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Financiarisation, externalisation, individualisation, uberisation bousculent les frontières de l’intérêt général et de l’entreprise. Celle-ci consiste en une agrégation d’intérêts, mais aussi en un collectif fait de conflits, de solidarité et de confiance. Dominique et Alain Schnapper (mère et fils) insistent sur ses dimensions proprement politiques. Aujourd’hui, la politique de l’entreprise et la prise en compte de la politique dans l’entreprise doivent concilier la recherche de prospérité et les exigences de la société démocratique. Cette analyse, favorable au nouveau modèle de « l’entreprise à mission », repose sur une lecture sociologique et économique très informée de la raison d’être de cet acteur essentiel qu’est l’entreprise.
Juste place et juste rôle
Il ne s’agit pas d’étendre trop loin les prérogatives et le rôle de l’entreprise. Elle ne saurait valablement incarner l’intérêt général. Elle poursuit nécessairement son propre intérêt puisqu’elle ne peut négliger sa rentabilité sans remettre en cause son existence. Le profit n’est pas sa seule raison d’être et il se conjugue avec son projet selon diverses modalités, mais il est nécessaire. Il est la condition de sa survie, ce qui importe, même s’il n’en est pas l’objet premier ou exclusif. Plus largement, sur le thème de l’entreprise dans la cité, la firme privée ne peut elle-même garantir la redistribution des richesses caractéristique de la social-démocratie qui est devenue la condition de la légitimité politique de la démocratie. La maîtrise de la question sociale est une question politique qui ne relève pas du champ de l’entreprise.
Historiquement, l’entreprise a toujours eu une dimension politique au sens où elle incarne une sphère différente de l’univers domestique
Historiquement, l’entreprise a toujours eu une dimension politique au sens où elle incarne une sphère différente de l’univers domestique. À partir du Moyen-Âge, rappellent les auteurs, le travail a progressivement échappé au privé (familial) pour entrer dans le domaine du public. Le droit du travail s’est ensuite émancipé du code civil. D’ailleurs, la loi de 1841 sur le travail des enfants est la première qui remet en cause la pleine liberté d’entreprendre et la pleine autorité du chef de famille. L’entreprise est ainsi devenue, avec le temps, une affaire d’État.
Attentes et risques
Les risques contemporains sont d’importance. Traditionnellement les firmes multinationales (connues sous le sigle FMN) et maintenant les géants du numérique (réunis dans l’acronyme Gafa) concurrencent voire pervertissent les régulations proprement démocratiques. Il en va de corruptions illégales mais surtout de décrépitudes démocratiques. On ne sait plus qui a vraiment le pouvoir. Il importe donc de se réorganiser et d’accorder le plus grand sérieux à ce qui est véritablement politique dans l’entreprise et dans son environnement.
Il importe donc de se réorganiser et d’accorder le plus grand sérieux à ce qui est véritablement politique dans l’entreprise et dans son environnement
Loin du prêchi-prêcha sur la RSE tout comme de la critique radicale à l’égard de la méchante entreprise ultralibérale, cet ouvrage original recherche un juste équilibre. Sans condamnation puérile ni célébration béate. Une réflexion ajustée sur notre temps et sur ses institutions, en particulier sur l’articulation entre les entreprises et l’État.
On soulignera, après cette lecture, combien l’entreprise ne peut que s’adapter aux caractéristiques de ceux qui la font vivre ainsi qu’aux attentes de la société. Et ces attentes sont, il est vrai, élevées.
Dominique Schnapper, Alain Schnapper, Puissante et fragile, l’entreprise en démocratie, Odile Jacob, 2020, 251 pages, 22,90 €.
Extraits
« Le pouvoir de l’entreprise constitue une épreuve pour l’ordre et les valeurs démocratiques. »
« Il faut défendre l’entreprise avec sa vocation et ses caractéristiques propres dans la société démocratique qui tend à devenir ‘extrême’ caractérisée par la remise en cause de toutes les institutions. »
« La puissance d’action des grandes entreprises constitue un défi car elles sont toujours susceptibles d’usurper un pouvoir politique qui ne devrait pas être le leur. »