Pourquoi ai-je écrit avec Marie-Christine Bordeaux (1) un ouvrage sur l'éducation artistique et culturelle (EAC) ? Parce qu'il nous semblait à tous deux essentiel de redéfinir les notions utilisées par les uns et les autres, de resituer l'EAC dans le contexte des multiples dispositifs qui ont émaillé son histoire, et enfin de faire des propositions prenant en compte la place qu'ont pris collectivités territoriales dans l'organisation et le financement des politiques locales dans ce domaine, place qui n'est guère apparue dans les tout récents textes ministériels sur la question.
Pour se retrouver dans un langage commun, il nous semblait utile tout d'abord de différencier et de définir ce qu'on entend sous les termes « Education artistique et culturelle » (dans et hors de l'école), « Enseignements artistiques » (dispensés au sein des établissements scolaires) et Enseignements artistiques appelés un temps « spécialisés » (dispensés par les établissements d'enseignement artistique, notamment les conservatoires ou écoles de musique, de danse et de théâtre).
A quelles valeurs renvoient l'éducation artistique selon que l'on se situe dans le secteur éducatif ou dans le secteur culturel, et à quels modes de transmission donnent-elles lieu ?
Nous précisons les termes du référentiel de l'EAC tel qu'il s'est stabilisé, articulé autour de trois pôles : voir, faire, interpréter, avec les expériences - de nature esthétique, artistique et symbolique - qu'il met en jeu, sans minimiser les difficultés de mise en oeuvre. Et sans oublier de donner des repères sur l'indispensable démarche de partenariat, qui ne va jamais de soi mais permet de renouveler les pratiques.
Parce que l'histoire de l'EAC, si elle est récente, est essentielle pour expliquer les multiples enjeux et rapports de force, et en conséquence permet de comprendre où nous en sommes dans cet idéal jamais atteint de généralisation, nous sommes revenus sur les différentes étapes : l'expérimentation (années 1960 et 1970), l'innovation institutionnelle et la formalisation des pratiques (années 80), puis l'extension et la territorialisation (années 90) jusqu'au plan ambitieux de généralisation Lang/Tasca du début des années 2 000, suivi hélas de son démantèlement puis d'une série de relances sans grande plus-value. Nous sommes revenus sur « les effets » attendus de l'EAC auprès des enfants, très différents selon les champs professionnels, cette différence d'appréciation en terme d'évaluation étant un frein au développement d'une grande politique publique.
Nous avons tenu, dans une seconde partie, à faire un focus sur l'évolution parallèle des établissements d'enseignement artistique, marqués par un modèle initial très académique portant de façon prépondérante sur l'enseignement de la musique. Si l'évolution a été lente, tant dans la manière d'enseigner que dans les domaines pris en compte (les arts du cirque étant un cas à part), et jalonnée de nombreux textes directeurs, elle est bien réelle aujourd'hui et souvent encouragée par les collectivités qui les financent. En ce qui concerne leur investissement dans le cadre des établissements scolaires, si les dispositifs sont nombreux (classes à horaires aménagés, orchestres à l'école), nous avons insisté sur la réussite de l'expérience des « Dumistes » et plaidé pour un élargissement de la fonction d'artiste intervenant en milieu scolaire et des formations de professeurs d'enseignement artistique qui intègreraient davantage les problématiques de la médiation.
Le temps était alors venu, dans une troisième partie, d'aborder les récentes évolutions (l'histoire des arts, la loi pour la refondation de l'école avec l'introduction d'un parcours d'EAC et l'épineuse question des rythmes scolaires) qui prennent insuffisament en compte les enjeux d'une territorialisation plus aboutie de l'EAC. Les études territoriales menées montrant l'importance des résultats obtenus par les collectivités quand elles s'emparent de la question, nous formulons des propositions pour un acte 4 de la décentralisation : sans renoncer à leurs publics-cibles actuels (écoliers, collégiens, lycéens), l'Etat pourrait proposer que les collectivités se spécialisent dans le pilotage de fonctions transversales : les Régions pourraient être chefs de file pour les PREAC, les Départements pour l'extension de l'EAC dans les zones éloignées de l'offre culturelle et l'intégration de l'EAC dans les schémas départementaux des enseignements artistiques, les Villes et intercommunalités pour le financement de la médiation culturelle dans les équipements artistiques et culturels dont elles assurent la tutelle. Cela dans le cadre d'une structure de co-pilotage à l'échelle régionale (Rectorat/DRAC/Région) et une mise en oeuvre à l'échelle départementale, les Départements accompagnant notamment les intercommunalités et co-élaborant avec elles et les services de l'Etat des plans locaux d'éducation artistique et des déclinaisons du Schéma départemental des enseignements artistiques.
Tout en laissant à l'Etat des missions de régulation, de garantie d'impartialité et d'exigence artistique, il revient à celui-ci, moyennant des transferts financiers, de confier aux collectivités le rôle de chef de file pour des fonctions transversales et structurantes de l'EAC. Mettre en place les conditions d'un véritable service public de l'éducation artistique et culturelle nous semble être à ce prix.
Pour en savoir plus, je ne saurai trop vous engager à lire ce petit opuscule de quelques 160 pages, préfacé par Jean-Pierre Saez et édité par l'Attribut, qui sera présenté par leurs auteurs au Théâtre des Doms à Avignon le 16 juillet à 11h30.
François Deschamps
(1) Maître de conférences à l'université Stendhal de Grenoble, chercheure au GRESEC.
Photo : Expérience de transcription de bruits en direct ; extrait d'une vidéo d'atelier, réalisée par Camille Llobet, artiste en résidence, association Enfance Art et Langages en école maternelle, Lyon, 2011.