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L’article L.1224-3 du code du travail impose aux personnes publiques qui décident de poursuivre l’activité d’une personne privée, dans le cadre d’un service public administratif, de proposer à l’ensemble des salariés de cette entreprise un contrat de droit public reprenant les éléments substantiels de leur contrat de droit privé.
Si, à première lecture, l’application de cet article peut paraitre simple, la mise en œuvre de cette obligation de reprise du personnel a donné lieu à de nombreuses précisions par la jurisprudence judiciaire, nécessitant une compilation.
Dans quelle situation, une personne publique est-elle tenue de reprendre le personnel d’une personne privée ?
L’article L.1224-3 du code du travail est une déclinaison du principe général fixé à l’article L.1224-1 du même code, selon lequel les contrats de travail des salariés d’une entreprise sont transférés à tout nouvel employeur reprenant, suite notamment à une fusion, une vente ou une succession, l’activité de cette entreprise. Or la jurisprudence judiciaire a pu préciser que cette obligation, et partant celle de reprise du personnel par une personne publique, n’avait vocation à s’appliquer qu’en présence d’un transfert d’une entité économique autonome ayant conservé son identité. Ainsi, il doit, tout d’abord, s’agir d’un ensemble organisé de personnes et d’éléments corporels ou incorporels permettant l’exercice d’une activité économique qui poursuit un objectif propre.
Autrement dit, l’entité économique doit disposer de son propre personnel, spécialement affecté à l’exercice de l’activité en cause, et de ses propres moyens corporels (bâtiment, terrains, matériels, stocks...) ou incorporels (clientèle, droit au bail...). Ces moyens matériels ou humains doivent par ailleurs être organisés en vue de l’exercice d’une activité poursuivant un objectif propre, c’est-à-dire qu’ils doivent tendre à des résultats spécifiques et à une finalité propre. À titre d’exemple, la présence d’une entité économique autonome ne pouvait être caractérisée dès lors que le « service ne possédait pas de moyens particuliers tendant à des résultats spécifiques et à une finalité économique propre » ((Cour de cassation, soc. 18 juillet 2000, n°98-18037)) ou encore en « l’absence d’affectation de tout un personnel à titre permanent, même à temps partiel, dans le secteur concerné » ((Cour de cassation, soc. 28 janvier 2004, n°01-46102)).
La condition liée à la conservation de l’identité est par principe remplie dès que la même activité se poursuit chez le repreneur, avec les mêmes moyens
La notion de transfert recouvre notamment, pour ce qui concerne les personnes publiques, l’hypothèse de la reprise par une commune de l’activité d’une association gérant un centre culturel dans la mesure où l’intégralité de l’activité avait été reprise ainsi que la plus grande partie des moyens en personnel ((Cour d’appel de Paris, 23 septembre 2010, n°08/12162)), ou encore l’hypothèse de la reprise en régie directe, par une commune, d’une piscine auparavant gérée par une association, la commune ayant repris la gestion du service avec les mêmes moyens matériel et humains (moyens corporels tels que le bâtiment de la piscine et le matériel y afférents ainsi que le personnel propre au service tels que les maitres-nageurs) ((Cour d’appel de Versailles, 13 mai 2008, n°05-4042)).
Enfin, la condition liée à la conservation, par l’entité économique transférée, de son identité est par principe remplie dès lors que la même activité se poursuit chez le repreneur, avec les mêmes moyens. Ainsi, l’activité ne doit pas être substantiellement modifiée, ni qualitativement, ni quantitativement et les moyens nécessaires à la poursuite de l’activité doivent être transférés (locaux, matériels...). Par exemple, un simple changement dans les modalités d’exploitation ou la structure de la clientèle ne suffit pas à caractériser une modification de l’identité de l’entité ((Cour de cassation, soc. 12 octobre 2004, n°02-44309)). En revanche, l’identité n’existe plus en cas de changement d’activité ((Cour de cassation, soc. 9 juin 1983, n°81-40257)) ou de cessation pure et simple de l’activité sans reprise de son exploitation par le successeur ((Cour de cassation, soc. 3 mars 1988, n°84-43596)).
Que recouvre l’obligation de reprise du personnel ?
En vertu de l’article L.1224-3, la personne publique devra proposer, à chacun des salariés de la personne privée, un contrat de droit public, qui, d’une part, est à durée indéterminée ou déterminée en fonction de la nature du contrat dont ils sont titulaires et, d’autre part, « reprend les clauses substantielles du contrat (…), en particulier celles qui concernent la rémunération ».
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Outre la rémunération expressément visée par le texte, doivent être, en principe, considérées comme substantielles, les clauses déterminant le temps de travail, le lieu d’exercice des fonctions, la nature des fonctions du salarié et sa qualification. Par conséquent, la personne publique doit proposer aux agents des contrats qui reprendront la rémunération, le temps de travail, le lieu de travail, ainsi que la nature des fonctions et la qualification de chaque agent, sauf à démontrer qu’une disposition légale, ou que les conditions générales de rémunération et d’emploi des agents non titulaires qui s’imposent à la personne publique, s’y opposent.
Sur cette problématique liée à l’incompatibilité des clauses du contrat de droit privé avec les règles régissant les personnes publiques, le juge judiciaire a admis que la clause substantielle liée à la durée indéterminée du contrat puisse ne pas être reprise dans le cadre du contrat de droit public, dans la mesure où l’agent n’était pas bénéficiaire d’un concours d’accès à la fonction publique.
Doivent être considérés comme substantiels, le temps et le lieu de travail, la nature des fonctions du salarié et sa qualification
Ainsi, la proposition de conclure un contrat à durée déterminée de droit public par une communauté d’agglomération à un agent recruté par un contrat à durée indéterminée par l’association gérant l’école de musique dont l’activité a été reprise par la collectivité était justifiée dès lors que la communauté d’agglomération ne pouvait lui proposer un emploi titulaire permanent (CDI de droit public) dans la mesure où il n’était pas bénéficiaire d’un concours d’accès à la fonction publique ((Cour d’appel d’Aix-en-Provence, 25 septembre 2007, n°07/01207 ; arrêt confirmé par la Cour de cassation, 2 décembre 2009, n°07-45304)).
De la même manière, la Cour de cassation ((Cour de cassation, 8 décembre 2016, n°15-17176)) a admis que la clause substantielle relative à la durée indéterminée du contrat de travail ne soit pas reprise dans le cadre du contrat de droit public proposé au salarié dès lors que ses fonctions correspondent à un cadre d’emplois accessible uniquement par la voie du concours (missions relevant d’un cadre d’emplois de catégorie B uniquement accessible sur concours à la différence des missions relevant d’un cadre d’emplois de catégorie C).
À quel moment une personne publique doit-elle proposer les contrats de droit public ?
Tout d’abord, la Cour de cassation a pu considérer ((Cour de cassation, 26 juin 2013, n°12-19.208)) que la personne publique reprenant l’activité pouvait proposer des contrats de droit public aux agents avant même la date du transfert effectif. Ainsi, si les agents refusent le contrat proposé, la personne publique pourra engager la procédure de licenciement et mettre fin aux contrats à la date effective de la reprise de l’activité (cf. Infra). Pour autant, dans l’hypothèse où, à la date de la reprise de l’exploitation de l’activité, la collectivité n’a pas proposé de contrats de droit public aux agents devant être transférés ou si ceux-ci n’ont pas encore fait part de leur décision, le juge judiciaire considère que « les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le personnel de l’entreprise et le nouvel employeur, qui est tenu, dès la reprise de l’activité, de continuer à rémunérer les salariés transférés dans les conditions prévues par leur contrat de droit privé jusqu’à ce que ceux-ci acceptent le contrat de droit public qui leur sera proposé, ou jusqu’à leur licenciement, s’ils le refusent » ((Cour de cassation, 1er juin 2010, n°09-40679)).
Dans ces conditions, à partir de la date effective de la reprise de l’activité de la personne privée, la personne publique devra appliquer les dispositions des contrats de droit privé des salariés (temps de travail, rémunération, fonctions…).
Le juge judiciaire a admis que la durée indéterminée du contrat puisse ne pas être reprise dans le cadre du contrat de droit public
Quelles sont les conséquences du refus par le salarié du contrat de droit public proposé ?
Dans l’hypothèse où le salarié refuse le contrat de droit public, reprenant pourtant les clauses substantielles de son contrat de droit privé ou dont les modifications substantielles sont justifiées par leur incompatibilité avec les règles régissant les personnes publiques, l’article L.1224-3 du code du travail fait référence de manière relativement vague aux « dispositions relatives aux agents licenciés prévues par le droit du travail et leur contrat ».
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La Cour de cassation est venue préciser récemment ce que recouvraient ces dispositions. Ainsi, la Chambre sociale ((Cour de cassation, 10 janvier 2017, n°15-14775)) a considéré que la procédure de licenciement prévue par le code du travail était applicable aux agents qui refusaient le contrat de droit public. La personne publique reprenant l’entité économique autonome doit donc appliquer les règles inscrites au sein du code du travail ou, si celles-ci sont plus favorables, celles de la convention collective applicable.
En premier lieu, la personne publique doit respecter un délai de préavis entre la date de notification du licenciement et sa date d’effet, sa durée étant fonction de l’ancienneté de l’agent au sein de l’entreprise. Dans l’arrêt précité, la Cour de cassation a ainsi considéré que la personne publique qui n’avait pu respecter le délai de préavis était redevable d’une indemnité de préavis auprès de l’agent qui avait refusé le contrat de droit public. En revanche, la Cour de cassation, dans le même arrêt, a pu préciser que les dispositions relatives à la réalisation d’un entretien préalable au licenciement n’étaient pas applicables.
Si l’agent refuse le contrat de droit public qui lui est proposé, il peut être licencié, même s’il est en congé de maladie
En second lieu, le salarié licencié a également droit au versement d’une indemnité de licenciement, conformément aux dispositions des articles R.1234-1 et suivants du code du travail, sauf à ce que les dispositions de la convention collective soient plus favorables. L’indemnité de licenciement est à la charge de la personne publique reprenant l’activité et est, à l’instar de la durée du préavis, fonction de l’ancienneté. La personne publique reprenant l’entité économique autonome doit donc appliquer les règles inscrites au sein du code du travail ou, si celles-ci sont plus favorables, celles de la convention collective applicable.
La Cour de cassation a pu préciser ((Cour de cassation, 1er février 2017, n°15-18481)) que les dispositions de l’article L.1226-9 du code du travail, prévoyant l’impossibilité de licencier un agent au cours des périodes de suspension du contrat, et donc notamment en cas d’arrêt maladie, n’était pas applicable dans l’hypothèse de la reprise d’une activité. Autrement dit, si l’agent refuse le contrat de droit public qui lui est proposé, la personne publique peut procéder à son licenciement même si l’agent est en période de suspension de son contrat et notamment si celui-ci est en congé de maladie.
Que se passe t-il quand le contrat ne reprend pas les clauses substantielles du contrat en cours ?
En revanche, lorsque la personne publique qui reprend l’activité propose un contrat qui, en violation des dispositions de l’article L.1224-3 du code du travail, ne reprend pas les clauses substantielles du contrat en cours, sans que cette modification ne soit liée à une incompatibilité avérée avec les règles qui régissent la personne publique, le refus du salarié ne saurait constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement. Dans une telle hypothèse, le juge, saisi d’un recours exercé par le salarié contre la décision de licenciement, serait amené à requalifier le licenciement en licenciement sans cause réelle et sérieuse, comme l’a jugé la cour d’appel d’Aix-en-Provence ((Cour d’appel d’Aix-en-Provence, 7 décembre 2010, n°09/07680 ; arrêt confirmé Cour de cassation, 13 novembre 2012, n°11-12.050)). Dans cette affaire, la personne publique avait proposé au salarié un contrat de droit public ne reprenant pas la clause substantielle liée à la rémunération, entrainant une perte pour le salarié de 240 € par mois. La cour d’appel, considérant que la personne publique ne démontrait pas que la rémunération auparavant accordé à la salariée était manifestement excessive au regard de la rémunération perçue par les agents de droit public, l’a condamnée au versement de dommages et intérêts s’ajoutant à l’indemnité légale de licenciement.
Le juge saisi d’un recours exercé contre la décision de licenciement requalifierait le licenciement en licenciement sans cause réelle et sérieuse
La reprise des contrats de droit privé dans le cadre d’un contrat de droit public est donc un processus long et complexe mais qui est loin de recouvrir l’ensemble des problématiques posées par la décision d’une personne publique de poursuivre l’activité d’une entreprise dans le cadre d’un service public administratif. En effet, la personne publique devra également et notamment s’interroger sur le devenir des dettes de l’entreprise.
Ce qu’il faut retenir
• L’obligation de reprise du personnel ne s’applique qu’en cas de poursuite par une personne publique de l’activité d’une entité économique autonome
• La personne publique doit proposer un contrat de droit public reprenant la nature du contrat de droit privé (CDD ou CDI) ainsi que ses clauses substantielles (temps de travail, fonctions, rémunération…)
• La personne publique ne peut proposer un contrat de droit public ne reprenant pas les clauses substantielles du contrat du salarié qu’en raison de leur incompatibilité avec les règles de droit public
• Le refus du salarié de bénéficier d’un contrat de droit public entraine la rupture de plein droit de son contrat et celui-ci doit alors être licencié selon les règles du code du travail ou de la convention collective