« Ce n’est pas en créant un nouveau « machin » qu’on règle les problèmes »

Marjolaine Koch
« Ce n’est pas en créant  un nouveau « machin »  qu’on règle les problèmes »

Hervé Maurez

© ©_Sénat-Sonia_Kerlidou

Président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable au Sénat, le centriste Hervé Maurey ne mâche pas ses mots quant à l’action du gouvernement en matière de politique d’aménagement du territoire. Un projet politique inexistant, des propositions insuffisantes, celui qui soutenait François Fillon pour la présidentielle est loin d’être un converti du macronisme.

Hervé Maurey est président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, membre du groupe Union centriste, sénateur de L’Eure.

Le projet de loi portant Evolution du logement, de l’aménagement et du numérique (Elan) est présenté en conseil des ministres le 4 avril. Il comprend un volet sur le numérique. Quelle sera l’articulation entre la proposition de loi que vous portez, pour les investissements dans les réseaux à très haut débit, et ce projet de loi Elan ?

Quand nous avons examiné notre proposition de loi début mars, nous nous sommes demandé si nous pouvions intégrer certains éléments pour gagner du temps. Mais les dispositifs nous ont semblé trop contraignants, comme par exemple un raccourcissement des délais dont disposent les élus. Cela ne nous semblait pas aller dans la bonne direction, aussi nous n’avons pas souhaité nous en emparer.

Que souhaitez-vous porter avec cette proposition de loi ?

Nous souhaitons sécuriser les réseaux créés par les collectivités, pour éviter que les opérateurs puissent venir concurrencer ces investissements. Et surtout, nous voulons enfin obliger les opérateurs à tenir leurs engagements, sous peine de sanction. Sur les « zones AMII » (appels à manifestation d’intentions d’investissement), les opérateurs pouvaient annoncer leur venue et ne jamais se déployer.

Lire aussi : Les nouveaux défis de l'aménagement des nouvelles régions

Ils empêchent les réseaux d’initiative publique d’agir et bloquent la situation. S’ils ne se déploient pas, cela n’a aucune conséquence pour eux, mais cela en a pour les usagers et pour les villes qui ne peuvent pas intervenir. Il n’y a ni contrôle ni sanction. D’ailleurs, contrairement à ce qui était prévu par la loi Macron, le phénomène de contractualisation des engagements des opérateurs n’est toujours pas mené à bien.

Des engagements clairs et précis en matière de calendrier, de zones à couvrir, et si les engagements ne sont pas tenus, qu'il y ait des sanctions

Comment devrait se concrétiser ce suivi ?

Nous proposons une véritable contractualisation qui soit enfin généralisée. Des engagements clairs et précis en matière de calendrier, de zones à couvrir, et si les engagements ne sont pas tenus, qu’il y ait des sanctions. Cela existe dans tous les domaines du droit, sauf avec les opérateurs en télécommunication. On est dans une situation totalement dérogatoire du droit commun.

Et ce serait aux collectivités de faire ce suivi ?

Oui, sous le contrôle de l’Arcep.

Le projet de loi Elan va aussi intégrer la revitalisation des centres-villes. Les annonces faites par Edouard Philippe en décembre dernier vous ont convaincu ?

L’intention est certainement très louable mais les crédits consacrés sont très limités. Seuls une trentaine de bourgs seront concernés à l’échelle du territoire national pour la première année, c’est modeste, pour ne pas dire que c'est de la poudre aux yeux. J’attends plus qu’une petite mesure un jour en faveur des centres-bourgs, un autre jour en faveur des banlieues… J’attends une politique volontariste et ambitieuse en matière d’aménagement du territoire. Aujourd’hui, ce n’est pas la cas.

J’ai été maire de Bernay, dans l’Eure, pendant 13 ans ; la directrice de l’ARS vient de nous annoncer la fermeture de la maternité. Cela signifie que dans tout l’ouest de l’Eure, il n’y aura plus un lieu où l’on pourra accoucher, alors que l’est du département est pourvue de trois maternités. Tant qu’on n’aura pas une politique d’aménagement du territoire ambitieuse, on ne progressera pas. Il faudrait, pour chaque projet de loi ou décision prise, évaluer l’impact en matière d’aménagement du territoire. Ce n’est jamais fait.

Quand on détaille l’accord dit historique avec les opérateurs, on se rend compte qu’il n’y a plus aucun objectif, ni date ni taux de couverture

Autre exemple : la téléphonie mobile. Le président de la République a commencé par annoncer de manière tout à fait imprudente qu’en 2020, 100 % de la population serait couverte. Ensuite, on nous a annoncé un accord dit historique avec les opérateurs.

Quand on le détaille, on se rend compte qu’il n’y a plus aucun objectif, ni date ni taux de couverture. Au rythme actuel d’installation des pylônes, 600 par an, on comprend qu’en 2025 la couverture ne sera toujours pas de 100 %. Le gouvernement passe son temps à faire des effets d’annonce pendant que les territoires se paupérisent, que le service public recule, comme les emplois, le nombre d’écoles, l’accès aux soins… Alors quand on annonce quelques millions d’euros consacrés aux centres-bourgs, c’est très bien. Mais ce n'est pas à la hauteur des enjeux.

Est-ce que la création d’une nouvelle agence nationale des territoires, comme elle est envisagée par le président de la République, pourrait justement être une réponse ?

Cette nouvelle agence devient un gag ! On nous en parlait déjà durant la campagne présidentielle, et aujourd’hui on n’a toujours aucun élément. Quelle forme elle prendrait, quels organismes existants elle remplacerait ou fusionnerait, avec quels moyens… ça peut être un outil utile mais encore une fois : au service de quelle politique, de quelle ambition ? Ce n’est pas en créant un nouveau « machin » qu’on règle les problèmes !

Le précédent commissaire général du CGET se définissait comme un facilitateur. Dans les faits c'est effectivement plus un spectateur

Dans votre rapport rédigé avec Louis-Jean de Nicolaÿ, intitulé « Aménagement du territoire : plus que jamais une nécessité », vous décrivez le commissariat général à l’égalité des territoires comme une sorte de spectateur, trop en retrait par rapport au rôle qu’il devrait avoir. Qu’attendez-vous de cet organe ?

Le CGET a remplacé la Datar mais, là aussi, pour quoi faire ? Quand on a auditionné le précédent commissaire général, il se définissait comme un facilitateur. Dans les faits, c’est effectivement plus un spectateur. L’aménagement du territoire, par définition, c’est quelque chose de transversal, cela doit intégrer toutes les politiques.

Lire aussi : Pourquoi les quartiers défavorisés sont-ils défavorisés ?

Certains aspects relèvent éminemment de l’aménagement du territoire comme la santé. Pourtant, toutes les décisions sont prises sans étudier l’impact sur l’aménagement du territoire. Et cela ne date pas de ce gouvernement, la loi Bachelot, la loi Touraine ont eu les mêmes travers.

Le CGET n’a plus de vision stratégique. Quand vous voyez qu’à l’heure actuelle, on apprécie la pertinence d’une ligne ferroviaire uniquement par rapport à sa rentabilité financière, c’est la négation même de ce qu’est l’aménagement du territoire. J'ai fait partie du conseil d'orientation des infrastructures. A la première réunion à laquelle j’ai assisté, nous avons listé tous les critères d’évaluation des projets. Évidemment, il n’y avait pas l’aménagement du territoire, c’est incroyable !

A vous entendre, il n'y a plus de politique d'aménagement des territoires depuis longtemps...

En effet ça ne date pas d'hier, mais les choses s'accumulant, la situation s'aggrave. Mes collègues parlementaires s'étaient amusés, si je puis dire, à superposer la carte de la couverture numérique et la carte du vote FN. C'était tout à fait édifiant. Il y a un sentiment d'abandon terrible des territoires qui se traduit par des votes de rejet. Il est grand temps d’agir.

Le gouvernement ne connaît pas la ruralité. Le ministre de l'Intérieur était maire de Lyon, le Premier ministre maire du Havre

Vous avez récemment interpellé le ministre de l’Intérieur pour manifester votre mécontentement sur plusieurs désengagements, comme la création d’un « fonds d’action pour les territoires ruraux et les projets d’intérêt général » qui n’a pas vu le jour, ou la baisse de 40 % des crédits dédiés aux collectivités…

On a aujourd’hui un gouvernement qui ne connaît pas la ruralité. Le ministre de l’intérieur était maire de Lyon, le Premier ministre maire du Havre. Le Premier ministre m’a expliqué que la réserve parlementaire était inutile. Je lui ai répondu qu’effectivement, le maire du Havre n’a pas besoin de 2 000 ou 3 000 euros pour mener à bien un projet.

Je peux vous assurer que dans les territoires ruraux, la baisse de la réserve parlementaire a vraiment eu un impact. Quand une petite commune a deux fenêtres à changer et qu’elle n’a droit à aucune subvention depuis que la réserve parlementaire n’existe plus, c’est très dur. Je vois une dizaine de maires par semaine. Certains m’expliquent que les moyens de leur commune sont si réduits qu’ils renoncent même à avoir un abonnement internet à la mairie !

Pour finir, en septembre vous avez aussi interpellé le ministre de l’Action et des Comptes publics sur le recouvrement des créances des collectivités locales. Vous regrettez le fait que les collectivités doivent investir en temps et en personnel pour parvenir au recouvrement des impayés… beaucoup de communes vous ont fait remonter ce problème ?

Je l’ai vécu comme maire dans une commune de 11 000 habitants. Les services de l’Etat ont vu depuis plusieurs gouvernements leurs moyens humains se réduire, ils ont moins de temps à consacrer au recouvrement des créances des collectivités. Ces créances ont pourtant tendance à augmenter car le phénomène des impayés augmente, à la cantine, au centre de loisirs… les collectivités sont de plus en plus dans l’obligation de récupérer ces sommes par elles-mêmes.

Qu’attendez-vous du gouvernement sur ce plan ?

Il faudrait clarifier les choses : soit on considère que c’est toujours la responsabilité de l’Etat et on met les moyens nécessaires, soit on a le courage d’acter que c’est de la responsabilité des collectivités et on en tient compte dans les dotations.

A savoir

Projet de loi Elan, la nouvelle politique logement du gouvernement


Le projet de loi portant Evolution du logement, de l’aménagement et du numérique se déclinera en trois axes :
• Construire plus, mieux et moins cher (mobiliser le foncier, simplifier les procédures, dématérialiser, réformer le secteur HLM)
• Répondre aux besoins de chacun et favoriser la mixité sociale (construire 80000 logements, favoriser la mobilité dans le parc social, favoriser la mixité intergénérationnelle)
• Améliorer le cadre de vie (doubler le programme de renouvellement urbain de 5 à 10 milliards d’euros, revitaliser les centres-villes, simplifier les démarches locatives, lutter contre l’habitat indigne et éradiquer les passoires thermiques, connecter tout le territoire)
Présenté en septembre 2017 par le ministre de la Cohésion des territoires Jacques Mezard et son secrétaire d’État Julien Denormandie, le projet de loi vient d’être examiné par le Conseil d’État et passe en conseil des ministres le 4 avril.

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