Des politiques publiques pas si simples à évaluer

Denis Courtois

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Des politiques publiques pas si simples à évaluer

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Non seulement on ne fait pas systématiquement des évaluations de nos politiques publiques, mais quand on le fait, ces évaluations débouchent rarement sur quelque chose. Pourquoi cette difficulté à communiquer entre chercheurs et décideurs, alors que des outils éprouvés de dialogue existent ?

C’est dans l’air du temps, l’évaluation des politiques publiques permet de gagner très rapidement en efficacité. Ainsi, Agnès Buzyn, ministre de la Santé, déclarait-elle le 21 juin dernier devant deux cents acteurs ayant participé à une concertation sur la mise en place d’une stratégie pauvreté : « ces expérimentations permettront de développer la culture de la preuve, avec des indicateurs et des évaluations et d’harmoniser les pratiques sur les territoires », notamment en matière d’aide sociale à l’enfance ou d’insertion. Une orientation et une pratique qui devaient être confirmées par le président de la République le 21 juillet lors de la présentation du plan de lutte contre la pauvreté… mais que les différends avec les départements ont reportées !

« Vous ne nous écoutez pas » disent les chercheurs. « Vous nous prenez la tête » répondent les politiques

Au même moment se déroulait en juillet un colloque organisé par l’IEP de Paris et France stratégie dont le sujet était « quelles diffusion et influence des évaluations ? », terme consensuel qui cachait une vraie question : « tient-on compte des évaluations faites sur les politiques publiques ? ».

La rencontre difficile entre chercheurs et décideurs

« Vous ne nous écoutez pas » disent les chercheurs. « Vous nous prenez la tête » répondent les politiques… Ce condensé de réactions résume assez souvent la difficulté pour les uns et les autres de travailler sur un même sujet, ont relaté plusieurs intervenants, qui constatent que leurs travaux n’atterrissent pas toujours sur la table des décideurs, au niveau national comme local. L’absence d’outils de diffusion auprès des professionnels de terrain peut expliquer en partie cette absence de prise en compte d’éléments pouvant améliorer une pratique, mais les chercheurs en sont « réduits » ainsi à réécrire leurs conclusions : « il faut commencer par formuler des résultats clairs pour les amener vers la complexité » déclara l’un d’eux, qui fut rejoint par un second : « des recommandations modérées jugées acceptables pourront être mises en œuvre sans risque de rupture… d’un point vue psychologique ».

Lire aussi : La France a du mal à s'inspirer des autres

La meilleure façon est d’intégrer les professionnels… très en amont

Paroles de chercheurs, les plus grands succès rencontrés dans la mise en œuvre des évaluations sont ceux qui ont intégré très en amont les professionnels concernés… ou ceux qui connaissent bien le terrain, notamment les corps d’inspection générale des ministères qui se sont souvent transformés en ambassadeurs des réformes issues de ces évaluations.

« Il faut commencer par formuler des résultats clairs pour amener les décideurs vers la complexité »

Une méthode plus récente est désormais utilisée en France : les conférences du consensus. Dans un délai court (six mois), le rassemblement de professionnels, d’experts et d’usagers doit à la fois regrouper toutes les études quelle que soit leur origine sur un sujet et formuler par la confrontation des propositions d’actions. Celle réalisée en 2013 sur la prévention de la récidive (disponible sur http://conference-consensus.justice.gouv.fr) est un bon exemple de ce qui peut se faire en la matière sur des sujets difficiles à apporter.

Pour Nicole Maestracci (membre désormais du Conseil constitutionnel) qui en fut la présidente, ce type de travail permet aussi de « dire ce que l’on sait et ce qu’on ne sait pas », de fabriquer du « consensus », mais aussi de bien définir les « dissensus » pour identifier les blocages que peut générer une réforme. Il est à noter que, même dans ce cas, les « usagers », qu’ils aient été victimes ou auteurs, ont pu participer à cette conférence selon des modalités différentes. Malheureusement, regrette l’ancienne présidente, les ministères ont du mal à intégrer ce dispositif, qui ne bénéficie pas de comité de suivi, et le temps passant les travaux peuvent être oubliés.

Le temps long de la mise en œuvre
Dans le monde entier, les professions médicales font de la « conférence de consensus » sans le savoir depuis fort longtemps. Les découvertes médicales font l’objet, pendant les congrès médicaux, de confrontations entre praticiens et chercheurs pour la définition du meilleur protocole à mettre en œuvre pour le traitement d’une maladie. Un laboratoire anglais (spécialisé lui dans la mise en œuvre de politiques publiques) s’est interrogé sur les délais de mise en œuvre de ces « bonnes pratiques » médicales. Ses conclusions sont démoralisantes pour les malades et leurs proches, qui entendent parler d’une découverte sur un traitement nouveau les concernant. Il faut, en effet, dix-sept ans (vous avez bien lu) pour qu’un nouveau protocole soit pratiqué sur le territoire d’un pays.
En matière de « sciences sociales », les chercheurs et praticiens estiment à une dizaine d’années le temps nécessaire à la mise en place d’une politique à la taille d’un pays. La mise en place de produits de substitution aux drogues dures et de fournitures de seringues neuves, en France, qui a des effets constatés dans d’autres pays sur la baisse de la diffusion du VIH par voie de consommation de drogue et sur les overdoses en est un « bon » exemple.

On met le débat sur la table de la cuisine !

Cette expression suisse (selon un chercheur) signifie que la relation duale entre chercheurs et politiques n’est pas gage de succès dans la mise en œuvre des évaluations. Outre les professionnels (Ah ! La fameuse résistance au changement) qui devront être associés voire acteurs de ces réflexions, l’opinion publique ne doit pas être oubliée.

Le premier bilan très positif du dispositif « zéro chômeur de longue durée » permettra sans doute à cinquante nouveaux territoires de le rejoindre à l’automne

Car si les politiques en tiennent compte (ou ne font rien contre !), cette opinion publique peut freiner ou catalyser toute envie de changement. C’est peut-être la stratégie qu’a choisie le gouvernement pour développer ce concept « d’activation des dépenses sociales ». Car, entre « l’obligation de travailler pour les titulaires du RSA » que veulent mettre en pratique certains départements et le « pognon de dingue » que l’on met dans les dépenses sociales du président lui-même, il y a là une préparation de l’opinion à une nouvelle conception de la solidarité.

Mais ça peut marcher !

Le 6 juillet dernier, un premier bilan sur l’expérimentation nationale contre le chômage de longue durée permettait de constater que sur les dix territoires choisis, cinq cents personnes ont été recrutées par les entreprises à but d’emploi. Ce premier bilan jugé très positif – y compris par l’ensemble des partenaires associatifs – permettra sans doute à cinquante nouveaux territoires de rejoindre le dispositif à l’automne dans le cadre attendu du plan pauvreté. Pourquoi simplement cinquante, pourrait-on se demander. La réponse tient sans doute à la mobilisation des partenaires et des professionnels qui sont prêts au changement…

Voir aussi : Bilan positif pour les territoires zéro chômeur de longue durée

 80 à l’heure : il ne suffit pas d’avoir raison pour convaincre !
Les données convergentes sur ce sujet, qu’elles soient françaises (1) ou européennes, et un certain courage politique ne peuvent suffire si l’on n’intègre pas l’opinion publique sur toute question. Qu’on la juge opportuniste (le surcoût « infligé » aux départements pour les changements de panneaux), traditionnelle (le lobby des automobilistes ou l’opposition rural-urbain), toute décision qui repose sur des évaluations assez convaincantes ne doit pas faire l’impasse sur une communication forte et appropriée pour avoir l’opinion publique de son côté.
(1) Voir à ce sujet un document disponible sur demande sur le site de la prévention routière comparant le taux de mortalité département par département qui peut atteindre 2 à 4 fois la moyenne nationale dans les zones dites rurales.

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