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Il semble qu’on a perdu le contrôle du véhicule. Le transfert, naguère obligatoire, des compétences eau est devenu l’enjeu de toutes les surenchères. Ni le Sénat, ni l’Assemblée nationale, ni les associations d’élus ne semblent plus vouloir faire preuve du minimum d’esprit constructif… sauf à beaucoup détricoter.
Voici ce qui ressemble presque à un extrait du compte rendu analytique des débats du Sénat sur la loi engagement et proximité : « je vais lui montrer qui c’est le Sénat. Aux quatre coins de la France qu’on va les retrouver les compétences intercommunales, éparpillées par petits bouts, façon puzzle. Moi, quand on m’en fait trop, je correctionne plus : je dynamite, je disperse, je ventile ! » (Audiard revu et corrigé par le Sénat).
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Fallait-il en arriver là ?
Le Sénat a-t-il raison ? Nul ne doute qu’il faille redonner envie, retrouver les libres choix dans les projets intercommunaux. Depuis les lois du 16 décembre 2010, du 27 janvier 2014 et, surtout, de la loi Notre du 7 août 2015… les acteurs locaux ont le sentiment que tout se fait par contrainte sur fond de technicité démocraticide.
Oui, cela est entendable. Et oui la loi Notre était, par bien des aspects, mal fichue. Mais était-ce une raison pour changer une loi déjà changée deux fois alors que, pour certaines compétences, la grande bascule est prévue pour… le 1er janvier 2020 ? Est-ce une raison pour tout détricoter (la loi Notre mais aussi toutes les lois depuis au moins 1992…) sur fond de préparation des prochaines élections sénatoriales ?
Le texte initial de l’État allait déjà assez loin et à ce jour, le débat entre le Sénat et l’Assemblée nationale a été très, très crispé au point qu’on navigue à vue, en eaux troubles.
Acte 1 : le gouvernement assouplit un texte déjà par deux fois assoupli
Le projet de loi prévoyait, sur l’eau et l’assainissement, une nouvelle nouvelle nouvelle loi pour corriger la loi Notre… avec pour l’essentiel les correctifs à la loi, déjà corrective, n° 2018-702 du 3 août 2018… Et donc avec des changements importants à quelques mois de l’échéance du 1er janvier 2020 :
- en matière d’extension de l’opposition par des communes pour s’opposer au transfert de cette compétence en communauté de communes (mais pas en communauté d’agglomération) ;
- en matière de conventions pour gérer la compétence (en communautés de communes comme en communautés d’agglomération avec quelques rigidités inquiétantes car ce nouveau régime pourrait être compris comme interdisant de recourir aux conventions qui, à ce jour, fonctionnent très bien).
Le débat entre le Sénat et l’Assemblée a été très, très crispé au point qu’on navigue à vue, en eaux troubles
Le régime issu de la loi du 3 août 2018, applicable à ce jour, peut alors être ainsi décrit :
- par défaut, l’intercommunalisation de ces deux compétences (alimentation en eau potable [AEP], d’une part, et assainissement y compris le Spanc, d’autre part) s’applique au 1er janvier 2020 en communauté de communes ;
- mais il est possible de s’opposer à ce transfert obligatoire pour l’une et/ou l’autre de ces compétences sous deux conditions.
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• La première, que ladite compétence ne soit pas à ce jour exercée par la communauté. En vertu à ce jour de la loi du 3 août 2018, cette dérogation à l’intercommunalisation ne s’applique donc, pas si la communauté exerce déjà un fragment de la compétence correspondante, non sans nuances à cette règle :
- peu importe alors que la compétence figure dans les statuts dans les compétences « optionnelles » ou « facultatives », et ce, aux termes exprès de la loi;
- la loi précise qu’il est possible de ne pas transférer tout l’assainissement même si à ce jour la communauté exerce « de manière facultative » à la date de publication de la loi uniquement les missions relatives au service public d’assainissement non collectif (Spanc) au sens du III de l’article L.2224-8 du CGCT. En ce cas : la loi précise que : « le transfert intégral de la compétence assainissement n’a pas lieu et l’exercice intercommunal des missions relatives au service public d’assainissement non collectif se poursuit dans les conditions prévues au premier alinéa du présent article ». Mais selon nous, ce texte doit s’interpréter avec prudence, imposant tout de même le vote prévu par ledit premier alinéa ;
- en revanche, à la date d’entrée en vigueur de la loi, la communauté exerce la compétence alimentation en eau potable et/ou une autre partie de la compétence assainissement… Alors le report de l’échéance de 2020 ne semble pas possible… même si cette compétence est exercée pour une partie du territoire à la suite d’une fusion de communautés de communes (mais ce dernier point pourrait être discuté en droit) ;
- avec sur ce point un traitement spécifique des eaux pluviales urbaines (qui devient une compétence à part, et qui n’est donc pas un fragment de compétence eau ou assainissement au sens de ce régime).
• La seconde condition, qu’avant le 1er juillet 2019, au moins 25 % des communes membres de la communauté de communes représentant au moins 20 % de la population délibèrent en ce sens.
À ce jour, ce report n’est pas possible d’un mandat sur l’autre (il en va autrement que pour le régime qui pourtant servit de modèle en ce domaine, à savoir le régime du PLUI…). Au plus tard, le transfert de compétences prend effet le 1er janvier 2026.
Attention
À tout moment, entre 2020 et 2026, la communauté de communes pourra envisager de se doter de la compétence correspondante ou des compétences correspondantes, avec alors de nouveau un droit d’opposition des communes (ce qui fait une sorte de session de rattrapage après les élections de 2020 !).
Le dispositif prévu par la version initiale du projet de loi « Engagement dans la vie locale et proximité de l’action publique » revenait à (toujours en communauté de communes, pas en communauté d’agglomération) :
- reporter du 30 juin 2019 au 31 décembre 2019 la date ultime pour qu’une minorité de communes bloque l’intercommunalisation de cette compétence (quand bien même celle-ci serait voulue par une majorité de communes, rappelons-le), et ce avec quelques incertitudes en termes de dates d’adoption des délibérations et de délais de notification de celles-ci;
- permettre un refus de cette intercommunalisation (en communauté de communes donc), même si un fragment de la compétence a été déjà transféré à la communauté (ce qui fera des heureux et des malheureux…).
Le Sénat a préféré dynamiter très largement le dispositif même des compétences optionnelles
S’y ajoutait un aménagement conventionnel nouveau, au mieux un peu inutile (ou presque… car de nombreuses conventions sont déjà possibles), avec certains atouts (obligation de se mettre d’accord sur un plan pluriannuel d’investissement, pour schématiser), mais conduisant à quelques inquiétudes (les autres régimes de conventions restent-ils possibles ?
En matière de tourisme, le projet de loi prévoyait une nouvelle exfiltration possible de la compétence intercommunale pour les stations classées, en sus des deux régimes dérogatoires existant déjà en ce domaine à ce jour.
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Acte 2 : le Sénat dynamite tout, là où on s’attendait à un dialogue apaisé
Pour que tout ceci puisse passer avant l’échéance du 1er janvier 2020, il faut qu’Assemblée nationale et Sénat coopèrent, ce qui laissait espérer un dialogue apaisé et des fortes concessions réciproques. Las, il n’en fut rien, au contraire de ce qui s’était passé sur d’autres textes (la loi Blanquer, par exemple, où le Sénat avait obtenu nombre de réformes en échange d’une accélération de la procédure parlementaire). Le Sénat a préféré dynamiter très largement le dispositif même des compétences optionnelles dans son principe. Avec des principes forts, mais explosifs :
- plus d’intercommunalisation de l’eau et de l’assainissement (ni des eaux pluviales urbaines) en communauté de communes et d’agglomération;
- plus de notion de compétences optionnelles (idem : en communauté de communes ou d’agglomération).
On repart vers une intercommunalisation choisie, volontaire et non subie
Avantage : on repart vers une intercommunalisation choisie, volontaire et non subie, à rebours des réformes des dix dernières années. Mais inconvénient : on casse un peu tout au passage…
Acte 3 : l’Assemblée nationale se braque... puis lâche beaucoup
En réponse, l’Assemblée nationale, en dépit du mouvement récent, mais vif, de séduction gouvernementale, a commencé par braquer le Sénat, puis a beaucoup lâché. Pas sur l'eau et l'assainissement où nous voici largement revenus au texte initial, mais sur les compétences optionnelles... réduites, en communautés de communes ou d'agglomération, à une seule compétence !
Épilogue : une question de tricot
Si l’on se résume :
- on veut donc, à quelques jours de l’échéance du 1er janvier 2020, détricoter une loi déjà retricotée deux fois. Déjà, à la base, ce n’était pas raisonnable nonobstant les imperfections du droit ;
- cela a été inséré dans un texte de loi ambitieux, ce qui était maladroit car cela revenait à rendre difficile le calendrier parlementaire ;
La guéguerre contamine le monde des associations d’élus (en réalité certaines d’entre elles ont vivement soufflé sur les braises…)
- le Sénat en a profité et a eu du mal à s’arrêter sur sa lancée, sous les vivats d’associations oubliant parfois leur modération d’antan, voire leurs silences lorsque furent tricotées les réformes à détricoter désormais ;
- et sur place, les acteurs de terrain sont décontenancés, un peu perdus, obligés de multiplier les cachets d’aspirine. Ce qui en eaux troubles n’est jamais très bon.