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© ville de Trappes
Ville de banlieue parisienne, Trappes, proche de Versailles, compte 32 000 habitants, dont 60 % vivaient en HLM en 2016. Dans cette ville qui voit sa population grandir et le taux des logements sociaux baisser (actuellement, 55 % de la population serait concernée), la question de la mixité au quotidien est centrale.
Plusieurs actions ont été menées, comme l’inauguration de marches exploratoires, destinées à repérer les lieux de sentiment d’insécurité pour les femmes dans la ville, et bien sûr le réaménagement des cours d’école.
En tout, la ville compte 36 écoles élémentaires et maternelles, qui devraient toutes subir un sérieux lifting d’ici trois ans maximum.
À l’heure actuelle, un peu plus d’un tiers d’entre elles ont été réaménagées.
TÉMOIGNAGE
En Gironde, des collèges entièrement repensés
Le conseil départemental de Gironde a lancé un vaste chantier de rénovation de ses collèges, et la construction de 12 nouveaux établissements pour absorber la hausse de 2000 nouveaux collégiens par an. En réfléchissant à ce que devait être le collège de demain, une première demande a émergé de la part du personnel : ne plus proposer des sanitaires différenciés. Désormais, les nouveaux collèges n’ont plus d’urinoir et les chefs d’établissement ont le choix de différencier ou non les deux blocs de sanitaires. En prenant ses fonctions en 2018, Anaïs Luquedey a commandé à la géographe Édith Maruéjouls la rédaction d’une note d’intention à destination des concepteurs des futurs collèges. « L’idée était de les sensibiliser à l’enjeu de l’égalité fille-garçon. Il s’agit d’un document de quelques pages qui s’appuie sur des constats et des retours d’expérience dans les collèges. »
Cette note est devenue un document contractuel sur lequel le concepteur sera évalué : il doit préciser en quoi son projet architectural favorise la mixité et l’égalité.
Anaïs Luquedey, directrice des collèges du conseil départemental de la Gironde
Partager équitablement l’espace
À l’heure où la ville de Puteaux, commune réputée pour sa richesse, inaugurait un square découpé en deux zones : un univers de chevaliers bleus pour les garçons, un autre de princesses roses pour les filles, Trappes choisissait de prendre le contre-pied.
Chaque cour de récréation est entièrement repensée dans son aménagement, pour partager l’espace plus équitablement entre filles et garçons. « Ce n’est pas venu d’un coup, explique l’adjoint à l’urbanisme Thomas Urdy. Au début du mandat, nous avons commencé à rénover les cours en optant pour du synthétique, en réintégrant des espaces verts. C’est depuis cette année que nous intégrons la question de la mixité. »
Que souhaitent les enseignants, eux qui vont faire vivre cet endroit ensuite ?
Pour mettre en œuvre ce projet, la commune a intégré tous les acteurs concernés. En premier lieu, les directeurs de service ont été sensibilisés à la question de l’égalité des genres, pour, à chaque décision, éviter de reproduire certains stéréotypes.
Au sein des écoles, la direction, mais aussi le personnel enseignant et les parents d’élèves, ont été consultés pour réinterroger les pratiques. Faut-il apporter des jeux de couleur pour déstresser les enfants ? Comment agencer les nouveaux aménagements ? Que souhaitent les enseignants, eux qui vont faire vivre cet endroit ensuite ?
Suite à ces discussions, la directrice des espaces publics de la ville et le responsable de la voirie ont émis une série de propositions à la directrice de l’école.
TÉMOIGNAGE
Former les équipes administratives
« Travailler avec un élu sensibilisé aux questions d’égalité est important, car il faut comprendre les logiques et ne pas tomber dans d’autres clichés. Le féminisme concerne aussi bien les filles que les garçons, une formation peut aider à comprendre les enjeux. En second lieu, procéder à une étude de l’existant : quelles sont les villes ayant déjà travaillé sur le sujet, comment ont-elles procédé et pour quelles solutions ont-elles opté ? Ces échanges sont très enrichissants. Enfin, après avoir formé les équipes administratives à ces questions, il ne faut pas hésiter à tenter des choses, à avancer par petites touches pour s’adapter. Les conseils d’urbanistes, au cours de ces démarches, peuvent également s’avérer précieux. »
Thomas Urdy, adjoint à l’urbanisme de la ville de Trappes
Rassurer les équipes
« Notre idée, complète Thomas Urdy, est de faire des essais, de rassurer les équipes. Nous avons commencé par opter pour un revêtement plus souple et des terrains synthétiques, tout en réintégrant de la verdure et un potager. Nous procédons par test : il faut penser la mobilité dans la cour, observer si des espaces genrés se mettent en place quand même. »
Colorés en rose, violet, vert ou bleu, ces parterres deviennent des aires de jeu sur lesquelles les enfants peuvent laisser courir leur imagination
Pour l’heure, ces cours de récréation ont totalement changé de look et n’ont pas d’équivalents en France : bigarrées, elles sont égayées par des jeux accessibles à tous et par des dessins au sol, des planètes ou des circuits.
Colorés en rose, violet, vert ou bleu, ces parterres deviennent des aires de jeu sur lesquelles les enfants peuvent laisser courir leur imagination.
Une réflexion globale
Exit, le terrain de foot, tout en conservant des jeux qui permettent de se dépenser sans circonscrire une vaste zone à un usage unique !
Ces actions, menées en l’espace de quelques mois à Trappes, ont prouvé aux élus et aux habitants qu’un changement peut avoir lieu assez rapidement
« C’est un premier pas, certaines écoles qui n’avaient pas été réaménagées au regard de ce prisme-là seront encore revues, explique Thomas Urdy. Nous avons enclenché une réflexion globale suivie par le projet éducatif de territoire que nous avons avec l’Éducation nationale. »
L’heure, maintenant, est de procéder à des diagnostics plus poussés pour constater les premiers résultats. Ces actions, menées en l’espace de quelques mois à Trappes, ont prouvé aux élus et aux habitants qu’un changement peut avoir lieu assez rapidement.
Une thèse à lire pour comprendre les mécanismes
Devenue référence en matière de mixité dans l’espace public, mais surtout dans les cours de récréation, Édith Maruéjouls a consacré sa thèse de doctorat en géographie humaine à ce thème. Intitulée « Mixité, égalité et genre dans les espaces du loisir des jeunes : pertinence d’un paradigme féministe », elle s’est attachée à analyser la répartition des filles et des garçons dans les espaces, équipements et temps de loisirs dans trois communes périphériques de l’agglomération bordelaise. Le constat est sans appel : les garçons investissent les espaces publics en grandissant, alors que les filles, à l’inverse, se replient vers la sphère privée lors de l’entrée au collège. Son étude met en avant quatre constats : l’inégalité, l’offre de loisirs subventionnée s’adressant en moyenne à deux fois plus de garçons que de filles, la non-mixité et le renforcement des inégalités, les activités non mixtes masculines beaucoup plus importantes que les activités non mixtes féminines. Depuis la rédaction de cette thèse, Édith Maruéjouls aide les collectivités qui font appel à ses services à repenser leur urbanisme ou bien l’agencement des cours d’école, pour que chacun se sente à légitime dans ces espaces.
Thèse consultable en ligne : https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01131575/document