Bertrand_eco collaborative
Prêter son appartement sans passer par un intermédiaire, covoiturer en se connectant sur une plateforme dédiée, participer à une « disco soupe » ((Sessions collectives et ouvertes de cuisine de fruits et légumes rebutés ou invendus dans une ambiance musicale et festive.)), réparer son micro-ondes dans un fab lab’ ((Lieu ouvert à tous où sont mis à disposition du public toutes sortes d’outils pour la conception et la réalisation d’objets, et des machines-outils, pilotées par ordinateur.)), proposer ses compétences à l’accorderie de quartier ((Système d’échange de services entre habitants d’un même quartier ou d’une même ville.)), fréquenter la grainothèque associative, cultiver des légumes sur les espaces verts publics… la liste des initiatives de partage est longue. La nouveauté est qu’avec la puissance du numérique et les réseaux sociaux, ces pratiques collaboratives se diffusent aux quatre coins du monde.
Pour s’emparer de l’ovni « économie collaborative », Rennes Métropole a opté en 2015, pour une démarche pragmatique, globale, à l’échelle de 43 communes.
Mieux vaut s’y intéresser de très près, puisqu’elles génèrent du lien social, de la cohésion, et permettent aux individus de faire face à une certaine précarisation rampante, voire créent des emplois (ou inversement causent du tort à certains pans de l’économie classique). C’est peu ou prou l’analyse de Rennes Métropole, devenue territoire pilote de la recherche-action « Domino », démarrée, il y a presque un an, labellisée par le ministère du Développement durable et financée par l’Ademe. La collectivité d’Ille-et-Vilaine n’est pas la seule à mettre les pieds dans le plat de l’économie de partage…
Lire aussi : L'aventure numérique, un nouvel horizon démocratique
Aborder les « pratiques collaboratives »
Pour s’emparer de l’ovni « économie collaborative », Rennes Métropole a opté en 2015, pour une démarche pragmatique, globale, à l’échelle de 43 communes, coordonnée par l’école d’ingénieurs Télécom Bretagne et l’association Collporterre. Le programme Domino qui dure 18 mois a pour objectif final « d’outiller les collectivités pour qu’elles puissent se saisir des pratiques collaboratives » et en faire « des leviers de modes de vie durables sur les territoires ». « Le terme de pratiques collaboratives nous convenait bien. Nous ne souhaitions pas nous confronter de manière directe à « l’économie collaborative » qui renvoie souvent à des questions de droit des salariés, de concurrence et de taxes, etc. à encadrer au niveau national » explique Sabine Goulay chargée de mission Animation territoriale. Il est vrai que le numérique est susceptible, par sa force de frappe, et du fait du manque d’encadrement juridique (on le voit avec le débat sur Airbnb et les taxes de séjours) de transformer des concepts de partage en bulldozers de filières économiques ((Lire les recommandations du rapport du député Pascal Terrasse sur le développement de l’économie collaborative, sorti en février 2016.)).
« Le numérique n’est pas l’essence de l’esprit collaboratif. Ces plateformes ne recouvrent que 3 % des projets de l’économie collaborative ».
« Le numérique n’est pas l’essence de l’esprit collaboratif, tient à relativiser Gwendal Briand, cofondateur de Collporterre. Ces plateformes ne recouvrent que 3 % des projets de l’économie collaborative ». Rennes Métropole a par ailleurs identifié trois grands ensembles de pratiques collaboratives sur son territoire. Le premier s’enracine dans des nouveaux lieux : Recyclerie, le LabFab, les espaces de co-working, la Cantine numérique, la Ruche qui dit Oui, les espaces de gratuité, les bibliothèques contributives. Le deuxième regroupe des nouvelles pratiques : Disco soupe, Open bidouille camp, Bibliomix, Museomix, Maisonmix. Le troisième type de pratiques collaboratives concerne de nouveaux usages « partagés » : logements, déplacements, jardins…
Vous avez dit « sharing city » ?
L’étiquette « sharing city » semble allègrement apposée, sans renvoyer à une réalité précise, si ce n’est à un réseau mondial de villes (San Francisco, New York, Sao Paulo, Barcelone…) fédérées sur Internet. Paris, Londres, Berlin n’en font pas partie, mais sont également régulièrement estampillées « sharing cities » par les experts de l’économie de partage ou collaborative. À Amsterdam, la mairie s’est elle aussi proclamée « sharing city » et travaille ouvertement avec les start-up de l’économie collaborative.
Lire aussi : Comoodle : quand le service public passe par le collaboratif
L’implication des services
Une première question s’est posée à la collectivité de Rennes Métropole. Quel service est légitime pour « piloter » une démarche-action ayant trait à l’économie collaborative ? Le service Animation territoriale du « Pôle stratégie, aménagement, développement » est finalement désigné « pour asseoir cette volonté de créer une dynamique transversale et collaborative au sein de la collectivité et sur le territoire autour de cette question » explique Sabine Goulay. Une organisation interne est mise en place, quatre techniciens issus des services « déchets », « mobilité », « numérique » et « économie sociale et solidaire » sont associés au projet. La démarche-action pousse les services à se frotter, sur le terrain, à cette économie. « Nous sommes allés à la rencontre des acteurs de cette économie, en fonction de nos intérêts du moment ».
La démarche-action pousse les services à se frotter, sur le terrain, à cette économie.
Le service ESS a ciblé un quartier prioritaire, le service mobilité une zone d’entreprises, le service numérique a recensé les outils mis en place en interne, l’animation territoriale a zoomé sur les pratiques de différentes communes, le service déchets a noué des relations plus étroites avec le campus étudiants… « Ce travail de terrain prend du temps, il n’aura pas forcément des répercussions immédiates, mais nous avançons en marchant » indique la chargée de mission. Parallèlement, les techniciens se nourrissent d’apports extérieurs, en participant à des ateliers collectifs mensuels régionaux, dans un groupe de travail composé de chercheurs et d’acteurs territoriaux. Les agents territoriaux de Rennes Métropole y retrouvent leurs homologues des Pays de Morlaix, Redon et Châteaubriant, qui participent également à cette démarche-action.
Identifier l’ADN de son territoire
À chaque territoire, une méthode pour trouver son articulation avec l’économie de partage. « Chaque collectivité doit dégager ses propres besoins, identifier l’ADN de son territoire » estime Samuel Roumeau, membre du collectif OuiShare. Le Grand Lyon a retenu le collectif spécialiste mondial de l’économie collaborative pour élaborer un plan d’actions. « Cela fait deux ans que, globalement les collectivités s’intéressent à l’économie collaborative constate Anne Sophie Novel, économiste impliquée dans la fabrique écologique ((Elle préside le groupe de travail qui a rédigé « Villes et territoires en partage — L’économie collaborative au service des territoires » en 2014.)). Lille a organisé récemment un événement avec OuiShare. En fait, dès 2013, la ville est dans une réflexion de fond avec Jérémy Rifkin, autour d’une « Troisième révolution industrielle ».
À Grande-Synthe, le maire, Damien Carême, a fait le choix de soutenir une start-up de l’économie collaborative en adhérant à la plateforme « éco-mairie », sorte de « BonCoin » local réservé aux habitants. « Ce service s’inscrit en effet dans l’économie collaborative, mais plus largement dans notre objectif de « ville en transition », au côté de l’économie de fonctionnalité et l’économie circulaire » souligne Jean-Christophe Lipovac, conseiller technique du maire. À Grenoble, un service dédié « labellise » les initiatives d’économie collaborative qui seront compatibles avec sa démarche « Grenoble, ville de demain ».
Lire aussi : L'économie circulaire : une réponse à tout