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Les citoyens ne font plus confiance aux élus pour avancer, et ne font pas trop de différence avec l’administration, pareillement touchée par la défiance. Mais les élus, de leur côté, désespèrent de pouvoir compter sur des citoyens massivement impliqués dans la chose publique...
Huit Français sur dix jugent que les citoyens sont davantage capables de trouver des solutions que les hommes politiques. Cette enquête Harris Interactive réalisée au printemps dernier confirme la défiance des Français à l’égard de leurs élus. « Mais pas seulement les élus » précise Armel Le Coz, « car les citoyens ne font pas vraiment la différence entre les élus et l’administration. » Cet homme engagé a choisi, en 2013, de parcourir la France pour rencontrer citoyens et élus ou candidats locaux. Le cofondateur du collectif Démocratie ouverte a constaté de l’intérieur l’état de colère ou de désabusement des citoyens.
Ressentiments mutuels
« C’est l’institution en elle-même qui est critiquée, dit-il. Nous sommes de plus en plus des contributeurs grâce aux réseaux sociaux, nous devenons partie prenante dans nos choix de consommation en optant pour les circuits courts, l’autoproduction… Il n’y a qu’un secteur où rien ne change, c’est celui du politique. On nous propose de déléguer nos pouvoirs, c’est mal vécu par les citoyens. »
Mais du côté des élus, la réponse est tout aussi désabusée : beaucoup estiment que ce sont toujours les mêmes qui viennent assister aux réunions publiques et qu’il reste difficile de mobiliser tout un pan des habitants d’un territoire. « Ils ont le sentiment d’être face à des électeurs consommateurs, qui attendent un service comme une consommation en échange de leur vote. »
Un paradoxe dans ces ressentiments mutuels, qui s’explique en partie par l’enchevêtrement des compétences à l’échelon territorial. « Avant, si on était mécontent, on pouvait engueuler notre maire » réagit Boris Petroff, administrateur territorial retraité. « Aujourd’hui le territoire a éclaté, il existe des structures supracommunales qui ont cassé ce lien historique, le maire est beaucoup moins un élu développeur de territoire identifié ». Ajoutez à cela une baisse significative des budgets et une capacité amoindrie à se projeter dans le long terme, et vous avez le cocktail parfait pour un décrochage entre élus et citoyens.
Mais en réponse à ces élus qui regrettent d’être face à des électeurs-consommateurs, l’ex-DGS rétorque qu’ils ont aussi leur part de responsabilité : « le vote des habitants donne une légitimité aux élus qui se perçoivent comme une élite. Les habitants ne sont là que pour les élire, ils sont exclus après. »
Selon Boris Petroff,
« En Bolivie ou au Vénézuela, la Constitution prévoit la possibilité de destituer un élu qui ne respecte pas ses engagements. La Ve République, avec son article 78, a tout simplement éliminé cet aspect qui existait jusque-là en France. Si les élus avaient cette épée de Damoclès au-dessus de la tête, ils feraient un peu plus attention. »
La difficile route vers l’élu 2.0
C’est généralement à ce stade, quand les élus cherchent à se rabibocher avec les administrés, qu’intervient la solution « démocratie participative ». Mais en pratiquant souvent une méthode « à la papa », avec des logiques très descendantes. « Rien que dans la mise en scène, cela ne va pas » estime Armel Le Coz. « Les réunions publiques sont organisées à des horaires peu pratiques, avec une logique de confrontation. » Les élus sur l’estrade, les citoyens en face sur des rangées de chaises, censés écouter religieusement le discours des édiles. « Il faut casser les codes en se mélangeant, en se plaçant en cercle par exemple. Et en nommant un tiers qui pose les règles du jeu en toute neutralité. On peut utiliser des formes de « serious game », de débats mouvants, du théâtre forum… » Bref, engager une discussion plus franche, qui permet de dépasser les intérêts particuliers pour intéresser les participants à l’intérêt général.
En route pour l’élu 2.0 ? Pourquoi pas, en changeant son prisme : « pour regagner leur confiance, explique Armel Le Coz, il faut dépasser la logique de faire pour, essayer de faire avec, voire même être dans le laisser faire en créant un écosystème favorable à ce que les personnes puissent se prendre en main et gagner en pouvoir d’agir. Le politique a bien plus un rôle d’animateur pour libérer les énergies citoyennes qu’un rôle de « faire pour ». »
Kingersheim, laboratoire de la « démocratie exigeante »
Dans cette commune près de Mulhouse, Jo Spiegel, le maire, a constaté l’absence de lieu dédié au débat. Une maison de la citoyenneté a vu le jour il y a 10 ans, accueillant toute initiative d’intérêt général. Une ancienne ferme, équipée d’une salle de convivialité et d’une salle du conseil, l’agora circulaire, où se déroulent désormais les conseils municipaux.
En parallèle, il crée les conseils participatifs, où un panachage de citoyens est invité à débattre d’un projet : des commerçants, des habitants du quartier concerné mais aussi des habitants tirés au sort forment le panel et échangent. Un moyen de trouver un consensus en faisant prendre conscience à chaque partie que les avis parfois très divergents nécessitent de procéder à des arbitrages. Une démarche qualifiée par Jo Spiegel de « haute qualité démocratique ».