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© Massimiliano - adobestock
Les employeurs en rêvaient (ou pas), Macron l’a fait. En assouplissant largement le recours aux contractuels, la loi ébrèche-t-elle durablement le statut ? Avec la fin de l’emploi à vie, la barque est-elle trop chargée ?
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Répondre aux difficultés de recrutement
C’est indéniable, la loi de transformation de la fonction publique assouplit largement les possibilités de recrutement des agents contractuels. Définition (à venir) d’une procédure permettant de garantir l’égal accès aux emplois publics et qui pourra être adaptée au regard du niveau hiérarchique, de la nature des fonctions ou de la taille de la collectivité ainsi que de la durée du contrat, abaissement du seuil à 40.000 habitants pour pourvoir, par recrutement direct, les emplois fonctionnels, ouverture à toutes les catégories de la possibilité de pourvoir un emploi permanent pour une durée de trois ans, et pour les communes de moins de 1.000 habitants et les groupements de communes regroupant moins de 15.000 habitants, pour tous les emplois, création d’un contrat de projet susceptible d’être conclu pour une durée de 6 ans, portabilité du CDI dans les trois versants de la fonction publique, etc.
La loi répondra aux difficultés des petites collectivités à pourvoir certains emplois qui n’occupent les agents que quelques heures dans la semaine
Assouplissements certes, mais qui ne font que répondre à la réalité des difficultés rencontrées par les collectivités dans leurs recrutements : tensions sur certains métiers (dans les filières techniques et médico-sociales notamment), difficultés de gestion des petites collectivités à pourvoir certains emplois qui n’occupent les agents que quelques heures dans la semaine, limitation des financements pour mener à bien certains projets particuliers, etc.
TÉMOIGNAGE
« Le contrat de mission va engendrer des disparités de situation »
« Pour nous, ingénieurs, l’abaissement du seuil de 80 000 à 40 000 habitants permettant aux collectivités de déroger au recrutement statutaire pour pourvoir les emplois fonctionnels nous semble contradictoire avec la réforme du concours et la formation des ingénieurs en chef mise en place depuis deux ans, dont l’objectif est de recruter et de préparer des ingénieurs statutaires à des fonctions managériales et d’expertise de haut niveau. Les articles 3 à 3-5 de la loi du 26 janvier 1984 permettent déjà à la FPT de recruter des agents contractuels pour des besoins temporaires, pour des durées jusqu’à 6 ans, mais en garantissant un minimum de prérequis statutaires de recrutement, d’emploi, et d’exercice des missions. D’évidence, l’utilité du contrat de projet ne nous parait pas opportun et pourrait engendrer des disparités de situation dans les directions et services opérationnels.
Pascale Verne, présidentE de la section Provence de l’AITF
Une brèche dans le statut
Sur ce point, la loi décriée ne fait qu’entériner et encadrer des pratiques qui sont ou auraient été de toute façon mises en œuvre dans des conditions contestables, et ne fait qu’aller dans le même sens que celles votées sous les mandats respectifs de Nicolas Sarkozy et à sa suite, François Hollande. Et la loi ne remet nullement en cause l’une des bases fondamentales du statut : le principe demeure en effet le recours aux agents titulaires, et l’exception le recours aux contractuels.
Peu importe pour le public celui qui assure le service pour son compte, dès lors qu’il est correctement assuré
À ses détracteurs qui insistent sur la spécificité du service public, et la nécessité d’avoir recours à des agents spécifiquement formés pour en assurer l’exécution, il peut être répondu que peu importe pour le public celui qui assure le service pour son compte, dès lors qu’il est correctement assuré. Et certes, ces assouplissements seront autant de leviers pour faciliter ce délicat exercice, sans que cela ne soit une remise en cause du statut.
TÉMOIGNAGE
« Comme à France Télécom… »
« La loi Dussopt introduit un changement de paradigme. En premier lieu, elle conduit à l’affaiblissement des institutions paritaires. Les mesures visant le CSFPT, les CAP, les CDR et les CSHCT en témoignent. À cela s’ajoute une très grave atteinte au droit constitutionnel de grève.
En second lieu, elle repose sur la généralisation du contrat, destructrice du statut protecteur et garant d’indépendance. Les dispositions relatives au contrat de projet et aux emplois à temps non complet institutionnalisent la précarité. La rupture conventionnelle engendre une épée de Damoclès pour tous les agents territoriaux, fonctionnaires ou pas. Cette loi applique les recettes libérales mises en œuvre à France Télécom avec les conséquences que l’on connaît en termes de dégradation des conditions de travail et de la qualité du service public ».
Karim Lakjaâ - Fédération CGT des services publics, président de la formation spécialisée n°3 « questions statutaires » du CSFPT
Loi FPT : la fin de la garantie de l’emploi à vie
C’est une petite révolution, mais elle a une portée symbolique qu’il ne faut pas sous-estimer : l’agent qui, à la suite de la suppression de son emploi, est pris en charge par le CDG ou le CNFPT (article 97 de la loi du 26 janvier 1984) ne le sera plus jusqu’à son âge limite (dans la majeure partie des cas 67 ans).
La loi n° 2016-483 du 20 avril 2016 dite « déontologie », adoptée durant le mandat de François Hollande, avait déjà amorcé la limitation de la rémunération de l’agent pris en charge en prévoyant que pendant cette prise en charge, celui-ci recevait la rémunération correspondant à l’indice détenu dans son grade à hauteur de cent pour cent les deux premières années de prise en charge. Puis elle était réduite de cinq pour cent chaque année jusqu’à atteindre cinquante pour cent de la rémunération initiale la douzième année et les années suivantes.
100 % la première année, 10 % de réduction les années suivantes : cela représente 10 ans de prise en charge au maximum
La loi de transformation de la fonction publique enfonce singulièrement le clou. Désormais l’agent pris en charge reçoit la rémunération correspondant à l’indice détenu dans son grade à hauteur de cent pour cent la première année de prise en charge puis cette rémunération est réduite de dix pour cent chaque année.
Le nouveau IV ajouté à l’article 97 précité, précise toutefois qu’au terme de la période de prise en charge financière prévue au deuxième alinéa du I, le fonctionnaire est licencié ou, lorsqu’il peut bénéficier de la jouissance immédiate de ses droits à pension et à taux plein, radié des cadres d’office et admis à faire valoir ses droits à la retraite.
Inciter au reclassement actif
100 % la première année, 10 % de réduction les années suivantes : cela représente 10 ans de prise en charge au maximum, avec une réduction drastique du traitement qui ne peut donc qu’inciter fortement les agents à rechercher activement un reclassement. C’est par conséquent la fin de la garantie de l’emploi ou plutôt de la prise en charge à vie : mais cela revient finalement au même.
L’absence de reclassement durable pendant la prise en charge est liée à un contexte économique et social délicat
Il est délicat, d’un point de vue moral, de peser le pour ou le contre s’agissant de cette mesure, tant il est vrai que le plus souvent, l’absence de reclassement durable pendant la prise en charge est liée à un contexte économique et social délicat. Mais nul doute également que ce système avait des failles. Il est en tout état de cause pragmatique et aura sans doute des vertus pédagogiques.