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Jacques Bichot nous dirige dans tous les recoins d’un labyrinthe juridique et bureaucratique français qui est jeu de piste pour les spécialistes, mais parcours du combattant pour les quidams (beaucoup plus nombreux). Fin lettré et spécialiste de l’horlogerie sociofiscale, Bichot développe ici, pour fil d’Ariane, une théorie : la complication permet aux bureaucrates (publics ou privés) de bien vivre, aux dépens de ceux qu’ils doivent servir. Volonté de pouvoirs des dirigeants, notamment des élus (puisqu’il faut légiférer pour exister), et désir d’exister des techniciens se renforcent pour produire plus de textes et de contraintes et, au final, conduire à la déshumanisation de la société.
Le labyrinthe, Compliquer pour régner, éditions Les belles lettres
L’ennemi : la complication
Alors que tout le monde pleurniche sur la complexité, l’auteur prend acte de l’inéluctable complexité mais il s’en prend à la complication croissante et superflue.
Abondance de normes nuit à l’humanité et à la prospérité. Les exemples, allant de la finance de marché à la Sécurité sociale, en passant par la CSG, la TVA, les barèmes des impôts, la tuyauterie alambiquée du financement des prestations sociales, valent le détour. Tout comme les fausses simplifications qui sont accumulations de nouveaux dispositifs. L’ensemble est une peinture détaillée et argumentée de la « minocratie » : le gouvernement par la dissimulation et la complication. La devise de cette minocratie n’est pas « diviser pour régner » mais « compliquer pour régner ».
Abondance de normes nuit à l’humanité et à la prospérité.
Attention ! Toutes les flèches ne sont pas réservées au secteur public. Le secteur privé (du turbocapitalisme financier déconnecté des réalités, aux activités intrusives et invasives de phoning et de marketing) en prend également pour son grade.
Une visite complète
L’ouvrage n’a rien du brûlot polémique. Il est technique et porte de manière bienvenue la guérilla parlementaire autour de sujets spécialisés, le rôle des apparatchiks des organisations syndicales ou patronales, ou celui des hauts fonctionnaires érudits/acrobates de la norme. Il s’ensuit un ouvrage extrêmement intéressant, nourrissant un libéralisme dont on peut discuter, mais qui dans chaque page ou chaque note développe une idée ou une remarque judicieuses.
Ainsi, ce propos sur la célèbre thèse de Schumpeter, Bichot estimant qu’il vaut mieux parler de création destructrice que de destruction créatrice.
« Cette plongée dans différents labyrinthes français (et européens) montre que la simplicité est caractéristique d’une société policée. Et que la complication est l’outil d’une société policière. »
Ou encore Bichot de souligner sa préférence pour la formule « serviteur de la population » à celle de « serviteur de l’État ». Bien vu ! Au final, cette plongée dans différents labyrinthes français (et européens) montre que la simplicité est caractéristique d’une société policée. Et que la complication est l’outil d’une société policière.
Le « choc de simplification » énoncé par le gouvernement ne peut donc qu’être salutaire. À condition d’être drastique, courageux et rapide. Mais, en l’espèce, rien de radical ne semble vraiment lancé. Car il est toujours très compliqué de simplifier et, en réalité, très simple de compliquer.
EXTRAITS
« À cette complexité accrue de la société humaine répond naturellement une plus grande complexité des règles juridiques. »
« Bien plus qu’au principe de réalité, la fiscalité française obéit au principe de plaisir des décideurs et de leurs conseillers amateurs de bricolage. »
« La complication bâtissant des mondes d’apparence trompeuse, c’est dans le réalisme et le bon sens qu’elle est soluble. »
Références
Le labyrinthe, Compliquer pour régner, éditions Les belles lettres, 2015
Jacques Bichot,
238 pages, 19,50 euros