Comment redonner vie aux friches industrielles

Comment redonner vie aux friches industrielles

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Pour lutter contre l’artificialisation des sols et relancer une réindustrialisation sobre et de bon sens, les aménageurs louchent sur les friches industrielles. Un récent rapport parlementaire avance plusieurs propositions pour lever les obstacles administratifs. La création d’un guichet unique régional serait la première pierre de l’édifice.

Le tournant a été pris au début des années quatre-vingt-dix. La France est entrée dans une phase de décélération industrielle. Des usines ont fermé, certaines ont trouvé de nouveaux usages, comme les merveilleuses friches de la Belle-de-Mai à Marseille, où les activités culturelles novatrices bouillonnent depuis plus de vingt ans. Mais qu’en est-il ? Combien la France compte-t-elle de friches industrielles ? Les acteurs publics ont du mal à accorder leurs violons.

Des usines ont fermé, certaines ont trouvé de nouveaux usages, comme les merveilleuses friches de la Belle-de-Mai à Marseille

Le ministère de la Transition écologique en recense 1 400. Ce serait bien plus, à entendre Marie-Noëlle Battistel (PS, Isère), présidente de la mission d’information sur la revalorisation des friches industrielles, commerciales et administratives, qui a présenté un rapport sur le sujet, le 27 janvier, devant les commissions du développement durable et des affaires économiques de l’Assemblée, « entre 4 000 et 10 000 pour une surface totale de 90 000 à 150 000 hectares ». Les deux députés LREM de Seine-Maritime, Stéphanie Kerbarh et Damien Adam, avancent ainsi 14 propositions qui pourraient servir à alimenter les débats parlementaires sur le projet de loi « Climat et résilience », qui a été présenté en conseil des ministres le 10 février dernier et sera examiné par les députés à la fin du mois de mars.

Au carrefour de nombreux enjeux

En l’état, le texte de 65 articles, issu des propositions de la Convention citoyenne, aborde le sujet des friches industrielles via la lutte contre l’artificialisation des sols. En effet, pour réduire l’étalement urbain, le projet de loi entend diviser « par deux le rythme de l’artificialisation galopante des sols » et « interdire l’implantation de nouveaux centres commerciaux sur des espaces naturels avec une dérogation possible en dessous de 10 000 m² », comme l’avait indiqué Barbara Pompili dans un entretien accordé au Parisien à la mi-décembre. Un « seuil beaucoup trop élevé », assure au Monde Anne Bringault, du Réseau action climat (RAC). « 90 % des projets de zones commerciales font moins de 10 000 m² ».

La remise en état de friches entre dans le champ de la nécessité de « relocalisation de l’appareil productif », axe fort du plan de relance

La Convention souhaitait l’interdiction de toute artificialisation des sols tant que des friches sont disponibles dans une zone. Dans l’avant-projet de loi, il apparaît que les friches n’ont pas réussi à se frayer (encore) un chemin sûr vers leur réutilisation. Mais le débat ne fait que commencer. Les deux députés en sont convaincus, la question des friches est au carrefour de plusieurs enjeux : « La lutte contre l’étalement urbain, le réemploi de terrains souvent bien placés, la reprise d’une activité économique sur un territoire, la lutte contre les pollutions générées par les anciennes activités ». La remise en état de friches entre aussi dans le champ de la nécessité de « relocalisation de l’appareil productif », axe fort du plan de relance.

Vers la création d’un « indice de mutabilité »

À ce jour, la priorité clairement affichée est de dresser l’inventaire exhaustif des friches. L’outil « Cartofriche », créé par le ministère de la Transition écologique et le Cerema, va dans ce sens mais les deux rapporteurs souhaitent que les mises à jour soient plus régulières et organisées à travers la mise en place d’un comité de suivi.

Les collectivités devraient inscrire obligatoirement dans leurs documents d’urbanisme les friches inventoriées avec leurs caractéristiques

Les établissements publics fonciers (EPF) auraient ainsi une compétence obligatoire dans le contrôle des informations. Les collectivités devraient inscrire obligatoirement dans leurs documents d’urbanisme les friches inventoriées avec leurs caractéristiques et les informations utiles aux aménageurs potentiellement intéressés. Le Lifti (Laboratoire d’initiatives foncières territoriales innovantes) a déjà planché sur le sujet en proposant des indicateurs (sur l’état environnemental de la parcelle, l’état de la biodiversité, le niveau de pollution, la qualité des sols…). Le rapport souhaite aller dans le même sens en créant un « indice de mutabilité » destiné des acquéreurs potentiels.

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Des fonds Feder sous-utilisé

L’un des principaux obstacles concerne le coût des opérations de réhabilitation, évalué à 1 M€ par hectare de friche dépolluée. Ce qui risque de refroidir pas mal d’investisseurs. La création du fonds friche de 300 M€ dans le cadre du plan de relance pourra certes alléger la facture mais les députés invitent le gouvernement à renforcer les moyens financiers. La création d’un « guichet unique régional » irait dans le sens d’un élargissement des sources potentielles de financement : les collectivités auraient ainsi en un même lieu la possibilité de soumettre des projets aux agences (ANCT, Ademe, Cerema) et aux financeurs comme la Banque des Territoires. Enfin, Damien Adam, comme d’autres élus, s’est dit « consterné » par la sous-utilisation des crédits Feder qui, depuis 2014, peuvent financer des opérations de réhabilitation de friches.

Le principal point de blocage demeure l’équilibre économique des projets d’aménagement

Trouver le bon équilibre économique

« Lorsqu’une friche est identifiée, sa reconversion fait intervenir une pluralité d’acteurs aux intérêts parfois divergents : propriétaire foncier, exploitant, services de l’État et des collectivités, porteurs du projet (établissements publics fonciers ou administratifs, promoteurs, entreprises). La reconversion se fait le plus souvent selon des logiques de marché propres à chaque situation, avec ou sans intervention publique. Le principal point de blocage demeure cependant l’équilibre économique des projets d’aménagement qui sont, de manière générale, sujets à une accumulation de surcoûts et d’aléas. Notamment pour tout ce qui concerne la dépollution du site, dont les coûts et la durée exposent le meneur de projets à des risques financiers importants », assure de son côté Stéphanie Kerbarh, co-rapporteure.

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Faisabilité à géométrie variable

Reste à savoir comment les collectivités territoriales se saisiront du sujet. Jean-Louis Denoit, maire de Viviez, petite commune de l’Aveyron, membre de l’Association des maires de France (AMF), auditionné par les débuts, livre un sentiment que beaucoup partagent. « Avec la crise du Covid-19, on pourrait rapidement avoir des friches dans des activités industrielles qui ne posaient pas de problème jusqu’alors, dans l’aéronautique notamment, très présent en région Occitanie », alerte-t-il, assurant qu’en matière d’incitation à la dépollution, le serpent aurait tendance à se mordre la queue : lorsqu’une cession est actée, « la majorité des maires repart sur une requalification des terrains en activité industrielle, ce qui simplifie la problématique de dépollution ». Car une réhabilitation de friches ne se fait pas sur un claquement de doigts : « La faisabilité des opérations n’est pas la même partout, il y a même des territoires où la faisabilité est inexistante, ce qui fait qu’il y a des friches qui perdurent », conclut-il.

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