Clubs sportifs professionnels : si on coupait le cordon ?

Jean-Christophe Poirot

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Clubs sportifs professionnels : si on coupait le cordon ?

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© ranck Boston-fotolia

Les collectivités ont-elles leur place aux côtés du sport professionnel dans un contexte de contraction des finances publiques ? Pas au prix actuel, juge un rapport sénatorial qui appelle à refonder complètement le modèle d’aide publique aux clubs professionnels. « L’heure des transferts » de charges a sonné, titre le rapport. Ambitieux et détonnant.

Article publié le 12 juin 2014

Un modèle à « bout de souffle », c’est ainsi qu’est qualifié le soutien des collectivités aux clubs sportifs professionnels par la mission d’information du Sénat consacrée à cette thématique. Dans un rapport dont la synthèse a été présentée le 30 avril (2014), la mission présidée par Michel Savin, sénateur de l’Isère, formule trente propositions pour refonder le modèle économique des relations entre les collectivités et les clubs pros. Son objectif : « couper le cordon » entre sport business et argent public.

Bénéfices privatisés, pertes socialisées

Ce coup de ciseaux est une nécessité, tant le décalage s’accroît entre les moyens des acteurs du sport-spectacle et ceux, exsangues, des collectivités. La montée en puissance de l’industrie du sport professionnel remet en cause la légitimité même des aides publiques (157 M. d’euros pour la saison 2011-2012, soit 800 000 euros en moyenne par club pro), explique les sénateurs : « Il n’est plus acceptable de voir les clubs s’engager dans une inflation des dépenses salariales pour recruter les meilleurs joueurs alors que les collectivités assument seules les investissements dans les équipements sportifs sans bénéficier des recettes des droits télévisés ».

Ce coup de ciseaux est une nécessité, tant le décalage s’accroît entre les moyens des acteurs du sport-spectacle et ceux, exsangues, des collectivités.

Cette situation conduit à « une privatisation des bénéfices, via la masse salariale, et une socialisation des pertes, via le soutien financier des collectivités territoriales », conclut le rapport.

Transférer la propriété des enceintes sportives

La première piste de réforme avancée concerne les enceintes sportives. « Le nerf de la guerre, c’est le modèle de gestion des équipements sportifs », rappelle le rapporteur, Stéphane Mazars, sénateur de l’Aveyron. Aujourd’hui, un nombre réduit de stades appartiennent à leur club locataire, tandis qu’on ne compte plus les enceintes propriétés des communes ou des intercommunalités et qui plombent leurs finances.

L’Arena au Mans, dont le club de foot résident a été mis en liquidation peu de temps après son inauguration en 2011, le nouveau stade du Hainaut à Valenciennes, dont l’équipe de foot est reléguée en Ligue 2 la saison prochaine, le stade des Alpes à Grenoble, dont le club a connu la même destinée… sont des exemples, parmi d’autres, d’enceintes récentes que les collectivités propriétaires sont condamnées à « porter à bout de bras ».

Pour la mission, la solution est sans ambiguïté : la propriété des enceintes doit revenir aux clubs professionnels et aux fédérations. Les sénateurs proposent un transfert progressif des structures existantes : le rachat des stades par les clubs pros serait facilité par une modification de l’article 113-1 du code du sport (il limite la possibilité pour les collectivités d’accorder des garanties d’emprunt ou leur cautionnement aux associations sportives et aux sociétés sportives) et les collectivités engagées dans un partenariat public-privé (PPP) pourraient céder leur enceinte au club résident au travers d’un crédit-bail.

Pour les stades à venir, le but est d’en finir avec des enceintes intégralement payées sur fonds publics.

Celles qui souhaitent conserver la propriété de leurs infrastructures seraient incitées à en déléguer la gestion aux clubs résidents. Pour les stades à venir, le but est d’en finir avec des enceintes intégralement payées sur fonds publics : ils ne pourraient plus dépasser 50 % du coût total de la construction et le recours aux PPP serait interdit. Ce mode de financement incite à surdimensionner les investissements et constitue « une astuce pour conserver à tout prix la gouvernance des stades », justifie Stéphane Mazars.

En finir avec les subventions d’ici 2020

Plus largement, les collectivités n’auraient plus vocation à subventionner les clubs pros. Les dotations servant au fonctionnement seraient redirigées vers le seul investissement, et cela en deux temps. À partir de 2016-2017, les subventions aux clubs de la Ligue 1 de football et du Top 14 de rugby seraient supprimées, de même que les achats de prestations aux clubs sans contrepartie (moyen de contournement des seuils de subventions). 2020 verrait la fin des subventions du secteur public local aux clubs sportifs pros de « l’ensemble des disciplines arrivées à maturité ».

Les clubs devraient financer une part plus importante des actions « éducatives, sociales et de promotion du sport », aujourd’hui largement assumées par les collectivités.

Les clubs devraient également financer une part plus importante des actions « éducatives, sociales et de promotion du sport », aujourd’hui largement assumées par les collectivités. Ces actions sont souvent présentées comme « justifiant » l’aide versée/reçue. Les clubs et ligues professionnels seraient invités à se doter de fondations ou de fonds de dotations, et les clubs de première division auraient l’obligation de consacrer une fraction de leurs revenus à des actions sociales via ces outils de financement. Les achats de prestations des collectivités y seraient transférés afin de garantir que les contreparties respectent l’intérêt général.

 

 

Gagner en transparence

Enfin, la mission souhaite que les pouvoirs publics s’assurent de l’efficience de la régulation du secteur. Aujourd’hui, les fédérations sont sous l’influence des ligues et les ligues sous l’influence des clubs. Les sénateurs préconisent de transférer à une autorité administrative indépendante le pouvoir de régulation et la supervision du contrôle de gestion.

Les sénateurs préconisent de transférer à une autorité administrative indépendante le pouvoir de régulation et la supervision du contrôle de gestion.

Ce « conseil supérieur du sport professionnel » regroupant notamment les directions nationales du contrôle de gestion (DNCG) et l’Autorité de régulation des jeux en ligne (Arjel), aurait un droit de regard sur la création de stades, les redevances, la répartition des droits TV. Par ailleurs, la DGCL serait chargée d’établir un bilan annuel agrégé des relations financières entre secteur public local et sport pro.

Retour au vestiaire ?

Le rapport reprend plusieurs positions exprimées ces dernières années par les représentants des collectivités, notamment l’Association nationale des élus en charge des sports (Andes). Ses propositions ont-elles pour autant des chances d’aboutir ? Les obstacles à franchir sont nombreux. La nouvelle ministre des Sports, Najat Vallaud-Belkacem, a annoncé la « mise en suspens » du projet de loi-cadre sur le sport voulu par sa prédécesseure, ce qui prive de débouchés immédiats les propositions sénatoriales. La grande mise à plat que le sport attend depuis 1984 devrait céder le pas à des réformes par petites touches.

On voit mal par ailleurs les dirigeants des clubs professionnels se faire « hara-kiri »… sans y être contraints. Le récent rapport Glavany sur le foot professionnel a bien montré que le régime de propriété publique des stades est entré dans le modèle économique des clubs qui se satisfont de mises à disposition moyennant des rétributions modérées. Enfin, on peut douter que tous les élus locaux soient résolus à « couper le cordon » entre eux et « leurs » clubs, tant les relations avec le sport pro échappent parfois à la rationalité économique.

Gouvernance : la région et l’agglo aux commandes
Le sport est, avec la culture, le tourisme et le développement économique, un domaine très partagé (disputé) entre les échelons territoriaux. La mission plaide pour que soit clarifiée la répartition des compétences autour d’un binôme région-agglomération. L’interco et les futures métropoles seraient « le partenaire de référence » pour accompagner les clubs professionnels et la région aurait une compétence exclusive sur la formation professionnelle dans le domaine. Les conseils généraux verraient leurs compétences limitées à la mise en place des événements sportifs non organisés par des clubs professionnels (ils pourraient toujours soutenir les manifestations sportives professionnelles).

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