martin_gelo
Vous suggérez que votre ouvrage n’est pas un énième « prêt-à-penser managérial ». En quoi diffère-t-il des autres ?
Si vous pratiquez le management comme un art, tel que celui d’amener une structure humaine à changer sa réalité avec efficience, alors vous butez de plus en plus vite sur le besoin de dépasser les limites de tout modèle managérial un tant soit peu structurant. Les technologies et techniques numériques bouleversent les schémas séquentiels et déductifs, rendent la matière humaine mouvante, placent l’inspiration, la créativité et l’innovation en tête des inducteurs stratégiques, juste derrière l’information.
Les processus numériques ont été trop souvent plaqués sur l’organisation, à la façon de « patchs » censés amorcer, au moindre coût, le virage de la modernité numérique.
Comment, dans cette nouvelle fabrique de l’incertain, concevoir un « prêt-à-penser managérial » ? Celui-ci serait aussi inapplicable qu’encombrant alors que, paradoxalement, ces outils numériques sophistiqués vous permettent de redécouvrir des postures managériales essentielles mieux adaptées à un environnement en recomposition ? L’ouvrage propose de redécouvrir une partie de ces postures à l’aune du vécu.
Vous dites sortir du cadre et pousser un coup de gueule, bousculant nombre d’idées reçues et la pensée dominante ?
L’écart se creuse entre le modèle managérial dominant issu de l’ère industrielle, celui auquel sont encore attachées plus de 90 % des organisations, et le modèle managérial qui émerge à l’ère numérique. Le modèle managérial dominant reste omniprésent et ses principes hiérarchisants ont été poussés à l’excès au cours de la deuxième partie du XXe siècle et encore de nos jours, sclérosant ainsi en profondeur les organisations. Ces scléroses ne se paient pas encore cash… mais pour combien de temps ?
Comment résumeriez-vous l’urgence à repenser le management à l’ère numérique ?
Bien que le modèle managérial émergeant peine à s’intégrer dans la masse des organisations, il va inévitablement s’imposer tant auprès des acteurs à faible pénétration numérique (les « Brick and mortar ») qu’auprès de ceux (les « Click and mortar ») qui se sont adjoint des processus numériques. Ces processus ont été trop souvent plaqués sur l’organisation, à la façon de « patchs » censés amorcer, au moindre coût, le virage de la modernité numérique sans prendre le risque de remettre en cause son mode managérial.
De fait, il est devenu urgent et vital, pour chaque direction, de bien comprendre ce nouveau modèle managérial qui s’adapte et se diffuse dans les laboratoires sociaux grandeur nature que sont les nouveaux acteurs économiques de « l’internet tout en ligne » (les « Pure Player ») ou ceux, comme Amazon, ayant d’emblée réussi à associer, dans une même logique managériale, une organisation physique et une organisation purement numérique (les « Brick and click »). De cette compréhension, à la portée de chaque dirigeant qui maîtrise son métier, vont émerger les feuilles de route indispensables pour ne pas rester parmi les laissés-pour-compte.
Il ne faut oublier que les forces qui comptent en numérique sont, elles aussi, déjà présentes, dans l’entreprise… trouvez-les !!!
Or la plupart des forces qui vous font réussir existent dans l’entreprise. Il ne faut pas perdre de vue que les géants de l’internet et du numérique se sont créés ex nihilo, mais qu’ils ne doivent pas cacher les millions d’organisations qui doivent se transformer tout en maintenant l’ensemble de leur existant en conditions opérationnelles. Il ne faut non plus oublier que les forces qui comptent en numérique sont elles aussi, déjà présentes, dans l’entreprise… trouvez-les !!!
« Un terreau plus fertile dans le secteur public »
« Si le numérique ne fait pas disparaître le cœur de métier, il ne transforme pas, non plus, la culture de l’organisation. Engagés aux côtés de l’État dans l’accompagnement stratégique de sept grands chantiers de transformation, nous constatons, comme par le passé, que les principes de Management organique© appuyés sur des leviers numériques trouvent un terreau plus fertile dans le secteur public que dans nombre de groupes privés dont l’appétence à l’innovation managériale est émoussée par la dictature du court terme. On a du mal à progresser dans le fonctionnement des organisations publiques car la voie de promotion est uniquement basée sur l’encadrement et la prise de fonction managériale. L’enjeu clé est de détecter les vrais potentiels managériaux, éduquer ceux qui en disposent sans se priver de l’expertise sous-jacente toujours omniprésente ».
Vous plaidez pour une dynamique humaine différente qui dépouille la relation hiérarchique de ses « oripeaux ». Comment y aboutir ?
Le management dominant a confondu les pyramides hiérarchiques entre elles : celle qui informe, celle qui décide et celle qui conduit l’action. Il en résulte une forte dépendance entre la direction des organisations et son management intermédiaire, seule courroie de transmission entre elle et les terrains opérationnels, là où se façonne la réalité. Le management émergeant, que nous appellerons Management organique©, appuyé sur des outils numériques, détecteurs naturels de signaux faibles, offre l’opportunité de dissocier ces pyramides hiérarchiques et de libérer ainsi les couches managériales de la charge, devenue plus ou moins stérile, que leur impose le système d’information et de communication managérial traditionnel.
Le Management organique©, appuyé sur des outils numériques, détecteurs naturels de signaux faibles, offre l’opportunité de dissocier les pyramides hiérarchiques.
Le management dominant, à faible portée prédictive, conçu exclusivement dans une logique dite « buttom up », consomme pour lui-même une majeure partie de l’énergie des managers entre l’alimentation des divers outils de reporting (ERP partiel ou global, CRM, BI…), la comitologie, l’animation-contrôle des structures et la « politique des couloirs » politique, paradoxalement, indispensable pour se tenir soi-même informé, en retour.
Sans changement de structures, car la ressource numérique permet de se passer de grandes manœuvres hasardeuses en univers incertain, et libérés de ce rôle de courroie de transmission, nous retrouvons nos managers intermédiaires sur les différents terrains opérationnels à côté de leurs équipes pour innover, vendre, animer, coacher, promouvoir… Ils ne vont plus être un filtre à l’information mais assurer la diffusion de leur expertise, apporter de l’information nouvelle et résoudre les situations exceptionnelles.
Diplômé d’un Executive MBA HEC, Daniel Martin-Gelot a été directeur des activités conseil et ingénierie informatique dans de grands groupes industriels et commerciaux. Il a conduit plusieurs missions de management de l’innovation ou de redressement d’entreprises majeures (IBM Europe, Areva, Wolswagen, élections prud’hommales…) avant de créer le cabinet de conseil Aerial. C’est dans ce cadre qu’il assure le pilotage du redressement de La Poste à l’heure de changements décisifs en 2010. Tout en assurant des responsabilités patronales au Syntec, il effectue actuellement des missions de refonte managériale pour le compte de grandes administrations et de grandes entreprises.
Lire : Repenser le management, Une urgence à l’ère numérique, 2015, Daniel Martin-Gelot.