largement l’activité pour que leur respect devienne un objectif en lui-même.

Ensuite, le poids de l’histoire et des habitudes n’est pas le moindre des obstacles. Combien de managers s’étonnent de lire les aspirations à « plus de participation » des agents quand eux-mêmes n’entendent que l’écho de leur propre voix lorsqu’ils sollicitent les avis de leurs équipes, voire entendent aussi le « ce n’est pas à nous de proposer » ?

Ainsi, les collectivités en général et les RH en particulier semblent donc être dans une situation où une certaine intuition les conduit à considérer qu’il est urgent de renouveler la culture et les pratiques managériales vers plus de participatif, mais que l’environnement à la base, ne s’y prête guère. Quelles sont les marges de manœuvre ? Il ne s’agit plus ici d’outils, mais de comportements. Lesquels ?

Lire aussi : Sur le chemin d'un management responsable et libéré

Que vous faudra-t-il faire si vous voulez devenir le roi du management participatif ?

Tout d’abord, il vous faudra considérer qu’en premier lieu, votre travail est de relayer les décisions des élus. Et que ceci n’est pas négociable. Bien entendu, vous pourrez ne pas être d’accord. Mais il y a plusieurs manières de ne pas être d’accord. Il peut tout d’abord s’agir de ne pas être d’accord car techniquement, la décision comporte un risque. Il peut aussi s’agir de ne pas être d’accord car la décision prise n’est pas à votre avis le meilleur moyen pour atteindre le résultat escompté. Dans ces deux cas, il s’agira alors pour vous d’apporter votre éclairage sur les moyens à mettre en œuvre de manière à ce que l’élu décide en toute connaissance de cause.

Il vous faudra considérer qu’en premier lieu, votre travail est de relayer les décisions des élus. Et que ceci n’est pas négociable.

Le désaccord peut aussi concerner le sens et les valeurs portés par les décisions des élus. Et dans ce cas vous serez libre, en votre âme et conscience, de changer de collectivité. Car dans tous les cas, démocratiquement, ils décident.

CE QU'IL FAUT FAIRE
• Leur donner du sens
La question de l’adhésion aux valeurs est d’autant plus importante que dans le cadre de votre mode de management participatif, il vous faudra à présent lui donner du sens, c’est-à-dire expliquer aux agents dans quel contexte global elle s’insère, de telle manière qu’ils puissent se projeter le plus au-delà des limites de leur service et considérer au final l’utilité de leurs actes. Il vous faudra valoriser la décision, raconter son histoire. Car le poids des charges portées par les agents techniques n’est-il pas plus lourd lorsqu’ils ne savent pas ou plus qu’il sert au final à ce que la collectivité ait de plus beaux espaces verts ou bâtiments publics ? En vous adressant à votre équipe pour relayer cette décision, il vous faudra donc définitivement bannir et chasser de vos pensées l’expression « je n’y suis pour rien, c’est l’élu »… Au contraire, il s’agira de montrer les enjeux de la décision. Pour ce faire, posez-vous la question : « qu’est-ce que nous risquons à ne pas le faire ? ». Plus la réponse et donc la nécessité d’agir sont claires, plus les enjeux sont clairs, et plus les équipes peuvent se projeter.

• Fixer des objectifs ou des résultats à atteindre
À ce stade, vous êtes toujours directif. Et il s’agit à présent pour vous de continuer à l’être en donnant sinon des objectifs chiffrés car cela n’est pas toujours possible, mais du moins des résultats à atteindre. S’ils ne sont pas chiffrés, ceux-ci devront être le plus clair possible. Assurez-vous de leur bonne compréhension par chacun. Plus le contexte global et les enjeux auront été partagés par chacun, moins les résultats à atteindre apparaîtront comme une petite ou grande montagne à gravir et plus ils prendront leur juste statut, à savoir des repères pour se situer. Ainsi pour les jardiniers, l’objectif d’utiliser « zéro phytosanitaire à la fin de l’année » prendra-t-il tout son sens mis au regard de la politique de santé publique ou d’écologie. Ainsi pour les cuisines, « nourrir une classe de plus » – à effectif constant bien entendu – sera un objectif d’autant plus acceptable à atteindre que chacun se sentira responsable de la qualité de l’accueil des enfants. Ou bien l’objectif de traitement de « 10 % de dossiers » supplémentaires deviendront-ils logiques au regard de l’accroissement de la population et de ce que cela signifie en termes de dynamisme de la collectivité.

Même s’ils ne sont pas chiffrés, les objectifs fixés devront être le plus clair possible.

• Et maintenant… Écouter le silence
Il vous aura fallu préparer cette communication à votre équipe. Et maintenant que vous avez présenté le contexte, les enjeux et les résultats à atteindre, peut-être pensez-vous légitimement avoir fait le plus dur. Cela n’est pas tout à fait faux… Mais il vous reste maintenant en quelque sorte à « basculer » dans le participatif en prononçant la phrase magique et demandant à votre équipe : « comment comptez-vous faire ? ». « Que proposez-vous pour… ne plus utiliser de phytosanitaires, tout en réalisant les parterres tels qu’il a été décidé ? Pour… nourrir une classe de plus ? Traiter 10 % de dossiers en plus ? ». À cet instant, il y a de fortes chances pour que vous entendiez le silence. Pas de panique. Ce silence est celui des agents qui s’emparent du sujet, en font le tour, réfléchissent, paniquent eux aussi, un peu, peut-être, car ils n’ont pas forcément l’habitude qu’on leur demande leur avis. Ce silence est le moment où ils commencent à réellement travailler, où ils s’impliquent concrètement. C’est le moment où l’on valorise leur contribution. Ce faisant, c’est aussi le moment où vous leur permettez de passer d’un rapport infantilisant où il leur était expliqué comment faire, sans leur dire le pourquoi, à un rapport adulte respectueux. Enfin, c’est aussi le moment où vous quittez le rôle de « super-technicien » pour endosser celui de manager.

Ce silence est le moment où ils commencent à réellement travailler, où ils s’impliquent concrètement. C’est le moment où l’on valorise leur contribution.

Bien entendu, vous avez vos propres idées, vos propres solutions. À cet instant, l’envie de répondre et de proposer à leur place vous brûle les lèvres. Et il est probable que c’est également le souhait de certains de vos agents… qui auront alors tout loisir, plus tard, de critiquer votre option. Vous en avez l’habitude, n’est-ce pas ?
Mais au fond, pourquoi avez-vous envie de répondre à leur place ? Peut-être que ce silence est désagréable parce qu’il porte en creux pour vous plusieurs enjeux. L’enjeu des comptes que vous avez à rendre et du regard que votre N + 1 portera sur ce qui est sorti de votre fameux « management participatif ». L’enjeu du temps qui est en train de passer alors que vous avez déjà les solutions. Et enfin, aussi, peut-être, l’enjeu affectif lié au regard que votre équipe porte sur vous et de la manière dont elle vous appréciera dans ce nouveau mode relationnel.
Les idées et propositions finiront par émerger. Peut-être vous sembleront-elles insatisfaisantes. Il s’agira alors pour vous de les prendre en compte, d’être exigeant et de demander aux agents de les approfondir. Il y a aussi de fortes chances pour que, dans un premier temps, vous entendiez des désaccords, des refus. Il vous faudra alors considérer que derrière chaque désaccord, il y a en creux, souvent inexprimé, pour chaque agent, une autre manière de voir les choses, une autre idée, qu’il s’agit d’aller chercher. Il vous faudra vous préparer à poser des questions, relancer l’équipe jusqu’à être certains, elle comme vous, que vous ayez fait le tour du sujet. Pour cette fois-ci.

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