Capitalisme de l’addiction

Julien Damon

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Augmentation de la consommation des stupéfiants, abus dangereux d’aliments sucrés, achats compulsifs, temps invraisemblable perdu sur les réseaux sociaux. L’époque est aux addictions menaçantes. Elles résultent d’un mélange de mauvaises conduites entretenues par internet et d’intérêts économiques licites ou illicites.

Article précédemment publié le 12 novembre 2019

Historien américain, spécialiste des passions et poisons que sont toutes les formes de drogue, David T. Courtwright signe un ouvrage captivant et inquiétant. Dans ses premiers travaux, il soulignait combien notre monde était littéralement submergé de drogues, douces ou dures, utilisées à des fins médicales ou récréatives. Cette fois-ci, publiant en prenant en considération les nouvelles drogues et dépendances numériques, il montre combien internet redouble le problème. D’abord en instituant de nouvelles addictions (d’ailleurs combien de fois avez-vous regardé votre Smartphone aujourd’hui ?). Ensuite en tant que formidable opportunité technologique pour la dissémination des drogues plus traditionnelles.

Lire aussi : Nous sommes tous des poissons rouges

Extension des domaines de l’addiction

L’emploi du terme addiction s’est élargi, passant de l’usage de certains produits désapprouvés à bien d’autres comportements : jeux, excès de nourriture, sexe dont le porno sur internet (du côté des garçons), shopping et selfies (du côté des filles), usage démesuré des réseaux sociaux (pour tous les genres). La consommation élevée n’est pas en soi un problème. Elle le devient en tant qu’habitude incontrôlable, qu’il s’agisse de jeux ou de l’incapacité à limiter la consultation de ses écrans au risque supposé de manquer à chaque instant un texto, une vidéo ou une info.

L’ensemble se déploie à travers des filières régulières et des filières prohibées, dans un contexte d’inquiétudes montantes

Les plaisirs promis, supposément libérateurs, engendrent souvent des dérèglements, pouvant nous enfermer et nous aliéner. Pour les dépendants, de plus en plus nombreux, aux excès de l’alimentation et de l’internet, l’abstinence est douloureuse. Envies irrépressibles, insatisfaction et non satiété produisent anxiété, impulsivité, dépression et perte de contrôle. Tout ceci ruine des études, des carrières, des vies familiales. L’ensemble se déploie à travers des filières régulières et des filières prohibées, dans un contexte d’inquiétudes montantes et d’hypocrisie de la part des techno-prophètes qui vantent leurs produits mais les interdisent à leurs enfants.

Un trait d’époque

Comme toujours avec les drogues, gains privés et rentrées fiscales potentielles attirent les entreprises et les pouvoirs publics. Les tentations individuelles sont toujours des tentations pour le marché qui trouvera de quoi satisfaire les désirs. Capitalisme global et criminalité transnationale, renforcés par internet, s’appuient sur des avancées techniques pour des stimulations continues, des consommations excessives et des régressions sociales.

Comme toujours avec les drogues, gains privés et rentrées fiscales potentielles attirent les entreprises et les pouvoirs publics

Comment résister ? Le docteur Courtwright ne rédige pas une ordonnance magique. Contre les consommations compulsives, les traitements forcés ne fonctionnent pas. L’auteur soutient que de tous les côtés du spectre politique, on trouve des opposants aux pratiques destructrices habituelles et aux usines 2.0 à faux rêves. Des coalitions post-partisanes sont peut-être possibles. Surtout, il invite simplement à mieux saisir les mécanismes à l’œuvre, dans nos cerveaux et dans un univers économique qui valorise démesurément nos mauvaises habitudes.

Un sujet majeur. Il suffit de nous regarder en train de tapoter sur nos écrans, orientés par des algorithmes dont la visée n’est pas la libération de l’humanité, mais son addiction généralisée.

Extraits
« Internet : tout s’y échange, tout s’y vend, de la surface la plus légale du Web à ses profondeurs les plus sombres. »
« Urbanisation et industrialisation avaient autorisé la massification des petits plaisirs. La transition numérique accompagne engourdissement généralisé et distraction digitale permanente. »
« Du côté des écrans naissent aussi des problèmes de santé publique tandis que s’étendent insidieusement des limitations de notre souveraineté individuelle et de notre dignité. »

 David T. Courtwright, The Age of Addiction. How Bad Habits Became Big Business, Harvard University Press, 2019, 325 pages

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