Dispositif « Logement d’abord » : un changement de façade ?

Séverine Cattiaux

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Dispositif « Logement d’abord » : un changement de façade ?

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Le dispositif du « logement d’abord » entend réduire le nombre de sans-abri d’ici la fin du quinquennat. Se portant volontaires, 24 territoires vont appliquer la nouvelle politique de manière accélérée, selon les vœux de l’État et en échange de son concours financier. Les premiers objectifs s’annoncent toutefois des plus modestes.

Le plan « Logement d’abord » se veut une « approche globale », selon l’expression du ministère de la Cohésion territoriale. Sylvain Mathieu, le délégué interministériel à l’hébergement et l’accès au logement parle, lui, de « dispositif systémique » s’inscrivant dans le « deuxième plan interministériel ». Le délégué coordonne et fait le suivi du plan quinquennal qui comprend 60 actions regroupées en 16 axes structurés en 5 priorités. Au centre du dispositif ? La mise à disposition rapide de logements très abordables, adaptés aux profils des personnes dans la rue ou mal logées, qui ont ou peu ou pas de ressources du tout.

Le gouvernement prévoit sur 5 ans, le financement de 200 000 logements très sociaux (PLAI), de 40 000 places en intermédiation locative par la mobilisation du parc privé et de 10 000 places en pensions de famille pour les personnes isolées en situation de grande précarité.

Au centre du dispositif, la mise à disposition rapide de logements très abordables, adaptés aux profils des personnes dans la rue ou mal logées

L’autre pilier du dispositif « Logement d’abord » repose sur l’organisation d’un accompagnement adapté, modulable et pluridisciplinaire auprès des personnes, que ce soit en termes de santé, d’accès à l’emploi, de gestion du quotidien. Car il faut qu’à terme les nouveaux locataires, la plupart tout au moins, puissent se réinsérer dans la société, et devenir progressivement autonomes…

Voir aussi : Les chiffres du mal-logement

Les efforts des territoires en matière de logement suffiront-ils ?

Pour passer du fonctionnement actuel au « Logement d’abord », 24 territoires volontaires s’organisent depuis peu pour mettre en œuvre la politique à travers des plateformes rassemblant l’ensemble des acteurs concernés. Un coup de pouce financier de l’État pour « de l’ingénierie » se monte à 8 millions d’euros la première année, renouvelé une deuxième année. « Le fait d’avoir été retenu nous permet d’obtenir 300.000 euros par an dès 2018, pour l’animation de la plateforme et l’accompagnement des ménages » explique Christine Garnier, vice-présidente de la métropole grenobloise, qui a candidaté avec la ville de Grenoble.

Tout bien considéré, la vraie nouveauté est que la collectivité grenobloise s’inspire de l’expérience « Un chez soi d’abord »

Qu’est-ce que cela va changer concrètement ? Tout bien considéré, la vraie nouveauté est que la collectivité s’inspire de l’expérience « Un chez soi d’abord », en faisant intervenir des travailleurs pairs, qui ont déjà connu la rue. « Ils savent parler aux personnes concernées, cela permet de mieux adapter les dispositifs, justifie Christine Garnier.

Pour le reste, il s’agit surtout d’unifier et de développer des dispositifs déjà existants ». Par exemple, faire passer le nombre des logements du dispositif d’intermédiation « Louer facile », de 70 à 140 logements par an, doubler sur cinq ans le nombre de places en pension de familles pour arriver à 240. « Avec le Logement d’abord, l’État finance un peu mieux ces places », confie la vice-présidente. Des efforts non négligeables donc, mais suffiront-ils quand 3 500 personnes se trouvent en permanence sans domicile personnel sur ce territoire, parmi lesquelles 2 000, à la rue, en campement, ou dans des squats ?

Lire aussi : La métropole lilloise veut remplir les logements vacants

160 bénéficiaires du dispositif "Logement d'abord" pour la Seine-Saint-Denis

Le département de la Seine-Saint-Denis n’a pas non plus tergiversé pour répondre à l’appel à manifestation d’intérêt « Logement d’abord » en novembre 2017. Quand on détient le triste record de concentrer un quart les expulsions locatives nationales sur son territoire, on n’hésite pas à saisir la main tendue de l’État. « On sait que l’accompagnement fonctionne, on a des résultats dans le cadre du Fonds solidarité logement, mais nous n’avions pas assez de moyens » déclare Florence Sarthou, directrice de la Prévention et de l’Action sociale du département.

Pour le dire trivialement, le département veut avec le « Logement d’abord » mettre le paquet sur le financement de l’accompagnement, la pierre de touche du dispositif, « plutôt que de financer à fonds perdu des nuitées d’hôtel, où les personnes n’ont aucune perspective d’avenir, explique la directrice. Avec l’entrée dans le logement définitif, on évite aussi les ruptures dans l’accompagnement » ajoute Lolita Agati, chargée de mission.

« On a des résultats dans le cadre du Fonds solidarité logement, mais pas assez de moyens »

Depuis 2016, la Seine-Saint-Denis teste avec satisfaction un projet de logements passerelle comme alternative à l’hôtel. Avec le « Logement d’abord », le département va conventionner avec des bailleurs sociaux pour y installer, de manière pérenne cette fois, des familles en grande précarité. Les baux seront portés par une association, repris ensuite par les locataires dès que leur situation le permettra. « On fait glisser le bail et on va chercher d’autres logements » lance la directrice.

En revanche, oh surprise, s’agissant des objectifs, les chiffres avancés sont tout petits : 160 personnes en 2018 et 250 en 2019. Une goutte d’eau à l’aune des 500 familles monoparentales avec enfant de moins de trois ans hébergées à l’hôtel par le département, des 9 000 personnes en hébergement d’urgence, et des 17 000 Dalo en attente…

Dans le département de la Sarthe, autre territoire d’application « accélérée » du Logement d’abord, les tensions sont bien moindres, et les intentions fort modestes également : 10 à 12 dossiers de personnes vont être accompagnés la première année. « Ce n’est pas énorme, concède Samuel Chevallier, conseiller départemental, et président de la commission Insertion et Logement, mais cela va permettre de créer des réussites pour ensuite les dupliquer. »

Associations et travailleurs sociaux mitigés

« C’est un plan quinquennal. Il n’est pas magique, prévient Sylvain Mathieu, c’est un changement de modèle. C’est surtout une nécessité de convaincre des milliers d’acteurs de la pertinence d’aller le plus rapidement possible vers le logement ». Les têtes de réseaux sont convaincues, en revanche ce serait moins vrai chez les travailleurs sociaux. « On trouve encore à beaucoup d’endroits des acteurs dans le logement qui vous disent que la personne n’est pas encore prête pour le logement… » déclare le délégué interministériel. Certes la philosophie du « Logement d’abord » reçoit globalement l’adhésion de nombreuses associations et des principaux acteurs du logement. Néanmoins, les mêmes émettent des doutes sérieux sur leurs réelles capacités d’action. Le risque pointé étant que l’État déshabille Pierre pour habiller Paul, et surtout trop vite.

Le gouvernement ne s’en cache pas : l’argent pour le « Logement d’abord » proviendra à terme de l’enveloppe destinée aujourd’hui à l’hébergement d’urgence et aux nuitées d’hôtel

Le gouvernement ne s’en cache pas : l’argent pour le « Logement d’abord » proviendra à terme de l’enveloppe destinée aujourd’hui à l’hébergement d’urgence et aux nuitées d’hôtel. L’État assure veiller à la bonne « temporalité » de ses décisions.

Il n’empêche, les associations demeurent très suspicieuses.

Bruno Morel, directeur général d’Emmaüs solidarité, association membre du « Collectif des associations unies pour une politique publique du logement des personnes sans abri et mal logées » (CAU) met en garde : « Il faudrait s’assurer que les logements très abordables soient bien construits, avant de couper dans l’hébergement d’urgence, et on sait que cela prendra des années ».

En outre, comment la construction de logements très sociaux pourrait-elle s’accélérer, puisque l’État s’est désengagé de l’aide à la pierre pour 2018 ? s’interroge une élue.

« Le Logement d’abord, c’est génial, ça responsabilise, on le promeut ! » s’enthousiasme un jeune directeur adjoint d’un centre d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) pour faire la moue l’instant d’après. « Cependant, il est fort dommageable que l’État cherche à présent à faire des économies sur les CHRS, à raison de 20 millions de coupe budgétaire pour commencer en 2018 [du fait de nouveaux tarifs plafonds ndlr], notre vocation étant d’accompagner des personnes en situation de grande précarité vers le logement ».

Un choix incohérent purement comptable qui frappe les CHRS, après les maisons de retraite et les hôpitaux, dénoncent certains syndicalistes.

Lire aussi : Exclusion : au service d'une société qui a changé les enjeux d'un nouvel État-providence

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