Des nouvelles de l'évaluation professionnelle

Catherine Mieg

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Des nouvelles de l'évaluation professionnelle

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En management, l'évaluation s'est généralisée dans une logique de qualité et de performance, afin de faire retour sur la production des salariés. C'est aussi une des modalités de la logique gestionnaire qui s'est diffusée dans toutes les organisations de travail. Ce faisant, elle a beaucoup modifié le rapport au travail.

Au sens premier, évaluer, c'est attribuer une valeur. Le terme valeur s'emploie en parlant du caractère mesurable d'un bien en tant qu'il est susceptible d'être échangé : ce sens désigne en économie la qualité d'une chose fondée sur son utilité objective ou subjective (valeur d'échange/valeur d'usage). La valeur désigne aussi, à partir du xixe siècle ce que le jugement personnel estime bien, vrai, beau, s'accordant plus ou moins avec le jugement de l'époque (échelle de valeurs, système de valeurs).

Les enjeux de l'évaluation

Utilité prédictive de l'évaluation ? L'une des difficultés est de savoir si ce que l'on mesure ex post, c'est-à-dire une fois la production réalisée, informe sur ce qu'il faut faire pour améliorer la performance : est-ce que les indicateurs de mesure de la performance obtenue ont une valeur prévisionnelle sur laquelle fonder une action ? Ce qui pouvait être juste dans une logique industrielle ne l'est plus aujourd'hui parce que l'environnement macro-économique est devenu très incertain et que les relations de service - en externe avec le client, comme en interne entre équipes - confèrent un rôle central à la dimension humaine, souvent imprévisible.   Prise en compte d'une norme objectivable ou du vécu ? L'évaluation peut être menée en comparant les résultats à des normes (les objectifs fixés par exemple) ou en s'attachant à comprendre comment ils ont été obtenus. Le choix aura un impact à la fois dans la conduite de l'action à venir, mais aussi dans le regard porté sur le travail effectué par le salarié. Procéder par référence à des normes, c'est penser que ce qui a réussi vaut preuve, donc peut être reproduit, imité, sans prendre en compte le contexte (au sens social et humain). C'est aussi se reposer sur un tiers expert qui produit des références qui valent normes, et souvent penser procédures. Si cette approche peut être pertinente pour fixer des routines, qui vont sécuriser le travail, la comparaison et le transfert ne sont pas adaptés à l'univers du service où la dimension humaine est première. La référence aux normes limite les prises d'initiatives, voire l'innovation. Partir de l'expérience vécue plutôt que du résultat, c'est repérer les singularités d'une situation plus que les invariants, c'est une conception du travailler, comme d'un agir sans que tout soit su d'avance. L'attention se porte sur la manière dont les salariés et le collectif ont résolu les aléas de la situation de travail et sur les ressources mobilisées pour y faire face. Cette approche suppose de déterminer d'abord ce qu'il faut évaluer, ce qui est en cause et qui a du sens, ce qu'on a envie/besoin de savoir.

La référence aux normes limite les prises d'initiatives, voire l'innovation.

Le risque d'une évaluation qui se retourne contre le travail

L'évaluation est souhaitée par les travailleurs eux-mêmes qui sont très préoccupés de produire un travail efficace et rentable, et ont besoin de la reconnaissance apportée par l'évaluation. Mais les modalités de l'évaluation peuvent ne pas prendre en compte les conditions nécessaires pour bien travailler. C'est par exemple le cas quand le dispositif d'évaluation emprunte ses outils à la logique industrielle, alors qu'il est mobilisé dans une activité de service. Les particularités de cette situation de travail ne sont pas prises en compte, en particulier les contraintes d'accessibilité ou la modification du travail à travers la coproduction du service avec l'usager. L'évaluation individualisée de la performance, qui se traduit par un management par objectifs peut introduire une concurrence entre services, mais aussi entre les agents eux-mêmes. C'est la contribution individuelle qui est notée au détriment de la contribution aux collectifs qui est peu, voire pas prise en compte dans l'évaluation. Cela n'encourage pas les dynamiques collectives et solidaires, alors que la réalité, c'est qu'on ne peut pas réussir dans son travail tout seul.

Évaluer : mesurer parfois, juger toujours

Quantifier ou qualifier ? Le travail a des effets mesurables (nombre de dossiers, nombre d'usagers, d'élèves...) et des effets non mesurables (confort d'un voyage, confiance dans une relation, dans la qualité d'un objet...). Si l'évaluation peut mobiliser la « mesure », elle s'en distingue, car elle relève d'un jugement de valeur qui porte aussi sur des grandeurs non étalonnées, en particulier dans les relations de service. Mais il est difficile de mettre en place des indicateurs pertinents, et ce sont encore trop souvent des objectifs chiffrés qui sont utilisés dans des secteurs qui sont irréductibles à la mesure (santé, éducation, recherche...), alors qu'ils ne sont pas adaptés à la réalité de l'activité de travail.   Résultats ou investissement au travail ? L'évaluation s'attache aux résultats et à la réalisation des objectifs. Or, il est impossible d'attribuer une valeur réelle au travail accompli : l'essentiel de la valeur est hors travail prescrit, puisque le salarié mobilise sa personnalité bien au-delà de ce qui lui est demandé pour que « ça marche », c'est-à-dire qu'il puise dans toutes ses ressources, et même qu'il pense à son travail en rentrant chez lui ou pendant ses congés. Il est important que l'évaluation intègre à la fois les effets et les efforts ! Par ailleurs, c'est parfois le pouvoir d'adaptation de l'individu qui est récompensé plus que sa puissance créatrice. C'est le cas quand des logiciels d'activités ont été construits sur des indicateurs chiffrés (par exemple un nombre de visites à domicile) sans tenir compte de l'objectif poursuivi (par exemple la qualité de la relation mère-enfant). L'évaluation peut encourager certains comportements contre-productifs dont les effets ne sont jamais évalués : pour continuer sur l'exemple, une puéricultrice qui ferait un très grand nombre de visites à domicile, mais sans passer assez de temps avec les mères, pour créer une relation qui lui permette de repérer les difficultés et de les traiter.

Il est important que l'évaluation intègre à la fois les effets et les efforts !

Par rapport à quoi et pour qui ? Le jugement de valeur s'inscrit dans un « construit social », qui définit le périmètre des acteurs et des enjeux, arbitré par les managers. La pertinence d'un dispositif d'évaluation peut toujours être réinterrogée.

Les dispositifs d'évaluation

Les dispositifs classiques d'évaluation se déploient dans la relation hiérarchique, en particulier à travers l'entretien annuel. L'évaluation par la hiérarchie C'est un vrai travail pour le manager que d'évaluer ses collaborateurs : il y témoigne de ce qui fait sens pour lui, par rapport à la stratégie d'entreprise, au réel de la relation de production, et à l'impact sur les ressources. Ce travail d'évaluation conduit à la production d'un jugement de valeur, comme un travail d'élucidation du sens, qui impose au manager d'être au plus près du travail réel de ses collaborateurs, dans une temporalité juste par rapport aux événements. - Quand l'évaluation repose sur des mesures, l'objectivité tient à la distance considérée comme indispensable. - Quand l'évaluation mobilise un jugement de valeur, l'enjeu n'est pas seulement de savoir, mais de comprendre et la proximité devient une condition essentielle pour objectiver la situation. La compréhension passe par la possibilité pour le manager de ressentir, et sa présence, « quand et où ça se passe » devient une exigence. C'est une inversion de la posture d'objectivité traditionnelle : plus le manager prend de la distance, moins il comprend, plus il est présent et engagé, plus il devient une ressource du dispositif d'évaluation. Le rôle du manager dans l'évaluation est d'établir et de stabiliser un certain réglage entre le « pôle des habiletés » et le « pôle des valeurs du bien commun ». C'est en particulier vrai pour la qualité de la relation de service qui ne peut jamais être garantie d'avance, et qui concerne tout autant le service rendu que la manière de le rendre. Pour être valide, l'évaluation procède d'un accord - à construire entre le salarié et son manager - sur ce que signifie l'expérience de l'action évaluée.

Plus le manager est présent et engagé, plus il devient une ressource du dispositif d'évaluation

L'évaluation par le bénéficiaire Dans une relation de services, l'évaluation de la performance ne peut pas faire l'impasse sur l'évaluation par l'usager. Si ce dernier n'est pas sensible à la productivité, il l'est à la qualité et à l'accessibilité. - La qualité : les effets perçus par l'usager relèvent de la conformité du service aux normes annoncées d'une part, et de l'écart entre la réputation et les effets subjectifs vécus par le bénéficiaire, d'autre part. Par exemple, un habitant qui s'attend à des conseils de lecture en bibliothèque ne sera pas satisfait si le prêt est organisé, sans échanges avec une bibliothécaire. - L'accessibilité : les contraintes financières, temporelles et culturelles conditionnent l'accès au service. Si le service d'état civil n'est pas ouvert en dehors des heures de bureau, ou si l'accès à certains services nécessite la maîtrise de la bureautique de la part de l'administré, il peut être insatisfait du service public. La coproduction du service est importante : l'usager participe en donnant des informations qui permettent à l'agent de résoudre son problème. La coproduction engage la responsabilité du bénéficiaire dans la qualité et l'accessibilité du service : si une personne cache des informations ou en donne des imprécises, si elle ne peut pas se déplacer, elle ne pourra pas obtenir satisfaction. La complexité de l'évaluation par le bénéficiaire tient aussi aux décalages temporels entre les effets produits, certains effets pouvant être indirects et différés dans le temps. C'est le cas par exemple quand une solution de garde d'enfants libère une mère pour aller travailler, ou quand la qualité de la propreté dans un quartier contribue à améliorer l'image de ce quartier. L'évaluation par le bénéficiaire doit déterminer l'échelle temporelle de référence à partir de laquelle l'évaluation est considérée, et le périmètre des acteurs qui peuvent à un titre ou à un autre bénéficier de certains effets du service.   L'évaluation entre pairs L'activité de travail est toujours adressée, et le jugement des pairs est essentiel dans la reconnaissance de la compétence. Ce jugement combine : - une dimension de conformité, qui sollicite l'expertise des pairs pour apprécier si le travail a été fait dans les règles de l'art ; - une dimension d'originalité qui soulignera plutôt la manière dont le travail est sorti des règles pour faire face à l'aléa et servir l'objectif de pertinence. Évaluer entre pairs, c'est comprendre et juger ce qui a dû s'inventer à partir de ce qui était disponible comme règles de métier, pour éventuellement, « si ça le vaut » l'adopter et enrichir le patrimoine professionnel sur lequel est adossé le métier. L'accumulation des expériences sert ainsi, à travers un dispositif de reconnaissance ad hoc, une visée de professionnalisation qui inscrit clairement l'évaluation dans la perspective du développement.

Des pistes de réflexion et d'actions - Réfléchir à l'évaluation comme occasion de progrès, et de créativité par rapport au réel qui résiste au lieu d'être dans le contrôle - Rappeler que l'évaluation sert le salarié avant tout, puisqu'il s'agit de reconnaître la valeur de sa contribution et de lui donner la possibilité de se développer - Introduire des pratiques d'évaluation accordant la priorité au travail collectif et à la coopération

L'évaluation : une occasion de... - Comprendre la valeur des résultats, et comment ils ont été atteints - Entendre et interpréter les attentes et les engagements des salariés - Identifier les critères qui permettent d'améliorer l'allocation des ressources

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