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© S. Engels
Un certain nombre de textes (loi, décret, arrêté), précisent les missions de la commission de réforme. Rappelons que la commission de réforme est notamment consultée sur :
- l’imputabilité au service de la maladie ou de l’accident à l’origine d’un congé de maladie ordinaire, d’un congé longue maladie (CLM) ou d’un congé longue durée (CLD) sauf si l’administration reconnaît d’emblée cette imputabilité ;
- la situation du fonctionnaire à la fin de la dernière période d’un CLM ou d’un CLD lorsque le comité médical a présumé le fonctionnaire définitivement inapte lors du dernier renouvellement de son congé ;
- la reconnaissance et la détermination du taux de l’invalidité temporaire ouvrant droit au bénéfice de l’allocation d’invalidité temporaire ;
- la réalité des infirmités suite à un accident de travail/une maladie professionnelle, leur imputabilité au service, le taux d’invalidité en vue de l’attribution de l’allocation temporaire d’invalidité ;
- le dernier renouvellement d’une disponibilité d’office pour raison de santé.
Lorsqu’un fonctionnaire touché par un burn-out ou une dépression souhaitera associer un arrêt maladie à une cause professionnelle, la commission de réforme sera mobilisée autour des alinéas 1 et 4 de ses missions.
Objectif : répondre de la vérité par une démarche médico-légale éclairant l’administration
La sémantique utilisée pour exposer les missions de la commission de réforme est particulière, notamment dans ses alinéas 1 et 4. Les membres de la commission ont pour mission de rechercher et objectiver des faits générateurs de maladie. Ils ont à estimer la réalité des faits, leur imputabilité à l’administration ou au service. Pour se prononcer, les membres de la commission doivent se baser sur des rapports de cause à effet objectivables, sinon mesurables. C’est une démarche d’administration de la preuve et d’attribution de responsabilité. L’approche est linéaire : A implique B. Les faits rapportés doivent avoir une conséquence observable et prévisible.
Les membres de la commission ont pour mission de rechercher et objectiver des faits générateurs de maladie.
On ne peut s’empêcher de rapprocher cette démarche de celle pratiquée dans le champ médico-légal, ainsi défini par le Larousse : « Qui a pour objet de faciliter la découverte de la vérité par un tribunal civil ou pénal (expertise médico-légale) ou de préparer certaines dispositions légales, réglementaires ou administratives (certificat médico-légal). »
Mobilisée par l’employeur ou le salarié, la commission de réforme est au service de la décision à prendre par l’employeur. Peut-on dire alors que c’est une forme de décision de justice qui est rendue ? En ce sens, la composition de la commission de réforme n’est pas sans rappeler, en partie, celle des tribunaux prud’hommaux en raison de la présence de représentants de l’administration et du personnel et de l’appel autorisé aux experts…
Dans ce contexte médico-légal, lourd de conséquences, on peut se demander si la commission de réforme, dans le cas des RPS, use de moyens pertinents pour éclairer l’administration.
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Des choix techniques qui occultent l’organisation du travail et réduisent la complexité
Lorsqu’il s’agit dévaluer l’imputabilité au service d’un burn-out ou d’une dépression d’origine professionnelle, la commission mobilisera les experts désignés dans le domaine médical. À ce premier choix portant sur le domaine exploré, en succède un second : celui de l’expert. Celui-ci sera généralement choisi dans le champ de la psychiatrie. Ces choix successifs introduisant une focalisation sur le corps, puis sur le psychisme, est-elle adaptée aux RPS ? La réponse à cette question dépend du modèle d’analyse retenu.
Les choix successifs introduisant une focalisation sur le corps puis sur le psychisme est-elle adaptée aux RPS ?
Rappelons que, selon l’Aract, les RPS trouvent leur origine dans un déséquilibre entre les contraintes d’un environnement de travail et les ressources à disposition du salarié pour faire face à ces mêmes contraintes. L’Aract propose une lecture en termes de tensions au sein d’un système. Elle quitte une lecture causale linéaire au profit d’une approche interactionnelle. Le salarié n’est pas seul. Il est au cœur d’un dispositif sur lequel il agit, sous réserve d’avoir les ressources environnementales et personnelles suffisantes.
Les commissions de réforme pourraient s’appuyer sur ce modèle. La mise en évidence d’un déséquilibre entre les conditions de travail et les ressources personnelles, techniques, comportementales à disposition du salarié constitueraient alors des motifs d’appréciation aussi valables que des motifs médicaux. Ce qui imposerait de recourir à d’autres experts que les psychiatres ou les médecins.
La lecture médicale retenue par la commission de réforme est éloignée des modèles de connaissance qui font aujourd’hui autorité en matière de RPS.
Michel Gollac, dont le référentiel est mentionné dans le Protocole d’accord relatif à la prévention des risques psychosociaux dans la fonction publique, s’intéresse davantage aux capacités de l’individu à faire face à l’environnement. À mon sens, on pourrait considérer que son approche, partant du sujet, est plutôt clinique et centrifuge tandis que celle de l’Aract, observant les relations entre un salarié et son environnement, est davantage systémique et centripète. À l’aide de la PNL, une synthèse de ces deux approches a été présentée dans un précédent article (Lettre du cadre de février 2015, n° 485).
Quoi qu’il en soit, ces deux grilles de lecture inscrivent la possible émergence des RPS dans une transaction plus ou moins réussie avec le travail… et rendent contestable le recours aux seuls experts médicaux. En effet, la lecture médicale retenue par la commission de réforme est dans sa dynamique linéaire et causale, autant que dans la réduction au seul univers médical, éloignée des modèles de connaissance qui font aujourd’hui autorité en matière de RPS. Ceux-ci ouvrent au multifactoriel, à la complexité, aux interactions, aux coconstructions.
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Deux choix techniques qui déplacent le problème vers la subjectivité du salarié
Aussi, lorsqu’une commission de réforme choisit de fonder son avis sur un angle médical, elle procède à une réduction du problème, bien évidemment. Mais elle procède aussi à un déplacement de ce problème sur la sphère intime. Positionner le débat sur la seule scène médicale, c’est contourner la scène organisationnelle sur laquelle se déploient les RPS et initier la responsabilité du seul individu dans les événements qu’il traverse. Cette logique trouve son aboutissement lorsque l’expert médical choisi est un psychiatre.
C’est un second acte de déplacement du problème, qui est alors présupposé résider dans la sphère psychique. Pour peu que ledit psychiatre soit psychanalyste et questionne le salarié sur son enfance (témoignages disponibles), c’est cette fois un déplacement quantique dans le temps qui est opéré : ce n’est plus le présent, cause de souffrance actuelle, qui est questionné mais le passé, dans une acrobatie temporelle qui contourne le contexte du poste de travail. Ce n’est plus le salarié rattaché à une mission qui est expertisé, mais le sujet relié à ses souvenirs, éventuel unique producteur du mal qui le frappe.
Dans une acrobatie temporelle qui contourne le contexte du poste de travail, ce n’est plus le présent, cause de souffrance actuelle, qui est questionné mais le passé.
C’est un peu comme si on demandait à un conducteur pris dans un carambolage d’aller voir un psychiatre afin de savoir s’il existerait des événements de son passé qui expliqueraient sa présence à cet endroit et la nature des dommages qu’il a subis. Ne parlons pas du biais juridique courant, où le psychiatre est mandaté par la compagnie d’assurances de l’employeur…
Changer de paradigme pour laisser la question de la responsabilité aux juristes
En définitive, la question de la responsabilité est à trancher. Question centrale et non exempte de risque juridique pour l’employeur.
Rappelons la première ligne de l’article L.4121-1 du code du travail : « L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ». Cet article a le mérite de poser des obligations. Toutefois, il renforce la dimension médico-légale et enferme dans une logique de responsabilité. Or, en matière de RPS, le problème est justement d’être posé uniquement en termes de responsabilités. La quête d’un responsable jette un vent d’effroi sur la ligne managériale et induit des démarches d’évitement compréhensibles, mais qui ne sont pas résolutives des difficultés de type RPS.
En matière de RPS, le problème est justement d’être posé uniquement en termes de responsabilités.
À ce jeu de la responsabilité, chacun y va de sa partition :
- les commissions de réforme cherchent des causes, responsables de l’arrêt maladie ;
- les assurances ont horreur d’assumer la responsabilité des actes de leurs clients ;
- les employeurs craignent d’être exposés juridiquement si leur responsabilité est prise en défaut ;
- les salariés ne veulent pas endosser la responsabilité d’une souffrance qu’ils n’ont pas choisie ;
- les syndicats sont heureux de désigner des responsables.
Laissons donc les juristes ou les enquêteurs externes trancher cette question de la responsabilité. Et saisissons les RPS comme des opportunités de progrès collectif.
Saisir l’opportunité de penser le travail
En effet, cette question de la responsabilité, versus culpabilité, empoisonne toute intelligence des situations connotées RPS. Rarement, la présence d’un burn-out ou d’une dépression est recyclée comme sujet de réflexion. Quelle administration voit dans la présence d’un RPS l’opportunité d’un travail collectif d’analyse de situation pouvant ensuite être source de progrès collectif ? Alors, pourquoi ne pas engager, dans le cas de RPS identifiés, des démarches de type « Retour d’expérience » ou analyse d’accident, comme pour des risques lambda ? Pour cela, des outils d’analyse, validés, partagés, sont à construire.
On l’a vu, la posture médico-légale, traditionnellement usitée par les commissions de réforme est inadaptée à l’analyse et la compréhension des RPS. Il est temps que celles-ci appellent d’autres experts en renfort, qu’ils soient sociologues, psychologues du travail ou spécialistes des RPS. C’est, une condition nécessaire pour que ces commissions deviennent les alliées d’une intelligence collective, mise au service de l’employeur et de la qualité de vie au travail.
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