Cyril Lage : « Les gens ne veulent plus d’un système où on leur impose des choses »

Séverine Cattiaux

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Cyril Lage : « Les gens ne veulent plus d’un système où on leur impose des choses »

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Au début des années 2000, Cyril Lage côtoie députés et ministres. Il découvre alors le cynisme de certains, prompts à défendre une loi en fonction de l’intérêt médiatique… Pas étonnant que le fossé se creuse entre citoyens et élus. À moins d’inventer un processus d’élaboration transparent et participatif des lois. Le 13 février 2013 naît Parlement et Citoyens.

La loi « République numérique » est l’une des premières lois coécrites avec les citoyens, avec votre plateforme. 20 000 contributions citoyennes, plusieurs articles sont directement issus de la consultation en ligne…

Oui « République numérique » a été un vrai catalyseur… Notre association, nouvellement créée, inconnue de tout le monde, avec un budget zéro, s’est vue propulsée à Matignon. Je me suis retrouvé devant le Premier ministre et Axelle Lemaire [NLDR, alors secrétaire d’État auprès du ministre de l’Économie et des Finances, chargée du Numérique et de l’Innovation] à présenter Parlement & Citoyens… Oui, nous sommes un peu passés de l’ombre à la lumière. Même si on avait quand même un peu d’expérience : c’est nous qui avions mené la consultation du Conseil national du numérique et celle avec le ministère de l’Éducation nationale sur le numérique à l’école. La ville de Mulhouse s’était déjà équipée de la plateforme… Il faut dire aussi qu’à l’occasion de cette loi, on a alors poussé l’expérimentation encore plus loin. En plus des rencontres entre les contributeurs et la ministre, celle-ci s’est engagée à répondre aux auteurs des cent contributions les plus votées sur la plateforme… Au final, les représentants de l’État ont tellement pris le virus, qu’ils ont répondu à deux cent cinquante contributeurs !

Qu’est-ce que « Parlement & Citoyens » a révolutionné ?

Ce qu’on fait ne s’est jamais fait nulle part… de la façon dont on le fait. Dans beaucoup de pays, on demande l’avis de citoyens sur des propositions de loi, en publiant un projet de loi en ligne. On demande aux gens « quel est votre avis ? ». Ils postent des commentaires, dans des forums, les fils de discussion… Mais il n’y a encore jamais eu de processus de la profondeur et du niveau de ce que l’on a initié où, dès le départ, on pose cartes sur table. À savoir, le parlementaire expose son projet, le problème, les causes et ses solutions, puis les citoyens donnent leur avis sur ces différents points, émettent des nouveaux éléments. Une synthèse de toutes les contributions est faite, puis une réunion de consensus avec l’élu s’ensuit, puis le résultat final, le projet de loi, est exposé avec les apports des uns et des autres, puis il y a un suivi sur le vote, etc. Il existe aussi une autre règle du jeu : les députés n’ont absolument pas la main sur la plateforme, et les contenus et la modération sont exclusivement assurés par notre équipe. Dans l’hypothèse où des contenus sont inappropriés, ils sont placés dans une corbeille qui reste malgré tout visible, une vraie originalité…

Il n’y a encore jamais eu de processus de la profondeur et du niveau de ce que l’on a initié où, dès le départ, on pose cartes sur table.

Bref, c’est une nouvelle ère pour la démocratie qui a démarré…

Oui, cela me semble inéluctable. Bien sûr, il faut s’attendre à des échecs, des résistances… mais on est dans un système qui est mort, ou qui est mourant ! Dans toutes les organisations – que vous preniez une entreprise, un gouvernement, une collectivité – les gens ne veulent plus être des pions, ils ne veulent plus d’un système où on leur impose des choses, où on ne tient pas compte de leurs compétences, de leurs savoirs. Finalement les décideurs eux-mêmes se rendent bien compte que le système est problématique dans la mesure où il crée de la défiance et de la suspicion.

Lire aussi : Démocratie participative : éloge de la sincérité

En quoi Parlement & Citoyens peut-il renouveler la confiance des citoyens envers les élus ?

Je pense qu’on l’a démontré, puisque, encore une fois, la suspicion naît de l’opacité. Au contraire, quand la décision est construite de façon transparente et collaborative, elle impacte non seulement celui qui participe, mais aussi celui qui ne participe pas mais sait que le processus s’est fait en coconstruction et en transparence… Nous avons réalisé une enquête de satisfaction auprès des 20 000 participants à la loi République numérique. Un quart a répondu à l’enquête de satisfaction ! Les retours dans ce genre d’enquête ne sont habituellement que de 2 à 3 %. Et sur les 25 % de personnes qui ont répondu… 97 % disent qu’ils sont satisfaits du processus.

Quand la décision est construite de façon transparente et collaborative, elle impacte non seulement celui qui participe, mais aussi celui qui ne participe pas.

Pourquoi les internautes ne peuvent-ils pas réagir en ligne aux propositions des uns et des autres ?

Notre point d’attention et de vigilance était la question de « comment fait-on participer des citoyens dans des processus de réflexions politiques sans qu’il y ait de dérives ? ». La réponse a été de dire : il faut scinder les choses. Il faut un temps pour l’expression individuelle, un autre pour le dialogue. Et donc la phase qu’on appelle consultation sur la plateforme est en fait la phase d’expression d’avis individuels. La synthèse qui se représente sous la forme de cartographie donne une vision consolidée de ces avis, et montre les désaccords entre les positions exprimées. Et donc, après, vient un temps où on essaye de concilier les désaccords, en faisant débattre les gens entre eux, par visioconférence et avec le député. La technique qu’on a utilisée nous limitait à huit citoyens, en plus du parlementaire et moi pour animer…

Voir aussi notre dossier : L'aventure numérique : un nouvel horizon démocratique

Qu’apporte l’étape de « réunion de consensus » dans le processus ?

De la crédibilité… parce que les citoyens sont très habitués aujourd’hui aux consultations factices… On les consulte, on leur demande de s’exprimer, mais ils savent parfaitement bien que les décisions sont jouées d’avance et que le politique, à aucun moment, ne sera confronté à la parole des citoyens. Or, sur Parlement & Citoyens, la règle est posée dès le début. Les citoyens savent qu’ils peuvent échanger en direct, avec le parlementaire, si leur proposition obtient beaucoup de votes. Cette possibilité crédibilise le processus et incite les citoyens à participer.

Après trois ans d’existence, quels sont les résultats de Parlement & Citoyens ?

On a aujourd’hui environ 40 000 citoyens inscrits sur la plateforme dans la phase expérimentale avec les parlementaires… Ce n’était pas franchement gagné d’avance. Je dirais même que, quand on a commencé, notre initiative faisait drôlement sourire l’establishment, qui pensait que nous allions échouer… On a eu aussi cette grande surprise avec l’une des consultations, à l’initiative du sénateur Joël Labbé « Pour la reconquête de la biodiversité », qui a abouti à une proposition de loi, débattue puis votée par le Parlement… Enfin, il y a aujourd’hui tout de même une trentaine de parlementaires qui ont accepté de rejoindre le mouvement, c’est plutôt pas mal…

On voit aussi que vous travaillez à présent avec les collectivités : Mulhouse, Rennes, la région Midi-Pyrénées, la Métropole grenobloise…

Oui, quand on a créé Parlement & Citoyens, on n’avait pas d’autre projet que celui-là. Mais rapidement, on a reçu des sollicitations d’un peu partout, que ce soit du secteur public, associatif et même du secteur privé, de gens qui étaient intéressés pour utiliser la plateforme. Et comme on ne trouvait pas de modèle économique pour Parlement & Citoyens, c’est un peu le modèle économique qui est venu à nous. On a créé en juillet 2014 une start-up « Cap collectif » dont je suis l’un des fondateurs…

Lire aussi : Quand les services expérimentent les budgets participatifs

Les collectivités s’emparent-elles de la plateforme avec la même exigence que vous l’avez sur Parlement & Citoyens ?

On n’a pas beaucoup d’escrocs qui viennent nous voir, c’est-à-dire de personnes qui veulent tirer les bénéfices d’une consultation, sans respecter les facteurs clés de succès (transparence…). Autant nous ne sommes pas connus du grand public, autant, dans le petit monde de la concertation, les gens savent que nous sommes des militants et qu’on ne cherche pas à faire le plus gros chiffre d’affaires possible, mais à faire avancer une cause, des convictions et des valeurs…

Cyril Lage
est passé par Sciences Po et l’École de guerre économique. Il démarre sa vie active en tant que consultant, puis devient collaborateur parlementaire. En février 2013, il co-fonde avec, entre autres Armel Le Coz, le collectif « Démocratie ouverte » à l’initiative de la plateforme web Parlement & Citoyens. Cette plateforme est une première en France, et dans le monde car elle permet d’intégrer l’avis des citoyens dans l’élaboration de lois. Les lois « Pour une République numérique » et « Pour la reconquête de la biodiversité » font partie des premiers grands textes législatifs français qui sont issus du processus élaboré par Parlement & Citoyens. Depuis juin 2014, la start-up Cap collectif, co-fondée par Cyril Lage, développe des plateformes participatives inspirées de l’expérience Parlement & Citoyens.

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