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« On a fait simuler nos pertes de recettes par notre commission des finances, et par un consultant extérieur. » Au conseil départemental de Seine-et-Marne, le DGS Christophe Deniot sait à quoi s’en tenir : son budget de 1,4 milliard d’euros va être amputé de 108 à 118 millions d’euros. De nombreuses collectivités ont eu le réflexe d’évaluer immédiatement leurs pertes. Les Régions de France ont, elles aussi, fait le calcul, et en tout ce sont plus de 700 millions d’euros qui manqueront à l’appel.
Selon les Régions de France, ce sont plus de 700 millions d’euros qui manqueront à l’appel
Mais le vrai problème est celui de la CVAE, la contribution à la valeur ajoutée des entreprises : les prévisions annoncent une baisse de 20 à 40 %, soit 2 à 4 milliards d’euros de moins. Dans ces circonstances, difficile d’imaginer les collectivités poursuivre leurs investissements, leur mission de formation et de gestion des lignes régionales au même rythme. Certains secteurs vont forcément pâtir des conséquences du confinement. Pour Jules Nyssen, délégué général de Régions de France, « il faudra une solidarité vis-à-vis des collectivités, sinon elles risquent de contribuer à l’effondrement du système ».
La chasse aux dépenses
La recherche d’économies est partout, pour orienter les efforts du moment sur la sauvegarde du tissu économique local. Ainsi, Martine Poirot, DGS dans le Bassin de Pompey (Grand-Est), questionne la possibilité de réduire la TVA sur les charges de fonctionnement, le temps de la crise.
« On ne peut fragiliser plus la situation financière de l’agglo en aidant les entreprises du territoire »
« Tous les consommables, les participations sur des avances, sont soumis à la TVA, ce qui représente des sommes conséquentes sur des dépenses souvent imprévues, l’effet n’est pas neutre » analyse-t-elle. « Nos budgets sont très contraints, nous allons être un amortisseur de la crise, mais il faut que l’État prenne des décisions à ce niveau-là. »
TÉMOIGNAGE
« Toutes les collectivités sont parties bille en tête, débordant d’optimisme et sûres de pouvoir déployer un arsenal d’aides aux entreprises de leur territoire. Puis il y a eu une bascule assez difficile à comprendre, un vent de pessimisme s’est abattu sur elles ces derniers jours, surtout du côté des villes moyennes. Les deux attitudes sont dans l’excès. Il existe bien des outils, mais pour cela il faut se décrocher des outils classiques d’aide aux entreprises. Il faut penser d’abord aux aides indirectes : il est possible d’élaborer des aides au commerce à titre collectif, de procéder à la mise en place d’organisations sanitaires à la livraison, ou bien de passer par le droit de préemption des baux commerciaux pour éviter une désertification du centre-ville si un commerce ferme. Ensuite, il est possible d’apporter un soutien financier aux entreprises, contrairement aux croyances : en passant des conventions avec la région pour compléter les dispositifs mis en place à cet échelon. Mais si la région a établi un règlement listant les aides directes, toute collectivité peut développer des aides complémentaires directes qui s’insèrent dans ce cadre. Il existe des solutions, les collectivités doivent s’en emparer. »
Éric Landot, avocat
Les investissements ciblés
Au sud de Toulouse, Domitien Detrie, DGS du Muretain Agglo, a, lui, estimé ses pertes à 1,5 million d’euros pour un mois et demi de confinement. La tarification des services, cantines, crèches, garderie scolaire ou piscine, les recettes de la CAF et les dispositifs de compensation sont suspendus. « Notre première réflexion a été celle-ci : on ne peut fragiliser plus la situation financière de l’agglo en aidant les entreprises du territoire. »
Mécaniquement, les investissements vont être réduits à une portion congrue sur certains territoires
Pour tenir l’équation, il reste un levier : réduire l’enveloppe d’investissements. « Nous avons une enveloppe de soutien aux projets communaux » précise Domitien Détrie, « les élus se sont accordés pour qu’elle soit annulée et serve au soutien du tissu économique ». Mécaniquement, les investissements vont être réduits à une portion congrue sur certains territoires, à moins que les collectivités s’affranchissent des ratios de bonne gestion, comme l’État va s’affranchir du pacte de stabilité.
Les investissements sont pourtant une composante de la relance qui sera nécessaire au maintien de l’activité de certaines entreprises. Domitien Detrie espère pouvoir les préserver, au prix de quelques entorses aux ratios de bonne gestion, et pose la question. « Aujourd’hui nous avons une capacité de désendettement de cinq ans, peut-on aller plus loin ? » Ce débat devra avoir lieu.
TÉMOIGNAGE
Un baromètre pour un suivi plus précis
« Nous avons mis en place une cellule qui comprend, outre la collectivité, l’association des chefs d’entreprise Val de Lorraine Entreprendre et la pépinière de notre territoire. Nous sommes en mode groupe de réflexion depuis début avril, pour bâtir en avançant un plan stratégique territorial d’appui et d’accompagnement socio-économique du territoire. Parmi les actions déjà lancées, il y a un baromètre : nous questionnons les artisans, les commerçants et les entreprises de plus de 300 salariés. Cela nous a permis de cerner leurs problématiques, outre celle de la trésorerie. Par exemple, les approvisionnements difficiles, le manque de main-d’œuvre, ce qui nous permet d’étudier des solutions à proposer. Nous allons accompagner le déconfinement en réalisant un second baromètre pour suivre au plus près les acteurs du territoire et leur proposer des dispositifs adaptés, complémentaires des dispositifs régionaux. »
Martine Poirot, DGS du Bassin de Pompey (Grand Est)