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Vous avez lancé le pacte social et écologique avec 18 autres organisations. En quoi ce pacte a-t-il plus de chance que d’autres de bousculer les consciences ?
Ça fait huit mois en effet que nous travaillons sur ce pacte ((Plusieurs organisations, réunies autour du secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger, et l’ancien ministre de la Transition écologique, Nicolas Hulot, défendent 66 propositions dans le but de marier la défense de l’environnement et le progrès social. La revalorisation des minima sociaux, un ISF relifté et la priorité donnée à la transition écologique figurent parmi les principales préconisations.)), à confronter nos points de vue à plusieurs sur la manière dont le gouvernement mène son action. La crise des Gilets jaunes a mis en évidence le fait que les corps intermédiaires avaient subi un affaiblissement. Le Grand débat national montre de son côté que le débat social ne s’oppose pas à l’urgence climatique, qu’il faut dépasser les frontières, les champs d’intervention et les univers. La Fondation Abbé Pierre est grandement associée à cette démarche, que nous validons depuis des années. Maintenant, il faut passer du constat à l’action. Et nos 66 propositions vont dans cette direction…
Le débat autour de la fiscalité ces derniers mois montre bien que si les deux pôles ne convergent pas, on rate la cible
Ce n’est pas la première fois qu’une initiative aussi ambitieuse est lancée…
Vous avez raison. Mais en l’occurrence, l’affichage est très accentué car c’est une démarche qui insiste sur cette nécessité impérieuse de ne plus dissocier social et environnement. Ce rapprochement assumé est assez récent. Certes, depuis qu’il est devenu incontournable dans les politiques publiques, le développement durable intègre la spécificité sociale mais la réflexion n’était pas allée jusqu’à la structuration d’une société plus juste où le logement des plus démunis se ferait en prenant en compte l’environnement. Le débat autour de la fiscalité ces derniers mois montre bien que si les deux pôles ne convergent pas, on rate la cible, on crispe la société.
Cette soif de démocratie participative ne doit pas être déçue
Nous sommes dans un moment particulier. Il y a une forte concentration du pouvoir et une aspiration au débat, une césure marquée entre des élites et des populations, sans qu’elles soient bien identifiées. Les corps intermédiaires peuvent donc jouer leur rôle pour embarquer tout le monde dans un projet de réconciliation de notre société. Cette soif de démocratie participative ne doit pas être déçue et les corps intermédiaires doivent retrouver leur fonction initiale, celle de porter les revendications de ceux que l’on n’entend pas.
Justement, concernant le gouvernement, quels regards portez-vous sur son action en matière de logement ?
Je dis bravo sur le programme Logement d’abord, mis en place depuis un an et demi et que nous avons porté. Nous sommes au niveau de la déclinaison territoriale, 23 territoires ont été retenus, avec des objectifs chiffrés, un plan quinquennal, un pilote et des moyens humains et financiers en face. Je rappelle la logique de ce dispositif : plutôt que de proposer des logements d’urgence aux personnes en difficulté, dispositif dont tout le monde sait qu’il coûte cher, pourquoi ne pas proposer directement un logement auxdites personnes pour qu’elles repartent du bon pied… Sur ce plan, nous ne sommes pas déçus.
La coupe de 5 euros par mois et le gel des APL forment une attaque frontale contre le logement social
Mais le reste ne suit pas. Les coupes dans les APL, dans le financement du logement social, contredisent la bonne volonté du gouvernement. Ce gouvernement nous questionne sur la cohérence globale de son action.
Le nombre de mal-logés continue donc à croître…
Comment « protéger ceux qui sont les plus fragiles », pour reprendre les termes du Premier ministre, quand, au contraire, les coupes budgétaires et les critiques sur l’encadrement des loyers prennent le dessus ? La coupe de 5 euros par mois, entrée en vigueur au 1er octobre 2017 sans limitation de durée, et le gel des APL depuis le 1er octobre 2018, forment une attaque frontale contre le logement social.
Le pacte encourage à une politique d’investissement public massive qui entraînerait un cercle vertueux sur le plan social
Les travaux de l’ingénieur du CGEDD Jacques Friggit n’ont mis en évidence aucun effet déflationniste de la baisse des APL sur les loyers. Au final, on va se retrouver avec 3,2 Md€ de coupes chaque année à partir de 2020, une saignée sans précédent, qui risque d’entraîner une chute de la construction, de la réhabilitation mais aussi de la rénovation thermique. Comment imaginer atteindre un tel objectif quand tout concourt à fragiliser les piliers solidaires de la politique du logement ?
Le manifeste est en ligne
Le manifeste pour un pacte social et écologique dispose de son site (pactesocialecologique.org) où la démarche est clairement identifiée. « Penser l’État social-écologique de demain ne peut se faire qu’à la lumière des défis majeurs de notre époque, liés aux évolutions et aux transformations de nos sociétés. Nous en avons identifié quatre : répondre à l’évolution fulgurante des technologies, promouvoir un système économique écologiquement soutenable, accompagner l’évolution des modes de vie, relever le défi des migrations et de l’internationalisation.
Comment ce pacte est-il perçu par le gouvernement ?
J’ai eu l’occasion de croiser le Premier ministre. Cette démarche est bien identifiée. Le pacte encourage à une politique d’investissement public massive qui entraînerait un cercle vertueux sur le plan social. Par exemple, si l’État investit de façon significative sur la rénovation des 7 millions de logements en France considérés à ce jour comme des passoires thermiques, il est évident que l’on redonne du pouvoir d’achat aux ménages, qui paieront des factures énergétiques moins élevées, mais aussi que l’on protège la planète et qu’en plus, on crée de l’emploi. C’est un investissement public où tout se tient, un exemple positif de cohérence d’action. Il faut désormais passer à l’étape supérieure.
Un dispositif Pinel social, avec une application territorialisée, prenant en compte la qualité des logements aurait clairement du sens
Cette approche peut être étendue à d’autres domaines…
Oui, prenons l’exemple de la fiscalité liée aux entreprises. Cette dernière pourrait être mieux encouragée si des critères écologiques ou sociaux étaient intégrés. Un dispositif Pinel social, avec une application territorialisée, prenant en compte la qualité des logements. Cela aurait clairement du sens. Nous avons d’ailleurs lancé une autre initiative avec la Fédération française du bâtiment, l’USH et l’AMF pour mener des actions concrètes sur le terrain et faire ainsi reculer le mal-logement.
La dissolution des responsabilités est un frein, elle se pose aussi dans le social
Pourquoi les différents gouvernements sont-ils dans l’incapacité de répondre à cette urgence sociale et écologique ? Pourquoi les pourfendeurs de cet état de fait deviennent-ils inefficaces quand ils sont au pouvoir ?
C’est une question importante. Il serait malhonnête de dire que rien ne se fait. Depuis Louis Besson [plusieurs fois ministre du Logement, il a mené des réformes de fond], beaucoup de choses ont été faites. Par exemple, le budget consacré à l’hébergement d’urgence a certes augmenté mais nous avons changé d’échelle. Les changements structurels ne sont pas au rendez-vous parce que la question du volontarisme politique reste aléatoire, tout le monde se demande qui est responsable de quoi. Cette dissolution des responsabilités est un frein, elle se pose aussi dans le social. Il ne faut jamais oublier que le temps de la transformation sociétale n’est pas le même que celui du politique. Le stop-and-go nous cause beaucoup de problèmes. L’encadrement des loyers était une bonne chose mais la justice l’a remis en cause. Pareil pour le logement insalubre, on se mobilise quand un immeuble s’effondre, en l’occurrence à Marseille, avec huit morts à la rue d’Aubagne.
Christophe Robert est délégué général de la Fondation Abbé-Pierre.