caserne_bonne
© Milky-wikicommons
Les écoquartiers, mode ou tendance de fond ? La question est posée à Vincent Renauld, ingénieur et chercheur en urbanisme au Centre scientifique et technique du bâtiment, qui a mené une thèse sur la question des usages de ces quartiers verts.
Votre thèse portait sur la « Fabrication et [l’]usage des écoquartiers français », elle est parue en 2012 et fait partie des premiers travaux réalisés sur ce thème…
Vincent Renauld : Il faut préciser que mon étude a été menée jusqu’en 2011, c’est à mettre en perspective avec ce moment de l’histoire du développement des écoquartiers. J’ai choisi l’écoquartier de Bonne (Grenoble), car il était l’un des premiers à avoir des bâtiments innovants et, à cette période, nous avions un minimum de recul pour enquêter sur la question des usages.
Il y a un décalage important entre ces quartiers produits, les aménagements réalisés dans l'espace public et, ensuite, la réalité des usages.
J’ai travaillé à l’échelle d’un bâtiment et de l’habitat : comment s’approprier par l’usage les nombreux dispositifs techniques innovants. Sur le fond, la problématique est la suivante dans tous les nouveaux quartiers : il y a un décalage important entre ces quartiers produits, les aménagements réalisés dans l’espace public et, ensuite, la réalité des usages. Cela est vrai autant pour les pratiques et les habitudes que du côté des professionnels, des différents corps de métiers qui interviennent sur l’entretien.
Autrement dit, de la phase de conception jusqu’à celle où l’habitant prend possession des lieux, tout le monde doit s’adapter ?
C’est la question qui se pose à travers toute nouveauté. En raison de la réglementation thermique et de cahiers des charges exigeants, les bailleurs sont amenés à innover, ils sont d’ailleurs assez contraints. Cette innovation se trouve confrontée à différents types d’usages : d’une part, les usages liés à l’entretien (nouvelles méthodes dans la mise en œuvre des bâtiments, nouvelle isolation par l’extérieur, nouveaux chauffe-eau solaires, entretien différent des espaces verts, etc.), d’autre part les usages qu’en font les habitants. Cela peut demander de transformer certaines habitudes ancrées dans la culture des uns et des autres. En fait, le problème d’usage peut être encore plus fort du côté des professionnels, à qui il est demandé de mettre en œuvre de nouvelles techniques. La pédagogie est importante, il faut qu’il y ait un apprentissage. Il faut des formations du côté des corps de métiers et de l’accompagnement auprès des locataires, afin qu’ils comprennent les mécanismes de leur bâtiment, le rôle de l’ouverture des fenêtres, de l’entretien, du chauffage, etc. Les choses commencent tout juste à évoluer sur cet aspect, car plusieurs acteurs ont réalisé que, sans cette démarche, les usages peuvent être contre-productifs sur le terrain. Par exemple, il y a eu un emballement pour les chauffe-eau solaires il y a quelques années, avec des aides pour mettre une part d’énergie renouvelable dans les bâtiments. Le souci, c’est que la technique pose beaucoup de problèmes à l’usage, notamment par manque de formation à l’entretien des corps de métier. Les bailleurs, notamment sociaux, ne savaient pas gérer cet entretien et il y a eu un retour en arrière. Cette technique est en déclin, principalement à cause de cet aspect, depuis 2010.
Les habitants doivent aussi prendre de nouvelles habitudes qui sont parfois radicalement différentes des leurs…
C’est particulièrement vrai sur certains aspects, comme le chauffage ou l’aération. La ventilation en double flux installée dans le bâtiment que j’ai observé était en rupture avec les usages des habitants. On leur expliquait que ce n’était pas utile d’ouvrir les fenêtres puisque la ventilation était suffisante, malgré cela ils avaient beaucoup de mal à ne pas aérer. Pour eux, c’était une chose différente de la ventilation.
Une donnée nouvelle est en train d’émerger : la contre-productivité à l’usage. Que les usagers aient raison ou non, si l'on ne prend pas en compte cet aspect, cela se retourne contre le constructeur.
Encore une fois, du côté des professionnels ce n’était pas parfait non plus, puisqu’il faut des compétences particulières difficiles à trouver pour entretenir cette ventilation. De nombreux bailleurs sont revenus en arrière, car cela devenait contre-performant ! C’est une donnée nouvelle qui est en train d’émerger : la contre-productivité à l’usage. Que les usagers aient raison ou non, si l’on ne prend pas en compte cet aspect, cela se retourne contre le constructeur.
N’est-ce pas transitoire, le temps que tout le monde s’adapte ?
Quand on innove de manière trop forte par rapport à la réalité des usages, c’est là que l’on devient contre-performant. Il y a un curseur à trouver, car même en formant les personnes, cela ne fonctionne pas si les sauts de compétences sont trop grands. Pour la réglementation 2020, ne vaut-il pas mieux faire des sauts moins grands, mais qui seront plus en adéquation avec l’épreuve de la réalité et des usages ?
Les écoquartiers sont-ils un phénomène transitoire, avant que les techniques développées dans ces lieux soient transposées à l’échelle d’une ville ?
Je me demande plutôt si les écoquartiers ne sont pas les futurs grands ensembles de demain. Dans les années 60, il y avait un mouvement moderne dans l’urbanisme, avec la préfabrication lourde, le béton armé, un système de construction en plan libre, en chemin de grue, etc. Ceci a impliqué de gros changements de savoir-faire pour que les corps de métier s’adaptent à de nouvelles techniques. Il y avait une forte dimension idéologique de l’architecture moderne et des idéologues extrêmement identifiés. Leur projet était d’offrir un accès à un mode de vie moderne, de se libérer d’anciennes habitudes issues du monde rural… Avec les écoquartiers, on reproduit ce décalage assez fort dans les usages : c’est dans l’ADN de l’urbanisme en tant que doctrine sociale. Il faut aussi aborder la question économique. Les bâtiments des années 60 ont été le fer de lance des Trente Glorieuses à l’époque, leur construction a permis cette croissance économique. Aujourd’hui, toutes les techniques développées dans les écoquartiers sont intimement liées à la croissance verte, à l’économie verte. Finalement, dans vingt ans, une fois les besoins saturés, n’y aura-t-il pas une autre mode ? Les écoquartiers sont-ils pérennes ? C’est la question qu’il faut se poser.
Témoignages
« Il a fallu contraindre les promoteurs immobiliers » Frédéric Cacciali, chargé de communication au sein de la Sages, société publique locale d’aménagement, qui a suivi le déroulement du projet de la Caserne de Bonne à Grenoble, étudié par Vincent Renauld.
« Lors de la conception du projet en 2004, le terme écoquartier n’existait pas, il est apparu en 2009. La Caserne de Bonne était un laboratoire : la Sages a contraint les promoteurs, par le biais d’un cahier des charges énergétique ambitieux. Nous avons devancé la réglementation technique de 2012 au lieu de se contenter de celle de 2005, en vigueur à l’époque. C’est grâce à ce travail si, aujourd’hui, la plupart des écoquartiers privilégient certains matériaux plutôt que d’autres ; nos tests ont servi au niveau national.
Lorsque les promoteurs ont été désignés en 2005, il a fallu les accompagner par le biais de formations pour qu’ils s’approprient les nouvelles techniques. Nous avons fourni un effort particulier sur les performances énergétiques, puisqu’à Grenoble les amplitudes thermiques sont très grandes. Les bâtiments sont isolés de l’extérieur pour plus d’efficacité, des panneaux solaires fournissent 40 % de l’eau chaude consommée, des économiseurs ont été installés pour l’eau et la lumière, etc.
Au niveau du chauffage, un réglage optimal pour une température ambiante de 20 °C permet une consommation vraiment basse. Toutefois, chaque degré supplémentaire représente 15 % de consommation en plus, sur un habitat. La consommation de l’immeuble a donc été calculée théoriquement, elle reste dépendante du comportement de l’habitant. Chaque année, nous organisons des réunions d’accompagnement et de sensibilisation pour l’optimisation du confort thermique pour chaque copropriété.
Les soucis provenaient principalement du fait que les syndics n’étaient pas formés à l’entretien de ces nouveaux bâtiments ; nous les avons accompagnés. Les entreprises ont l’habitude de s’en tenir à livrer le matériel, il est difficile de les faire revenir pour trouver le bon équilibre au niveau du chauffage. Nous continuons nos réunions, nous rendons compte de la consommation chaque année, sensibilisons, conseillons. Dans les faits, pour des immeubles construits à la même période, la consommation de ceux de la Caserne de Bonne est inférieure de 50 % environ. De vraies économies sont réalisées. »
L'écoquartier d'aujourd'hui se décline en trois axes : la qualité de vie et d'usage, le lien et le sens entre les habitants, le nouveau rapport au vivant.
Bruno Lhoste (photo DR)
« L’intégration de la gouvernance dans l’élaboration des projets est récente » Bruno Lhoste, ingénieur en génie énergétique, président de la plateforme eco-quartiers.fr et d’Inddigo, cabinet de conseil en ingénierie du développement durable. « Initialement, les écoquartiers étaient dans une démarche plutôt technique de laboratoire. La réglementation technique des bâtiments a pris sa source dans ce qu’ont testé et développé les écoquartiers.
Dans une seconde période plus récente, la question de la gouvernance a été intégrée dans l’élaboration des projets. La prise en compte de la vie du quartier, de l’usage des services et de la proximité prend de plus en plus d’importance. D’ailleurs, aujourd’hui, on voit physiquement la différence : les premiers écoquartiers étaient des quartiers entièrement neufs, développés sur des friches ou des extensions. Aujourd’hui, les démarches peuvent être appliquées pour de la rénovation. Au sein de notre association, nous avons tâché de définir l’écoquartier d’aujourd’hui.
Selon nous, il se décline en trois axes : la qualité de vie et d’usage, le lien et le sens entre les habitants, le nouveau rapport au vivant. Il comporte des bâtiments de qualité, performants, une mixité de services et d’espaces publics, ce qui est fondamental pour que le quartier vive. La mixité y est sociale et générationnelle, les habitants ont leur part de gouvernance, la mobilité y est bonne… Cette vision ne se limite plus à la partie technique et environnementale.
Il y a certes des enjeux autour de la minimisation de la consommation énergétique, d’une utilisation pertinente et durable des ressources. Toutefois, la question de la qualité du logement et des espaces publics s’accompagne forcément de tout ce qui va favoriser le vivre ensemble et le lien dans le quartier, mais aussi du quartier avec la ville. Ces trois éléments sont nécessaires et, si on en oublie un, on sort de l’épure. »