DUNKERQUE_bus-gratuit
110 réseaux de transports publics dans le monde ont adopté le sans-ticket. Chercheur à l’Université de Perpignan et spécialiste des transports publics gratuits, Maxime Huré en dénombre une trentaine en France, dont celui d’Aubagne qui a triplé sa fréquentation, Gap, Castres, Figeac, Châteauroux, Compiègne depuis 40 ans, et bien d’autres encore… En partenariat avec l’Agence d’urbanisme de Dunkerque, le laboratoire de Maxime Huré « Villes innovantes et gestion des savoirs » (VIGS) a accompagné toute la démarche de la gratuité des transports en commun dans la communauté urbaine de Dunkerque.
Plusieurs grandes villes, Grenoble, Amiens, Paris, Valenciennes, Clermont-Ferrand, ont manifesté leur intérêt de s’engager dans la gratuité
« Il s’est produit un tournant avec l’expérience de Tallinn, la capitale de l’Estonie, de 450.000 habitants qui a mis en place la gratuité des transports publics en 2013, s’enthousiasme le chercheur. Puis il y a eu la ville de Niort en 2017 et, à présent, Dunkerque marque encore une étape ». Le phénomène de la gratuité dans les transports serait-il en train de se banaliser, autant dans les petits que les grands réseaux de transports en commun ? On serait tenté de le croire car plusieurs grandes villes, Grenoble, Amiens, Paris, Valenciennes, Clermont-Ferrand, ont manifesté récemment leur intérêt de s’engager dans cette voie. Mais certaines en sont revenues. Pour Paris et sa banlieue qui viennent de prendre connaissance d’une étude, la gratuité dans les transports en commun s’éloigne déjà tel un doux rêve…
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La gratuité, oui mais pas sans la qualité du service
Le passage à la gratuité, c’est d’abord faire une croix sur les recettes de la billettique. À Dunkerque, celle-ci rapportait « seulement » 4,5 millions d’euros de recettes annuelles, soit 10 % du coût total du transport collectif. « En termes de coût, ce n’est pas très élevé, estime Patrice Vergriete, président de la communauté urbaine de Dunkerque. On pouvait donc s’en passer. C’est un effort moindre que celui que nous demandait chaque année le gouvernement Valls avec la baisse des dotations » compare-t-il. La décision politique de se priver de cette manne n’en demeure pas moins courageuse. Les élus ont dû également renoncer – sans guère de regret ceci dit – à la construction d’un grand stade, projet lancé par l’ancienne majorité. Ce faisant, ils ont pu allouer des nouvelles ressources publiques sur les transports publics et compenser le manque à gagner par la billettique.
À Dunkerque, la billétique rapportait « seulement » 10 % du coût total du transport collectif
La collectivité ne s’est pas contentée d’ouvrir en grand les portes des bus, le 1er septembre. Elle a injecté 65 millions d’euros, sur 5 ans, dans le réaménagement et la création de nouvelles lignes ainsi que dans l’achat de bus supplémentaires. « La gratuité des transports est un produit d’appel […] prévient Patrice Vergriete. Notre stratégie était d’attirer les gens par une sorte de choc psychologique et ensuite de les fidéliser par la qualité du déplacement » étaye-t-il. La collectivité opère ensuite en deux temps. La première phase étant de passer au gratuit les week-ends dès 2015, histoire d’observer la réaction des usagers. Bingo, la fréquentation croît de 29 % le samedi et de 78 % le dimanche !
Les solutions du financement existent (presque) toujours
Résoudre l’équation financière ne semble pas toujours aussi aisé. Nombre de collectivités ont fait marche arrière. Comme la CU de Dunkerque, Amiens Métropole avait promis des bus sans-ticket à ses habitants durant le mandat. Finalement l’effort financier à consentir, 6 millions d’euros par an soit 15 % du budget transport, a découragé les élus. La métropole grenobloise a également freiné des quatre fers devant l'obstacle… Exit donc la gratuité des 18-25 ans.
La politique des transports est une politique sociale, vers quoi on peut flécher des budgets santé et environnement
Ces collectivités ont-elles vraiment balayé toutes les solutions ? Les collectifs de pro-gratuité dans les transports qui renvoient régulièrement les deux collectivités à leur promesse, n’en sont pas du tout persuadés. De nombreuses alternatives existent, soutient pour sa part Maxime Huré. Et de dérouler des exemples : « Il y a la possibilité d’affecter les recettes du stationnement automobile sur les transports gratuits, les collectivités ayant la mainmise désormais sur ces recettes […] La politique des transports, c’est aussi une politique sociale, vers laquelle il est pertinent par conséquent de flécher des budgets santé et environnement ».
Aubagne a trouvé une solution en augmentant son taux du versement transport, la taxe sur les entreprises de plus de 11 salariés.
À l’issue d’un audit, Valenciennes Métropole a, quant à elle, renégocié à la baisse la marge de RATP Dev, son délégataire. Et offert, depuis septembre, le transport en commun aux moins de 18 ans, et d’ici 2019, aux moins de 25 ans.
La perspective de rendre gratuits les transports en commun à Paris et en Ile-de-France vient en revanche de prendre du plomb dans l’aile… Aucun dispositif, selon l’étude remise début octobre par Ile-de-France Mobilités ne serait à même de combler les 3,3 milliards d’euros de recettes de la billettique, équivalent à 25 % du budget transport. Pas même un péage urbain qui ne rapporterait que quelques centaines de millions d’euros…
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Report modal, accès de la mobilité pour les plus précaires…
Outre l’épineuse question du financement de la gratuité, les effets induits des transports gratuits sont aussi à prendre en compte. En Ile-de-France, ils seraient minces, d’après l’étude diligentée par Ile-de-France Mobilités. Le report modal de la voiture sur les transports en commun franciliens ne serait que de 2 %. À Dunkerque, au contraire, depuis septembre dernier, le report modal est « très net, en particulier pour le centre-ville, observe Patrice Vergriete. Les parkings sont vides. Les cadres montent dorénavant dans le bus. C’est une réalité ». Plus aéré, le centre-ville va gagner en attractivité, et du foncier pourrait se libérer, gage le président.
Les incivilités ont même baissé de 60 % depuis que la gratuité a été mise en place le week end
Les impacts sociaux ne sont pas négligeables. « On redistribue 4,5 millions à un public fragile, on rend aussi la mobilité à des chômeurs de très longue durée, on rompt l’isolement de personnes âgées » se félicite l’élu PS. Aucune ombre au tableau donc.
Quid de la hausse des incivilités que prédisaient certains ? « Des dogmes, des arguments erronés de lobbies contre la gratuité ! » pourfend le président. Les incivilités ont même baissé de 60 % depuis que la gratuité a été mise en place le week-end. « Le contrôle social a augmenté, il n’a plus de caisse à braquer, et les contrôleurs ont été redéployés sur les lignes du soir et à problèmes » explique l’élu. Le délégataire du réseau DK Bus, Trans Dev, a lui aussi joué le jeu. Il ne perd pas au change du reste car son système d’intéressement demeure lié à la fréquentation. Cerise sur le gâteau, la disparition de la billettique et du matériel allège les charges du réseau.
La gratuité c’est bien, l’équité aussi…
« Chaque projet est unique, commente Maxime Huré. Il faut parfois envisager un phasage, et peut-être cibler des publics spécifiques pour commencer ». En vue d’affiner sa stratégie pour passer au sans-ticket, la métropole de Clermont-Ferrand attend les résultats d’une étude pour la fin de l’année. Enfin, pour bien d’autres collectivités, la gratuité n’est pas à l’ordre du jour…
La disparition de la billettique et du matériel allège les charges du réseau
Ayant étendu son périmètre à un bon nombre de communes rurales en 2017, le Pays de Montbéliard agglomération se fixe comme priorité d’apporter un service public de transport à tous, ce qui n’est pas une mince affaire. « Mettre un euro pour un trajet, cela ne pose pas de difficulté pour les habitants de communes rurales, si on compare au coût d’un taxi, assure François Niggli, vice-président de Pays de Montbéliard agglomération aux transports, du moment qu’ils peuvent bénéficier d’un service public qui les amène dans les bourgs voisins ».