Du bloc régalien au bloc communal, la grande transition de la sécurité publique

Jerôme Lenoir
Du bloc régalien au bloc communal, la grande transition de la sécurité publique

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Avec les derniers événements dramatiques de cet été, le débat sur la prise en charge de la sécurité nationale par les pouvoirs locaux a pris une nouvelle tournure. Il apparaît désormais que les collectivités locales, et particulièrement l’échelon communal, peuvent et doivent assumer avec l’État la fonction régalienne d’assurer la sécurité des citoyens. Pour achever ce mouvement, un nouveau pacte de sécurité doit naître.

La dramatique actualité estivale a particulièrement impacté les collectivités locales : attentats terroristes de Nice et de Saint-Étienne-du-Rouvray, tensions et difficultés de cohabitation sur les plages de Corse et de Côte d’Azur, les maires et leurs équipes ont été en première ligne. Les questions de terrorisme, de prévention de la radicalisation, de conflits d’usage dans l’espace public sur fond de tensions identitaires et religieuses ne sont plus l’apanage de la région parisienne, des métropoles ni des grands ensembles.

L’irruption locale des questions régaliennes

Les questions régaliennes ont ainsi fait brutalement irruption dans le champ des collectivités locales, au premier rang desquelles le bloc communal. Le « bloc régalien », ce qui fait que nous faisons société et République ensemble, est désormais de fait une « compétence partagée » entre l’État et les collectivités.

Le « bloc régalien », ce qui fait que nous faisons société et République ensemble, est désormais de fait une « compétence partagée » entre l’État et les collectivités.

Il s’agit d’une rupture avec l’ordre qui prévalait jusqu’à présent : à l’État les missions de « souveraineté », porteuses du sens du vivre ensemble, de la paix sociale, de la défense de la citoyenneté et des intérêts vitaux des individus comme de la Nation, qui se traduisent par l’exercice des compétences régaliennes, éducation, défense, sécurité et justice, diplomatie, santé, grands choix économiques et industriels, cohésion sociale…

Aux collectivités locales, singulièrement le bloc communal, les missions de « proximité » – avec ce que ce terme peut parfois revêtir de péjoratif – les compétences techniques ou du quotidien, non stratégiques d’un point de vue national et étatique.

Bien sûr, les communes et leurs EPCI exercent des pouvoirs de police, développent de longue date des dispositifs en matière de sécurité et de prévention de la délinquance, mais tout cela est resté jusqu’à présent à la fois modeste eu égard aux enjeux et mal défini dans le rapport aux missions exercées par l’État dans ces mêmes domaines.

Une nouvelle frontière entre souveraineté et proximité

C’est cette frontière entre souveraineté et proximité, entre le « hard » et le « soft », qui est en train de s’estomper à la faveur des enjeux sécuritaires qui gagnent l’ensemble du territoire. Ce ne sont pas les élus qui le réclament, mais les citoyens, qui se tournent d’autant plus naturellement vers les pouvoirs publics de proximité que la montée en puissance de la décentralisation et des compétences exercées localement a considérablement renforcé leur visibilité et leur importance aux yeux des administrés.

Quels que soient les jeux de rôles entre le local et le national, il faut bien constater que cette séparation a perdu de sa pertinence.

Quels que soient les jeux de rôles entre le local et le national, sur fond de tensions budgétaires et de réformes territoriales successives, il faut bien constater que cette séparation a perdu de sa pertinence, à l’heure où la menace est globale, peut frapper n’importe où et n’importe quand sur le territoire, et où la distinction entre menace extérieure et intérieure se brouille. Il convient donc de revoir en urgence l’organisation actuelle des responsabilités dans ces domaines.

Les collectivités ont un rôle à jouer

D’abord parce que l’État ne sera pas en mesure, pour une question de moyens, d’assurer une sécurité maximale en tout point du territoire à tout moment. Les effectifs, dispositif « Sentinelle » et garde nationale inclus, ne le permettront pas. Ensuite parce que ce dernier n’aura jamais une connaissance aussi fine du tissu territorial que les élus et leurs équipes, vecteurs de veille et de pédagogie, qui le quadrillent au quotidien en touchant toutes les populations et catégories d’acteurs, plus encore depuis la disparition de la police de proximité.

Enfin car l’État, même pleinement investi de son rôle, n’aura pas nécessairement la même motivation à agir lorsque l’on sait que la sécurité est la première condition de l’attractivité résidentielle et touristique, ressource principale de nombreuses collectivités, mais aussi de la préservation du lien social dont le délitement se fait d’abord sentir localement. Plus que jamais, les collectivités ont dans ce domaine un véritable intérêt à agir, qui ne peut plus se limiter à la tranquillité publique, la lutte contre les discriminations et la prévention.

Les collectivités ont donc un rôle majeur à jouer dans le champ de la sécurité, de la prévention de la radicalisation, dans le traitement des tensions communautaires et identitaires, qui sont aujourd’hui et sans doute pour longtemps au premier rang de l’agenda politique et des préoccupations des citoyens, où qu’ils résident. Elles le peuvent avec les adaptations législatives et réglementaires adéquates, les moyens budgétaires associés et, point clé, la reconnaissance de leur légitimité au quotidien et sur le terrain des services de l’État.

Lire aussi : Les agents publics doivent-ils défendre les valeurs de la République ?

De nombreuses questions en suspens

Les collectivités ont développé un savoir-faire reconnu en matière d’organisation, de gestion et de sécurisation de grands événements et manifestations, leurs polices municipales se professionnalisant à mesure. Se posent désormais un certain nombre de questions : les effectifs ; l’armement des polices municipales, pour des agents qui sont souvent les primo-intervenants, voire des cibles ; leurs prérogatives en matière de contrôle d’identité et de fouille ; le développement de la vidéoprotection ; l’accès aux informations concernant les administrés fichés par les services de renseignement ; et, plus généralement, une meilleure insertion des élus locaux dans les circuits d’information et de suivi de ces questions.

C’est à un véritable « pacte de sécurité » État-collectivités qu’il convient de travailler.

C’est à un véritable « pacte de sécurité » État-collectivités qu’il convient de travailler. Parallèlement, les questions de sécurité au sens large, dans tous ses versants, doivent être intégrées aux cursus de formation initiale et continue des cadres territoriaux, s’appuyant sur des partenariats entre le CNFPT et les écoles et instituts spécialisés de l’État en la matière (INHES, IHEDN, par exemple). Ces questions doivent culturellement s’ancrer dans le champ de préoccupation des dirigeants de collectivités, singulièrement du bloc communal.

Investir les champs culturel, sportif, périscolaire, de la jeunesse

S’agissant des tensions communautaires, identitaires ou religieuses que les élus locaux appréhendent en première ligne, une clarification des textes éviterait utilement de renvoyer sur le maire la gestion des ambiguïtés de la loi.

Le traitement des problématiques d’égalité hommes-femmes, de laïcité et de respect des valeurs de la République, doit durablement être positionné en tête des agendas des CISPD, et des dispositifs Politique de la ville, car là est la priorité reconnue de tous. Via les subventions et les appuis fournis aux acteurs associatifs, le bloc communal dispose des moyens, au besoin contraignants, pour imposer des pratiques et comportements exemplaires dans ces domaines et s’assurer de leur adhésion à notre modèle de société. Les champs culturel, sportif, périscolaire, de la jeunesse, sont aussi des vecteurs efficaces à mobiliser.

Le traitement des problématiques d’égalité hommes-femmes, de laïcité et de respect des valeurs de la République, doivent être la priorité reconnue de tous.

Les 20 dernières années ont été marquées par une évolution forte des tensions et des menaces pesant sur notre pays et notre mode de vie, qui atteint un point culminant depuis deux ans et n’épargne aucun territoire. Parallèlement, les pouvoirs locaux ont accru leur présence et leur importance dans la vie des citoyens, sans que les champs de la sécurité au sens large suivent cette évolution. Les collectivités locales, le bloc communal en particulier, sont aujourd’hui rattrapées par la réalité des faits et des menaces. Le tragique, le régalien, sont entrés avec fracas dans notre champ et il va falloir nous y habituer et nous adapter. Et indépendamment des positions politiques, philosophiques ou polémiques, élaborer des solutions

L’échelon communal est celui de la proximité, pour le pire comme pour le meilleur : soit il peut marquer le clientélisme ou le recul devant les communautarismes ; soit il peut être aux avant-postes de la pacification de l’espace public et des relations sociales, du sens profond redonné au vivre ensemble et de la reconquête des valeurs républicaines, à commencer par la sécurité due à chaque citoyen. C’est cette grande transition qu’il convient d’opérer, dans une coopération renouvelée et respectueuse entre l’échelon communal et les services de l’État.

Lire aussi : Prévention de la délinquance : 12 outils à disposition du maire

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