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À 30 ans, Émilie Agnoux est directrice de l’innovation, du dialogue social et de l’animation managériale à Grand Paris Sud Est Avenir. Elle a travaillé auparavant au Secrétariat d’État à l’Égalité réelle, au Conseil régional des Pays de la Loire. Elle a fait ses études à l’Institut national des études territoriales (Inet).
Vice-présidente de FP21, coordinatrice nationale du Lab’ AATF… Que se trame-t-il dans ces deux structures ?
L’association Fonction publique 21e siècle a été lancée le 22 février 2017, avec le soutien d’Annick Girardin, ancien ministre de la Fonction publique. Elle a été créée à l’initiative de jeunes fonctionnaires issus des trois versants de la fonction publique. L’objectif est de s’adresser aux plus jeunes pour leur expliquer ce qu’est concrètement le service public. Et de faire en sorte que les jeunes fonctionnaires aient aussi leur mot à dire dans la réflexion sur l’avenir. Un site internet sera lancé prochainement et nous permettra de mieux savoir comment cette initiative a été reçue à l’échelle des collectivités. Nous allons désigner prochainement des délégués départementaux. Nous voulions à l’origine que cette association s’adresse à tous les fonctionnaires. Mais comme souvent, ce sont essentiellement les catégories A qui se sont mobilisées. Nous devons impérativement concerner les catégories B et C. Le seul problème, c’est qu’elles ne sont pas organisées. Nous leur offrons la possibilité de le faire. Leur absence nous pose problème puisque nous nous mobilisons avant tout pour ces agents. Je crois cependant à l’émergence d’une dynamique locale. Nous devons écouter la base, sinon nous ne serons pas raccords avec notre projet. Avec le site internet, nous allons cibler tous les fonctionnaires pour faire en sorte que la réflexion soit réellement transverse.
Il n’y a pas d’exemples absolus d’innovation managériale, mais plus des postures, des manières d’être de la part des personnels encadrants qui lèvent la bride à l’autonomie des agents.
Quel est le lien avec le Lab’ AATF ?
Logique. Ce lab’ est un incubateur de pratiques managériales lancé fin 2015. Il comporte deux volets. Le premier est collectif, lieu d’échanges sur les pratiques, d’émulation. Nous organisons trois journées par an qui proposent des ateliers de co-développement de projets. Des administrateurs arrivent avec une idée, l’exposent et une discussion s’engage pour que le projet progresse. Nous faisons aussi appel à un consultant, Benoît Deron, qui peut répondre à des demandes plus individuelles des collectivités en intervenant dans leurs locaux. Ce lab’ a pour objectif d’inscrire les démarches managériales dans la durée. Il n’y a pas d’exemples absolus d’innovation managériale, mais plus des postures, des manières d’être de la part des personnels encadrants qui lèvent la bride à l’autonomie des agents.
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Comment l’innovation managériale est-elle devenue l’alpha et l’oméga de l’action publique ?
Sans se dénaturer, la fonction publique doit intégrer la manière dont les personnes auxquelles elle s’adresse vivent. Et nous le savons, ce n’est pas le cas. La société va plus vite que la fonction publique. Les administrateurs sont confrontés à ce dilemme : ne pas atteindre aux universaux de la fonction publique sans pour autant éviter de s’interroger sur l’amélioration de la performance des agents. Je suis très optimiste. Je crois que nous pouvons nous adresser aux habitants pour leur expliquer ce que nous faisons. Nous sommes passés d’une posture défensive à une prise de conscience du rôle incontournable des services publics. Nous devons donc mieux échanger sur nos pratiques managériales parce que les enjeux sont élevés et que nous avons pris du retard dans ce domaine.
Nous sommes passés d’une posture défensive à une prise de conscience du rôle incontournable des services publics.
Le numérique en est l’exemple le plus flagrant…
Oui, nous sommes en la matière complètement « à la ramasse ». Tout se fait sur internet désormais, mais pas dans les fonctions publiques. Ce n’est pas une histoire de fracture générationnelle, entre de vieux et de plus jeunes administrateurs. Nous devons sortir d’un formatage de pensée, tout simplement. Le numérique permet de porter un éclairage formidable sur les ressources humaines des fonctions publiques.
nous sommes en la matière complètement « à la ramasse ». Tout se fait sur internet désormais, mais pas dans les fonctions publiques.
Existe-t-il des directeurs « nouvelle génération » ? Que font-ils que les autres ne font pas ?
Je les appelle les DGS libérateurs. Droit à l’erreur, à la prise d’initiative, confiance envers les agents, délégations, etc. J’ai connu Simon Munch, DGS du Pays de la Loire. Je travaille avec Fabien Tastet au Grand Paris Sud Est Avenir, qui est par ailleurs, président, à 40 ans, de l’AATF. Ils incarnent une tendance vers une plus grande autonomisation des agents. Les jeunes administrateurs sont assez peu entendus dans les débats. Ils sont pourtant tout autant attachés au service public.
Les agents réclament à la fois de l’équité dans le traitement collectif mais aussi une valorisation de leur engagement professionnel.
L’actuel gouvernement, notamment à travers les récentes déclarations de son ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, réintroduit le débat sur le salaire au mérite dans la fonction publique. Qu’en pensez-vous ?
C’est un débat à manipuler avec la plus grande prudence. Les agents réclament à la fois de l’équité dans le traitement collectif mais aussi une valorisation de leur engagement professionnel, ce qui peut paraître de l’extérieur inconciliable. Mais je ne veux pas repousser ce débat que certains trouvent tabou. Un fonctionnaire, qui est plutôt mal payé, ne doit pas avoir le sentiment qu’il travaille sans gratification. Il faut ouvrir le débat à 360 degrés et voir s’il existe un mode équitable et admis par tous pour répondre à cette attente.
D’autres ont essayé de le faire et se sont heurtés aux reproches de l’augmentation à la tête du client…
D’où la prudence… Qui juge un agent ? Comment valoriser le travail d’un agent qui, pour des raisons personnelles, veut s’impliquer plus alors qu’un autre, pour des raisons tout aussi légitimes, ne le souhaite pas ? Mais je ne crois pas que le salaire soit la préoccupation principale des agents…
Ah bon…
Non, ils veulent travailler dans un cadre apaisé, être plus autonomes, c’est vraiment ce qui les motive avant le salaire, j’en suis convaincue. Les jeunes administrateurs que nous sommes sont attachés au statut et à ce que représente la fonction publique. Nous voulons montrer cette dernière sous un autre jour, nous ne voulons plus subir les moqueries et les contrevérités qu’on nous inflige alors que, sans la fonction publique, la France ne serait pas ce qu’elle est : un pays qui, bon an mal an, fonctionne bien, notamment pour rendre le service public aux citoyens qui en ont le plus besoin.