radicalisation
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Dans un ouvrage paru en 2009, et opportunément réédité et actualisé, Gérald Bronner étudie, avec toute la méticulosité et la prudence attendues d’un chercheur, un ensemble de pensées radicales (celles de la secte japonaise Aum, de la scientologie ou d’Al-Qaïda) qui aboutissent, comme le sous-titre de son ouvrage en témoigne, à ce que « des hommes ordinaires deviennent des fanatiques ».
Les raisons de la radicalisation
Le sociologue veut saisir les raisons qui conduisent à la radicalisation puis à l’explosion de violence. L’ambition est la compréhension, non pour justifier ni pour disculper, mais pour être capable d’expliquer, pour agir et même prévoir. Le renversement de perspective pourra sembler proprement sidérant quand on évoque très généralement la folie, l’irrationalité, la perversion du geste extrême, terroriste notamment. En effet, avec les mots de Gérald Bronner, les individus et groupes qu’ils composent, investis dans ces pensées extrêmes, sont loin d’être des monstres d’irrationalité, mais des êtres extrêmement logiques.
« Les interprétations pseudo-sociologiques dont l’objectif paraît être de sauver, malgré eux, les auteurs des crimes terroristes, manquent l’essentiel. » (Extrait)
Plutôt que d’invoquer une crise multiforme (sans que l’on sache bien de quoi il s’agit) ou des environnements sociaux défavorisés ou discriminés des individus étant passé à l’acte, le projet de Gérald Bronner vise à repérer certains invariants de la pensée (dont l’adhésion aux croyances) en les rapprochant de variables sociales. L’analyse cherche à saisir les ressorts de l’adhésion inconditionnelle à des idées mortifères.
« Comment convaincre un croyant d’abandonner les idées qui sont les siennes ? » (Extrait)
Ni déterminisme social, ni trouble psychiatrique ne sauraient valablement tout expliquer. Il faut, au contraire, traiter des raisons individuelles qui conduisent progressivement à devenir déraisonnable. La radicalisation n’est pas une « éclipse morale totale », mais une conversion.
La métaphore de la grenouille ébouillantée
Gérald Bronner, qui aime les petits tests de mathématique et de logique, apprécie aussi les métaphores. Celle, classique, de la grenouille ébouillantée est une bonne manière pour comprendre le caractère incrémental, progressif de la radicalisation. Quelle est l’image ? Une grenouille plongée immédiatement dans un bain bouillant s’en extrait en bondissant. En revanche, plongée dans un bain agréable mais dont la température augmente graduellement, elle finit morte ébouillantée. Et bien, il en va de même, non pas systématiquement, mais dans bien des cas d’adhésion à des thèses que l’individu lambda, non confronté à ce bain idéologique (pour filer la métaphore), trouverait immédiatement insupportables mais dont il peut, peu à peu, s’accommoder. Et ce, jusqu’à les trouver parfaitement valables et justifiées.
« La spécificité de la pensée extrême tiendra au fait qu’elle adhère radicalement à une idée radicale. » (Extrait)
La portée du propos va bien plus loin. Il ne s’agit pas uniquement de décrire des processus, mais bien de comprendre que les terroristes les plus sanguinaires ne sont, généralement, ni des fous désocialisés en dehors de la société (avant de commettre leurs actes) ni, forcément, des individus toujours socialisés dans un environnement favorable à de telles déviances. Il s’agit de personnalités ordinaires qui dégénèrent. Bien entendu, toutes ces personnalités plongées dans le même bain (toujours pour rappeler la grenouille), n’en viendront pas à la conversion radicale, à la pensée extrême. Le problème se nourrit aussi de déracinement, de frustration, de désir de notoriété. La mauvaise nouvelle de son excellente analyse tient bien du fait que ce sont des individus ordinaires qui deviennent des fanatiques.
Gérald Bronner, La pensée extrême, PUF, 2015, 363 pages, 19 euros.