Dans certains pays, la limitation du trafic motorisé est une vieille histoire qui débuta alors même que la démocratisation de la voiture était loin d’être achevée.
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Les quartiers débarrassés du transit des voitures, voire de tout trafic motorisé, se multiplient dans le monde, renversant la hiérarchie des modes de déplacements et donnant la priorité à la vie locale sur la circulation.
Des lieux sans voitures ? L’imagerie commune renvoie spontanément aux panneaux publicitaires (chimériques !) des promoteurs, qui font la part belle aux familles déambulant à pied et à vélo, ou aux îles havres de paix : celles de Toronto au Canada, Siberut en Indonésie, Bréhat en France... Leur périmètre spatial est par définition très limité et leur existence se justifie par des spécificités géographiques (comme Venise, la plus grande ville au monde à bénéficier d’une quasi-absence de trafic routier) ou historiques, politiques et militaires (la médina de Fès, au Maroc). Les urbanistes songeront au quartier Vauban à Fribourg-en-Brisgau en Allemagne, aménagé à partir des années 1990, à l’intérieur duquel on ne trouve que quelques rares voitures garées et aucun feu tricolore.
Dès les années 70
Pourtant, dans certains pays, la limitation du trafic motorisé est une vieille histoire qui débuta alors même que la démocratisation de la voiture était loin d’être achevée. En Italie, la première zone à trafic limité (ZTL) fit son apparition dans la vieille ville de Sienne, en Toscane, dès 1965. Pas moins de trois cents villes italiennes possèdent aujourd’hui une ZTL, signalées à leurs entrées par des panneaux et surveillées par des systèmes de reconnaissance automatique des plaques d'immatriculation par caméras. Les véhicules non autorisés qui y pénètrent reçoivent immédiatement une forte contravention.
Aux Pays-Bas, la tradition des quartiers résidentiels à faible trafic remonte aux années 1970, lorsque commencèrent à se développer des quartiers dits “en chou-fleur”, aménagés de sorte à rendre le trafic motorisé de transit très compliqué, voire impossible (par des voies sans issue et des boucles à sens unique), tout en laissant des cheminements directs aux piétons et aux cyclistes. Les aménageurs néerlandais distinguent les environnements “autoluw” (au trafic très limité, laissant accès aux riverains et véhicules autorisés nécessaires), qu’on trouve dans tout le pays, des environnements “autovrij” (sans voitures), plus fréquents dans les hypercentres des villes anciennes.
Face à la progression démographique, au manque d’espace public et à l’urgence climatique, les projets de quartiers sans voitures se multiplient
L’exemple d’Utrecht
Aujourd’hui, de nombreuses villes sur tous les continents affirment leur volonté d’améliorer le cadre de vie et de mettre fin aux nuisances provoquées par les flux motorisés. Face à la progression démographique, au manque d’espace public et à l’urgence climatique, les projets de quartiers sans voitures se multiplient, issus de la transformation de quartiers existants ou créés de toutes pièces, souvent sur d’anciennes friches ou par extension du périmètre urbanisé.
Utrecht, quatrième ville des Pays-Bas, entame cette année la construction du plus grand quartier sans voitures d’Europe : Merwede. Cet ancien parc d’activités situé entre un canal et un boulevard, accueillera à terme 10 000 habitants. L’offre de stationnement obéira à une logique inverse de celle d’un quartier conventionnel : 21 500 places de stationnement pour vélos sont mises à disposition dans les immeubles, pour seulement 1500 places de stationnement automobile, réparties dans quatre parkings souterrains aux extrémités du quartier. Soit une place de stationnement pour quatre ménages. Le coût de l’abonnement - 200 euros par mois - limite drastiquement la demande.
En contrepartie, les habitants de Merwede disposeront d’une offre abondante et bon marché d’alternatives à la voiture personnelle en location : vélos classiques, vélos à assistance électrique (VAE), speed-pedelecs (VAE limités à 45 km/h), vélos-cargos, voitures et véhicules utilitaires électriques… L’espace libéré par l’absence de voitures sera consacré au sport, au jeu, aux espaces verts. Les équipements et commerces seront accessibles rapidement à pied ou à vélo. Deux nouvelles passerelles franchissant un canal permettront de se rendre directement en centre-ville, et un hub de mobilité régional ouvrira dans la zone d'activité limitrophe à Merwede.
Les quartiers sans voitures sont promis à un bel avenir, à condition que les acteurs publics et privés en reconnaissent les bénéfices et s’alignent sur une vision cohérente.
Vivre sans voiture
Les villes françaises, elles, peinent encore à limiter la place de la voiture, y compris dans ses quartiers flambants neufs. Notre pays compte seulement une poignée de ZTL : Nantes (la première mise en place, en 2012) et Grenoble ; Strasbourg et Rennes en expérimentent depuis peu. Lyon s’inspire de Barcelone pour aménager cette année un premier quartier à faible trafic, à la Part-Dieu. Avec ses “super-îlots” carrés, réservés aux piétons, aux cyclistes et à quelques véhicules autorisés, la capitale catalane est parvenue en quelques années à sérieusement réduire le trafic motorisé. La capitale des Gaules commence plus modestement, avec la piétonisation d’une rue à proximité d’un groupe scolaire, longeant une vaste place où le stationnement a été supprimé. L’objectif est aussi de favoriser les commerces et de végétaliser, alors que la ville, en manque d’espaces verts, devient une fournaise chaque été.
Le cabinet d’architectes paysagistes OKRA, qui a dessiné Merwede, estime que les quartiers denses sans voitures sont la meilleure solution pour s’affranchir de la dépendance à l’automobile et entrer dans l’ère de l’écomobilité. Contrairement aux zones à faibles émissions qui se contentent de favoriser le renouvellement du parc automobile, ces quartiers remettent vraiment en question le caractère “raisonnable” de la propriété et de l’usage de la voiture individuelle... Ils sont promis à un bel avenir, à condition que les acteurs publics et privés impliqués dans leur planification et leur conception en reconnaissent les bénéfices et s’alignent sur une vision cohérente.