human brain on technology background represent artificial intelligence and cyber space concept
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Justin Reich, « Failure to disrupt. Why technology alone can’t transform education », Harvard University Press, 2020, 312 pages.
Les techno-prophètes de la Silicon Valley et des plateaux de télévision vendent du rêve ou du cauchemar. C’est selon. Mais, concernant l’éducation, ils trompent largement. Leurs utopies sonnent faux. Alors qu’ils devaient disparaître, les manuels scolaires et les amphithéâtres s’utilisent toujours. Aujourd’hui d’ailleurs, les élèves, confinés derrière leurs écrans pour cause de Covid-19, regrettent les interactions traditionnelles.
Éducation intelligente et technologies artificielles
Spécialiste des fameux MOOC (massive open online course, « cours en ligne ouvert aux masses »), Justin Reich les étudie depuis des années au MIT. Il revient sur les prophéties excessives en termes de disruption. Le mot, désignant un futur meilleur par rapport à un passé confit, figure dans le lexique à la mode. Douchant l’enthousiasme des promoteurs charismatiques des outils digitaux à l’école, Justin Reich soutient que ces technologies ne sont pas forcément innovantes. Depuis des décennies, on imagine qu’elles pourraient tout changer. En réalité, elles ne sauraient réinventer des siècles de pédagogie. Pour apprendre à écrire, l’écran ne remplacera jamais le crayon. Par ailleurs, la supposée démocratisation du savoir par l’enseignement en ligne relève du mythe.
Ces technologies de l’éducation entretiennent la fracture numérique, en formation initiale comme en formation continue
Notre expert souligne l’effet Mathieu des « Edtech ». Ces technologies de l’éducation profitent disproportionnellement aux plus favorisés. Plus qu’elles ne la réduisent, elles entretiennent la fracture numérique, en formation initiale comme en formation continue. Justin Reich remémore les prédictions d’un Clayton Christensen, l’un des papes de ladite disruption, qui expliquait, au tournant du millénaire, que la moitié des universités allaient fermer. Dans des niches d’activités, MOOC et compagnie changent un peu la donne. Mais le bouleversement d’ensemble, qui était attendu, n’a pas eu lieu. Sceptique, Justin Reich ne jette pas le bébé digital avec l’eau du bain éducatif. Les bonnes recettes consistent à intégrer, à la marge, les technologies performantes au sein des vieilles pédagogies qui ont fait leurs preuves (on peut penser au calcul mental par exemple).
Bonne nouvelle pour les enseignants, ce qui compte ce sont le soutien et le contact humain. Pas la qualité d’un algorithme ou d’une interface. Aussi personnalisés soient les programmes et les capacités d’adaptation, l’éducation demeurera toujours une alchimie en classe.
Digérer et contrôler l’IA
Les nouvelles technologies ouvrent des possibilités non fantasmées de mutations radicales. Dans le domaine éducatif, l’intelligence artificielle (IA) est généralement parée de toutes les vertus, assurant le savoir encyclopédique pour tous et la formation tout au long de la vie. Technologie multifacette qui a la possibilité de s’adapter, reposant sur l’abondance des données et la puissance des algorithmes, elle promettrait des recrutements optimaux d’enseignants et d’étudiants, l’individualisation des services, l’aide aux élèves en difficulté.
Le feu d’artifice des innovations et des applications de l’IA ne résout rien des problèmes éducatifs basiques
Mais pourquoi pas ? Il y a des conditions pour de telles réalisations : amélioration de l’accès aux ressources électroniques, augmentation des compétences informatiques basiques, évaluation des algorithmes afin qu’ils ne renforcent pas les disparités qu’ils prétendent gommer. Cependant, le feu d’artifice des innovations et des applications, noyé dans le discours pontifiant des évangélistes de l’IA, ne résout rien des problèmes éducatifs basiques.
Extraits
« Les technologies, aussi puissantes et nouvelles soient-elles, doivent demeurer au service de la relation éducative humaine.
« D’une innovation, il faut toujours évaluer la pertinence et la portée dans la conduite des affaires publiques. »
« Il faut toujours de l’humilité chez les pédagogues. »